"Ne venez pas nous déranger" : 30 ans après l'assaut de la grotte d’Ouvéa, Emmanuel Macron attendu en Nouvelle-Calédonie dans un climat loin d'être apaisé
Trente ans après l'assaut de la grotte d'Ouvéa, la visite d'Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie jeudi 3 mai 2018 ne fait pas l'unanimité. La population reste encore profondément marquée par le drame.
C'est la première visite d'un président français depuis l'assaut de la grotte d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie le 5 mai 1988 : à la suite d'une prise d'otages, les forces spéciales de l'armée françaises interviennent. Le bilan humain est lourd : 6 morts côté forces de l'ordre, 19 côté kanak.
Cette visite présidentielle ravive chez certains un traumatisme. Au nord de l’île, dans la tribu de Gossanah où, le 24 avril 1988, on a vu fondre les hélicoptères de l’armée française. Deux jours plus tôt, l’occupation de la gendarmerie, au sud, a dégénéré : une partie du commando s’est retranchée avec des otages dans une grotte à proximité de Gossanah. "L'armée est arrivée le 24 au matin, se souvient Macky Wéa, 70 ans aujourd’hui. Le soir, à 20 heures, on était enfermés dans trois cases. On nous a libérés le 29 au soir. On nous donnait un verre d'eau le matin, un autre le midi, un autre le soir."
"Ne venez pas nous déranger"
Macky se souvient de la violence des interrogatoires, l’humiliation ressentie, l’assaut meurtrier, et, un an plus tard, l’assassinat des leaders du Front de Libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) Jean-Marie Djibaou et Yéwéné Yéwéné, tués par le frère de Macky, Djubelly Wéa. Les commémorations appartiennent aux gens de l’île : voilà ce qu’on dit à Gossanah. Emmanuel Macron n’est donc pas le bienvenu.
Pour nous, c'est une insulte. Il n'a pas de respect par rapport à la population d'Ouvéa. On utilisera tous les moyens pour que Macron ne se tienne pas devant la tombe de nos enfants
Macky Wéaà franceinfo
"Monsieur Macron, restez chez vous, ne venez pas nous déranger, ajoute quant à lui Benoît Tangopi, l’un des survivants de la grotte, aujourd’hui porte-parole de la chefferie de Gossanah. C'est l'État français qui vient. Et on sait qu'en 1988, c'est le président de la république qui avait donné l'ordre pour attaquer la grotte. Et on n'est pas prêts de l'accepter".
Emmanuel Macron est d'autant moins bienvenu que ses équipes n’y auraient pas mis les formes. "On nous surprend. Il n'y a jamais eu de gestes de faits. Et maintenant on tente de faire des petits pansements pour corriger l'erreur qu'ils ont fait", répond Macky Wéa.
Des règlements de compte vieux de 30 ans
Alors qu'une bonne partie de la population, et notamment les institutions de l'île, s'apprêtent à accueillir le président, certains messages s'affichent. Notamment à Wadrilla, devant le monument qui abrite les dépouilles des 19 kanaks morts dans l’assaut, où le chef de l'État doit se recueillir samedi. Un message signé IKS pour "Indépendance kanak socialiste". "Je ne vois pas en quoi cette visite dérange. On a fait le tour des familles (17 sur 19). Toutes les chefferies sont d'accord pour que Macron vienne", explique Robert Kapoéri, acteur lui aussi du drame il y a 30 ans, aujourd’hui conseiller municipal d’Ouvéa.
"On veut faire avancer les choses, et puis on fait reculer de 100 pas en arrière", se lamente Alexandre Walep. Il était dans la grotte en 1988. "On est encore sous le drapeau français. On ne peut pas l'empêcher de le faire", confie-t-il.
Cérémonie silencieuse
Réconciliation entre les hommes, mais pas avec les institutions. Un référendum d'autodétermination sera organisé dans six mois. "Je ne voterai pas, explique Benoît Tangopi. C'est quelque chose pour nous diviser". "Est-ce qu'Emmanuel Macron vient pour l'unité ou la division ?", s'interroge Alexandre Walep.
À Ouvéa peut-être plus encore plus qu’ailleurs, les mots d’Emmanuel Macron seront cruciaux samedi 5 mai. Des mots glissés en aparté aux familles et aux officiels. La cérémonie, elle, sera entièrement silencieuse.
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