Pourquoi les états généraux de la justice sont-ils critiqués avant même d'être lancés ?
Annoncés en juin pour la rentrée, les états généraux de la justice s'ouvrent finalement, lundi 18 octobre. Un calendrier qui vaut à cette consultation de vives critiques.
Ils ne seront pas lancés dans une enceinte judiciaire, mais au palais des congrès de Poitiers (Vienne). Emmanuel Macron va ouvrir les états généraux de la justice, annoncés en juin, lundi 18 octobre. Le président répond ainsi à une demande formulée par Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, et François Molins, le procureur général près la Cour de cassation. En pleine polémique après un verdict plus clément en appel dans l'affaire des policiers brûlés à Viry-Châtillon et la confirmation de l'irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi, les deux plus hauts magistrats de France s'étaient dit inquiets des "mises en cause systématiques de la justice", critiquée pour sa lenteur et accusée de laxisme par des syndicats de police et des responsables politiques.
Pour autant, ces états généraux sont critiqués avant même leur lancement. Leur calendrier, surtout, est mis en cause. Franceinfo vous explique pourquoi.
Parce qu'ils arrivent tard dans le quinquennat
Ces états généraux devront élaborer des propositions pour "remettre à plat" le système. Ils réuniront pendant plusieurs mois, dans des groupes de travail, tout l'écosystème de la justice : juges, procureurs, greffiers, auxiliaires, avocats, mandataires huissiers, surveillants pénitentiaires, ainsi que des citoyens volontaires.
S'ils ont pour vocation de rétablir la confiance entre les Français et l'institution judiciaire – 68% d'entre eux estiment la justice "trop laxiste", selon une récente enquête CSA –, pas sûr qu'ils suffisent à retisser les liens entre les magistrats et le chef de l'Etat.
Comme le souligne Le Monde, Emmanuel Macron aura attendu la fin de son mandat pour prononcer un discours donnant sa vision de la justice, alors que pas moins de trois projets de loi, dont une loi de programmation sur cinq ans, ont été portés par ses gardes des Sceaux successifs. La nomination du dernier en date, Eric Dupond-Moretti, demeure l'acte le plus médiatique du président dans le domaine de la justice, rappelle Le Figaro. Une décision très mal reçue par le monde judiciaire et les syndicats de magistrats, qui ont obtenu la mise en examen en juillet de l'ancien avocat pour "prise illégale d'intérêts".
Ces états généraux visent-ils à sonner l'heure de la réconciliation ? Non, à en croire des confidences distillées dans la presse. Selon le site d'informations Politico, Emmanuel Macron estime qu'il a déjà fait un effort substantiel pour le budget de la justice – en hausse de 33% sur cinq ans avec 650 magistrats recrutés –, et qu'il est temps de remettre les juges à leur place. "Le sous-texte, ce sera : 'vous n'êtes pas en autogestion'", glisse un conseiller de l'exécutif à Politico.
Parce que certains craignent la récupération politique avant la présidentielle
Si le calendrier de ces états généraux interroge, c'est aussi parce qu'ils sont situés à six mois de l'élection présidentielle. Pour se prémunir de cette critique, la présidence a promis qu'ils seront organisés en toute indépendance de l'exécutif. Les consultations qui auront lieu dans toute la France seront pilotées par une commission indépendante, présidée par le haut fonctionnaire Jean-Marc Sauvé, déjà à la tête de la commission d'enquête sur les abus sexuels sur mineurs dans l'Église.
Cette commission comprendra aussi les deux hauts magistrats Chantal Arens et François Molins, ainsi que les présidents des commissions des lois de l'Assemblée et du Sénat, pour assurer une approche "transpartisane", précise l'Elysée à l'AFP. Tout au plus Emmanuel Macron pourra-t-il "piocher" parmi les propositions susceptibles de "l'intéresser", "au même titre que tous les autres candidats", assure-t-on au Château dans les colonnes de 20 Minutes.
Les propositions formulées fin février pourraient ainsi fournir au président-candidat une ossature de programme pour un éventuel deuxième mandat et rejoindre celles qu'il commence à égrener pour une échéance allant au-delà d'avril 2022 : le plan d'investissement France 2030, le projet de loi de programmation et d'orientation pour la sécurité intérieure (Lopsi) de 2022 ou encore l'expérimentation à Marseille des "écoles du futur" dont les directeurs pourraient choisir les enseignants.
Parce que c'est la prochaine mandature qui héritera de la mise en œuvre des mesures
Quant au sort des propositions qui émergeront de ces états généraux, la présidence promet que "tout ce qui pourra relever du règlement sera porté le plus vite possible, avec pragmatisme. Le garde des Sceaux sera chargé de manager cela jusqu'aux élections". En revanche, puisque l'Assemblée aura terminé sa session (qui s'arrêtera fin février, un mois et demi avant la présidentielle) tout ce qui relèvera de la loi, y compris ce qui nécessite un financement budgétaire, devra attendre le prochain quinquennat.
"Quel que soit l'exécutif au pouvoir en 2022, il pourra puiser dans les conclusions des états généraux de la justice", plaide l'entourage du chef de l'Etat dans Le Figaro.
S'ils considèrent que cette vaste consultation arrive trop tard, les acteurs du système ne boycotteront pas pour autant l'évènement. "L'idée, ce n'est pas d'être réfractaire à tout, évidemment, souligne auprès de 20 Minutes. Lucille Rouet, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. On espère que le format de ces états généraux n'occultera pas la question qui nous semble toujours centrale, quand on parle de justice : celle des moyens financiers et des effectifs."
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