: Vrai ou faux Le pouvoir d'achat a-t-il plus augmenté sous le quinquennat d'Emmanuel Macron que sous ceux de ses prédécesseurs ?
Les indicateurs de suivi de l'évolution du pouvoir d'achat des ménages attestent bien d'une forte progression depuis 2017. Mais les analyses divergent sur les bénéficiaires de cette hausse.
Depuis la rentrée, l'exécutif aime souligner les gains de pouvoir d'achat des Français sous le quinquennat d'Emmanuel Macron. Le président de la République n'a pas manqué de le rappeler lors de son interview sur TF1, mercredi 15 décembre. "Le pouvoir d'achat a augmenté en moyenne sous ce quinquennat plus que sous les deux précédents, malgré la crise. Les plus riches comme les plus pauvres. (…) Mais ceux qui ont eu le pouvoir d'achat qui a le plus augmenté, ce sont les classes moyennes", a ainsi affirmé le chef de l'Etat.
Avant lui, Bruno Le Maire avait déjà tenu le même discours tout au long du mois de septembre. "Le pouvoir d'achat des Français a été maintenu", a martelé le ministre de l'Economie sur les plateaux de radio et de télévision. Mieux, il serait même en hausse. "En 2021, il a augmenté de plus de 2%", a-t-il affirmé le 13 septembre, sur le plateau de LCI. Le 22 septembre, son ministre délégué chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, est allé plus loin. "Les gains de pouvoir d'achat des ménages seront à un niveau supérieur à la moyenne des dix dernières années", a-t-il annoncé à l'occasion de la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2022.
Le gouvernement affirme ainsi que les Français ont vu leur niveau de vie s'améliorer depuis 2017, malgré la pandémie de Covid-19, grâce, entre autres, à des mesures telles que la suppression de la taxe d'habitation, l'exonération de certaines cotisations sociales sur les heures supplémentaires ou encore le chèque énergie. Cette hausse serait telle qu'à l'issue du quinquennat d'Emmanuel Macron, les gains des Français devraient même être supérieurs à ceux enregistrés sous les présidences de Nicolas Sarkozy (2007-2012) et de François Hollande (2012-2017). Franceinfo a sorti la calculette pour vérifier si l'exécutif dit vrai ou "fake".
Une hausse nette depuis 2017
Toutes ces affirmations s'appuient sur des travaux de la direction générale du Trésor, publiés lundi 4 octobre dans le Rapport économique, social et financier (RESF) pour 2022 (PDF). Un document communiqué tous les ans en annexe au PLF. Sa particularité cette année réside dans son chapitre intitulé "Bilan redistributif 2017-2022", des pages 42 à 52. Il s'agit d'une étude qui évalue l'impact sur le portefeuille des Français des mesures fiscales et sociales prises depuis le début du quinquennat.
Selon ces calculs, "le pouvoir d'achat (…) des ménages a progressé de façon continue depuis 2017", écrit la direction générale du Trésor. Les services de Bercy s'appuient, pour avancer ce constat, sur l'indicateur du "pouvoir d'achat du revenu disponible brut des ménages". Ce terme économique correspond à l'addition de l'argent perçu dans le cadre du travail et des revenus du patrimoine (loyers, dividendes) ainsi que des prestations sociales (retraites, allocations), moins les cotisations sociales et les impôts directs, le tout rapporté à l'inflation, c'est-à-dire à l'évolution des prix.
Cet indicateur, également utilisé par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour mesurer l'évolution du pouvoir d'achat des ménages, dessine effectivement une progression continue depuis 2017, comme le montre le graphique ci-dessous, qui s'appuie sur les données publiées par l'Insee.
En prenant en compte les prévisions du gouvernement pour 2021 (+2,2%) et 2022 (+1%), la hausse enregistrée sous le quinquennat d'Emmanuel Macron devrait effectivement être deux fois plus importante que sous ses prédécesseurs. Le Trésor table sur une hausse de 8% en 2022 par rapport à 2017, tandis que le pouvoir d'achat avait augmenté de plus de 3,5% sous la présidence de Nicolas Sarkozy et de plus de 4% pendant le mandat de François Hollande.
Des divergences chez les économistes sur les populations concernées
Mais cette comparaison est-elle pertinente pour autant ? Ainsi, la situation économique sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, marquée par la crise financière de 2008, peut-elle être placée sur le même plan que les présidences de ses deux successeurs à l'Elysée ? "Effectivement, les comparaisons au cours du temps sont toujours difficiles car l'environnement évolue constamment, et souvent indépendamment des choix de politique économique", reconnaît l'économiste Xavier Jaravel auprès de franceinfo. Mais le lauréat 2021 du prix du meilleur jeune économiste de France juge que la crise du Covid-19 n'a pas été moins forte que celle de 2008, bien au contraire.
"Il semble difficile de dire que l'environnement économique était plus porteur durant ce quinquennat, la crise de 2020-2021 étant beaucoup plus forte que celle de 2007-2008."
Xavier Jaravel, économisteà franceinfo
Les économistes sont, néanmoins, plus partagés sur l'étendue de la population concernée par cette hausse du pouvoir d'achat. D'après le rapport du Trésor, toutes les catégories de revenu ont bénéficié des mesures gouvernementales prises depuis 2017. Surtout, toujours selon ce même rapport, ce sont les revenus les plus faibles qui en sont les plus grands bénéficiaires, avec une hausse de 4% du pouvoir d'achat pour les 10% des ménages les plus pauvres. Les services de Bercy expliquent ce gain plus élevé par des mesures comme la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés, l'extension de la garantie jeune ou encore le chèque énergie, qui bénéficie désormais à près de 6 millions de foyers.
Toutefois, d'autres études menées par des économistes, plus tôt pendant le quinquennat, ont montré un effet inverse de la politique de l'exécutif. Ainsi, une évaluation des conséquences des mesures entrées en application depuis 2018, publiée en février 2020 par l'Institut des politiques publiques (IPP), avait fait ressortir un effet bénéfique pour le pouvoir d'achat d'une majorité de ménages mais pas pour les 1% les plus pauvres, qui vivent avec moins de 789 euros par mois. Une actualisation de ce travail, publiée mi-novembre 2021, conclut à un effet bénéfique (+1,6%) pour tous les ménages français, à l'exception des 5% les plus pauvres, qui ont vu leur niveau de vie baisser de 0,5%. Cette différence de conclusion peut s'expliquer par le découpage de la population : l'IPP décompose les Français en 100 catégories de revenu, un maillage beaucoup plus fin que celui du gouvernement, qui classe les ménages en seulement dix catégories.
Des moyennes qui "cachent de grandes disparités"
Mais le découpage de la population n'est pas la seule explication. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a également publié, en février 2020, une évaluation de l'impact des mesures prises depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron. Ces travaux ont montré que la politique gouvernementale était défavorable aux 5% des Français les plus pauvres. D'après l'OFCE, le niveau de vie des ménages les plus modestes devait être amené à baisser, contrairement au reste des Français, du fait de la politique socio-fiscale engagée depuis 2017.
Interrogé par franceinfo sur la contradiction entre ces travaux de 2020 et les chiffres publiés cette semaine par le gouvernement, Pierre Madec, l'un des auteurs de l'étude de l'OFCE, met en avant des différences dans l'évaluation des mesures. "Nous n'évaluons pas de la même manière la réforme des aides au logement ou encore la hausse de la fiscalité sur le tabac, par exemple", explique ainsi l'économiste.
"Le gouvernement considère que cette hausse des taxes sur le tabac a entraîné une forte baisse de la consommation. Ce qui l'amène à réduire l'impact de cette mesure fiscale qui touche plus sévèrement les catégories les plus modestes."
Pierre Madec, économisteà franceinfo
Enfin, les chiffres du gouvernement sur le pouvoir d'achat sont également contredits par l'avis des Français eux-mêmes. Dans un sondage réalisé par OpinionWay-Square pour Les Echos et Radio classique, publié le 20 septembre, 56% des personnes interrogées déclarent avoir le sentiment que leur pouvoir d'achat a plutôt diminué sous le quinquennat d'Emmanuel Macron. Pour François Carlier, délégué général de l'association de consommateurs CLCV, cette différence illustre les limites des statistiques. "Quand l'Insee ou l'administration parlent des Français, ils parlent en réalité d'une moyenne. Mais la plupart des Français ne sont pas comme le Français moyen", affirme-t-il.
"Toutes ces moyennes ont quand même quelque chose d'artificiel. Elles correspondent à des points sur des graphiques de distribution des revenus. Mais elles ne correspondent pas à des personnes", reconnaît l'économiste Xavier Jaravel. "Il faut bien comprendre que ces indicateurs cachent de grandes disparités", ajoute ce chercheur, dont les travaux ont démontré que 20% des Français subissent en réalité une inflation double à celle affichée par l'Insee.
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