Présidentielle 2022 : les médias ont-ils une véritable influence sur la popularité des candidats ?
La forte exposition médiatique dont bénéficie Eric Zemmour, corrélée à son envolée dans les sondages, interroge sur l'influence des médias en ce début de campagne.
Il est partout. Le débat public se focalise sur ses thèmes de prédilection et la classe politique en est régulièrement réduite à commenter ses déclarations. "J'ai fait une heure de BFM hier, c'était une heure de Zemmour sous tous les angles possibles", soupire une responsable de la majorité. Sans surprise, l'entourage du polémiste et écrivain d'extrême droite, pas encore candidat déclaré, estime que "les médias sont le juste reflet de cet engouement absolument dingue autour de lui". Mais, même au sein des rédactions, le traitement et la place réservés à Eric Zemmour font débat. "C'est vrai que certains jours, avec le recul, on se dit qu'on aurait dû en faire moins en volume", confie un journaliste d'un grand média national.
Cette surexposition médiatique coïncide avec l'envolée sondagière de l'ancienne star de CNews, qui a fait chuter les intentions de vote pour Marine Le Pen. "Plus on parle de lui, plus il montera dans les sondages. On n'est pas à armes égales", se plaint l'eurodéputé du RN Jean-Paul Garraud. Les instituts expliquent d'ailleurs qu'ils intègrent Eric Zemmour dans leurs sondages parce qu'il est très présent dans les médias. "On teste Eric Zemmour car sa candidature est largement discutée. On ne l'aurait pas testé si les médias n'en parlaient pas autant", souligne Mathieu Gallard, directeur de recherches à l'institut Ipsos. Les médias sont-ils pour autant les uniques responsables de sa fulgurante ascension ?
"On donne à Zemmour une caisse de résonance, mais ce n'est pas nous qui créons le phénomène."
Un journalisteà franceinfo
"Cette présence médiatique très forte rencontre des prédispositions dans l'opinion puisqu'il y a une part de la population qui est très sensible aux thèmes de l'immigration, de la sécurité et de l'identité que porte Eric Zemmour. Ce n'est pas parce que les médias en parlent qu'il atteint 15%", estime de son côté Mathieu Gallard.
Reste que la question intéresse les chercheurs depuis longtemps. Les premières enquêtes remontent aux années 1940 aux Etats-Unis. En France, rappelle l'historien des médias Christian Delporte, la première étude se focalise sur le vote Lecanuet, ce sénateur de Seine-Maritime, candidat à l'élection présidentielle de 1965 pour le MRP (Mouvement républicain populaire). "Il part à 2% et finit à 15%. On explique ce score parce qu'il est bien passé à la télévision. En réalité, Lecanuet, dont l'électorat correspondait au vote traditionnel centriste catholique, a obtenu le plus de voix... là où il n'y avait pas la télévision !"
Les "mécanismes de résistance" des électeurs
Pour l'historien, il convient de ne pas oublier que l'électeur est "un être social qui réagit certes avec les médias, mais interagit aussi avec les autres". "Il ne se contente pas de suivre ce que semblent lui dire les médias", explique-t-il. C'est ce que le sociologue Vincent Tiberj appelle "les mécanismes de résistance". "Il y a la question de l'attention. La plupart des électeurs ne font pas attention à ce que disent les médias, et puis on vote aussi en fonction de ses valeurs et de ses préférences, détaille-t-il. Les gens sont aussi de mieux en mieux armés pour contrer les effets des médias avec un niveau de diplôme plus élevé qu'auparavant."
"Il y a beaucoup d'électeurs à qui on ne la fait pas. Vous aurez du mal à faire avaler du Zemmour à ceux qui le trouvent dangereux."
Vincent Tiberj, sociologue et professeur à Sciences Po Bordeauxà franceinfo
Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis, est aussi convaincu que "l'opinion publique peut se fabriquer en réaction aux médias". "En 2005, la campagne sur le référendum européen s'est refermée sur 'il faut voter oui', les gens se sont demandés pourquoi il fallait voter 'oui' et ça a forgé la campagne du 'non'." L'élu estime aussi que les médias traditionnels ne sont pas l'alpha et l'oméga de la campagne. Il y a certes les incontournables meetings, porte-à-porte ou opérations de tractage, mais aussi les réseaux sociaux. Bref, le terrain physique et le terrain virtuel. "Notre premier média, c'est nous, c'est notre capacité à diffuser nos idées, que ce soit avec une vidéo YouTube bien faite ou avec un tweet bien senti", souligne-t-il.
Le choix du menu
Ce proche de Jean-Luc Mélenchon reconnaît néanmoins, et en premier lieu, le fort pouvoir d'influence des médias grand public. "Ce serait incroyable de penser qu'ils sont un miroir objectif des choses !" s'exclame-t-il. "Ce ne sont pas les médias qui, in fine, font l'élection, mais ils peuvent choisir le menu et quand on choisit le menu, on influe sur l'élection", abonde Mathieu Hanotin, le maire PS de Saint-Denis et ancien directeur de la campagne de Benoît Hamon en 2017.
Vincent Tiberj parle ainsi de "trois grandes familles d'effets indirects" liées aux médias. "Il y a d'abord l'agenda setting, c'est-à-dire de quels sujets on parle. C'est l'histoire de 2002 et de ce vote sur l'insécurité, c'était un enjeu dominant qui a éclipsé les autres sujets", dit-il. La deuxième famille a trait au "cadrage", ou "framing" en anglais. "C'est comment on va parler d'insécurité dans les médias, en termes de prévention, de lien avec les inégalités sociales ou bien en termes de répression et de lien avec l'immigration." Enfin, dernière famille, "l'amorçage" ou le "priming", qui a trait à la manière dont on va évaluer les candidats. "Par exemple, sur l'immigration, les médias vont chercher un leader fort, un Darmanin plutôt qu'un Véran."
Mathieu Gallard estime lui aussi que c'est bien par le choix des sujets de campagne que les médias influencent le débat de l'élection. "Si l'on parle des thèmes qui favorisent l'extrême droite, cela va naturellement favoriser les candidats perçus comme plus légitimes sur ces sujets."
"Les médias jouent un rôle en façonnant le climat dans lequel va se dérouler l'élection."
Mathieu Gallard, directeur de recherches chez Ipsosà franceinfo
Selon ce dernier, "il y a d'ailleurs davantage de facilité à mettre en avant les enjeux les plus clivants". "L'immigration, ça parle à l'affect, contrairement au social qui est plus théorique. Et pourtant, c'est la question du pouvoir d'achat qui est en tête des préoccupations des Français, pas l'immigration", rappelle Christian Delporte.
Le tempo des chaînes d'info
Cette propension à aller vers les sujets "les plus clivants" – "la culture du buzz", dénonce Mathieu Hanotin – s'est trouvée renforcée par l'avènement des chaînes d'info en continu et des réseaux sociaux. Selon Vincent Tiberj, la France suit en réalité ce qui s'est passé aux Etats-Unis dans les années 2000 avec "une polarisation des chaînes d'info" et "une segmentation de l'audience". La comparaison entre Fox News et CNews a ainsi été faite à de multiples reprises. "CNews, ce n'est pas grand-chose en termes d'audience – beaucoup moins que 'Plus belle la vie', par exemple – mais c'est beaucoup en termes de bruit médiatique et de capacité à dicter le débat", note le sociologue. "On se retrouve dans une situation où lorsqu'il s'agit de définir les enjeux de campagne, une petite chaîne a réussi à centraliser les débats autour des thèmes qui l'intéressent", poursuit-il.
En clair, les grands médias ont perdu leur monopole de prescription des enjeux de campagne. "Ce n'est pas forcément sur ces nouvelles chaînes que les Français prendront leur décision, mais le discours des chaînes d'info et des réseaux sociaux a un impact direct sur ce que les médias grand public vont traiter", abonde Mathieu Gallard. En répétant la même information à longueur de journée, ces nouvelles chaînes dictent donc l'agenda médiatique. "C'est vrai qu'en choisissant 4-5 grands thèmes par jour et en les déclinant, on peut avoir l'impression de voir Zemmour toute la journée quand c'est l'un de ces grands thèmes", reconnaît un journaliste.
Split screen pic.twitter.com/ZHVuCpIsaR
— Gilles Boyer (@GillesBoyer) October 6, 2021
Conséquence : pour le moment, les thématiques autres que l'immigration et la sécurité peinent à émerger. "Les questions écolos et sociales n'émergent pas tellement, donc les candidats qui les portent n'émergent pas non plus. Cela peut aboutir à un débat démocratique biaisé et donc à un résultat biaisé, met en garde Vincent Tiberj. Les médias ne font pas l'élection, mais ils peuvent y contribuer s'ils ne font pas gaffe."
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