Procès des assistants parlementaires du FN : une bataille de chiffres qui pourrait avoir de lourdes conséquences financières pour le parti

Les débats de mercredi ont notamment porté sur la somme du préjudice reproché au parti d'extrême droite. Avec, à la clé, le montant des amendes encourues.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
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Marine Le Pen et les prévenus du procès des assistants parlementaires du FN, au tribunal judiciaire de Paris, le 1er octobre 2024. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

Au troisième jour du procès de l'affaire des assistants parlementaires du RN, mercredi 2 octobre, un tableau Excel s'affiche sur l'écran du tribunal. Dans des cases de couleur figurent les noms d'anciens eurodéputés du Front national, de leurs assistants parlementaires, les dates des contrats et les montants en euros. Après avoir procédé à la lecture du long résumé des faits reprochés au parti d'extrême droite, devenu le Rassemblement national, et aux 25 prévenus, la présidente de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris égrène les sommes des préjudices reprochés. Marine Le Pen, "474 000 euros" pour quatre assistants parlementaires ; Jean-Marie Le Pen (finalement non jugé en raison de son état de santé), "513 000 euros" pour cinq assistants ; Bruno Gollnisch, "1,41 million d'euros"...

Le sujet est essentiel. Il s'agit, pour le tribunal, d'informer les parties du montant de l'infraction qu'il a évalué à ce stade et qui va faire l'objet d'âpres débats pendant les deux mois d'audience. Or, ces montants ne correspondent pas à ceux revendiqués par le Parlement européen au début de l'affaire, ni à ceux retenus par les juges lors de l'instruction. L'institution européenne avait chiffré initialement son préjudice à près de 7 millions d'euros, en prenant en compte tous les contrats d'assistants parlementaires des eurodéputés du FN entre 2004 et 2016. Les juges d'instruction, eux, n'avaient retenu que la moitié environ – 3,2 millions d'euros – en se basant sur les contrats jugés frauduleux et donc poursuivis.

"On a l'impression d'être piégés" 

De son côté, le tribunal a pris en compte non seulement ces contrats, pour lesquels députés et assistants ont été mis en examen, mais aussi des contrats pour lesquels les prévenus ont été entendus sans donner lieu à des poursuite et, qui sont répertoriés dans un tableau annexé à l'ordonnance de renvoi rendue par les juges d'instruction. Ce qui représente un total de 4,5 millions d'euros. C'est ce montant qui pourrait donc être retenu contre le RN, jugé comme personne morale pour complicité et recel de détournement de fonds publics, mais aussi contre les cinq personnes physiques jugées pour complicité, Marine Le Pen et quatre ex-trésoriers et comptables. 

Les avocats de la défense bondissent : "Vous nous dites que vous allez faire supporter à la personne morale des contrats qui n'ont pas été mis à la charge du député et qui reviennent par la fenêtre ?", s'offusque Me Rodolphe Bosselut, annonçant qu'il va déposer des conclusions à ce sujet. "On a l'impression d'être piégés", lance l'un de ses confrères. "Il n'y a aucun piège, s'agace la présidente, Bénédicte de Perthuis. On est saisis de tous les contrats qui figurent dans le tableau" de l'ordonnance de renvoi et qui relèvent, selon la magistrate, du "système" de détournement mis en place par le parti avec ses assistants parlementaires. "Aaaah... le système !", bouillonne Marine Le Pen, furibonde, depuis son banc. Entendue mercredi en début de soirée à la barre, elle promet que ses "avocats feront leur travail" pour que l'affaire n'en reste pas là.

Des peines d'amende alourdies depuis l'affaire Cahuzac 

Si ce montant est âprement discuté et va continuer de l'être, c'est qu'il déterminera le montant des dommages et intérêts réclamés par la partie civile, le Parlement européen, mais aussi la peine d'amende infligée au Rassemblement national et aux prévenus poursuivis pour complicité s'ils sont reconnus coupables. Depuis l'affaire Cahuzac et la loi de 2013 contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, les sanctions prononcées par la justice peuvent en effet être proportionnelles au montant du préjudice. Pour les personnes physiques, si celui-ci dépasse 1 million d'euros, l'amende peut être portée au double du produit de l'infraction. Soit 9 millions d'euros si le chiffrage du tribunal n'évolue pas d'ici au délibéré.

Pour le RN, personne morale, l'amende fixe encourue pour complicité de détournement de fonds est cinq fois plus élevée que celle des personnes physiques, ce qui correspond à 5 millions d'euros. Il est donc peu probable que le tribunal aille au-delà.

Le RN joue gros car de telles amendes viendraient menacer le calendrier de son plan de désendettement. Un passif d'environ 20 millions d'euros doit être apuré d'ici à 2027, année de la présidentielle. Dans l'affaire miroir des assistants parlementaires européens du MoDem, le préjudice, estimé à 1 million d'euros par le Parlement européen, avait été ramené à 293 000 euros lors du procès. Et le parti centriste avait écopé d'une amende de 300 000 euros. Mais le dossier n'était pas de la même ampleur. Le tribunal avait conclu à "l'absence de caractérisation d'un système, au regard du nombre modéré de contrats détournés".

Les avocats du RN et des prévenus, qui ont vainement tenté de faire renvoyer le procès, vont à coup sûr batailler pendant les semaines à venir pour revoir à la baisse le montant du préjudice.

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