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"Affaire immobilière et familiale" de Richard Ferrand : "C'est légal, au regard du droit", juge un spécialiste

Selon "Le Canard enchaîné", les Mutuelles de Bretagne ont choisi de louer un local à une société immobilière appartenant à la compagne de celui qui allait devenir ministre de la Cohésion des territoires, alors que ce dernier était directeur général de la structure mutualiste.

Article rédigé par Benoît Zagdoun - propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Richard Ferrand, ministre de la Cohésion des territoires, le 24 mai 2017, sur le perron de l'Elysée à Paris. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

C'est un proche d'Emmanuel Macron, un ministre du gouvernement d'Edouard Philippe et une figure de La République en marche qui se retrouve dans la tourmente, alors qu'une loi sur la moralisation de la vie publique doit être présentée au Conseil de ministres avant les élections législatives. Mercredi 24 mai, Le Canard enchaîné a révélé qu'en 2011, les Mutuelles de Bretagne ont loué des locaux à Brest (Finistère) à une société détenue par la compagne de Richard Ferrand, lorsque celui-ci était directeur général du groupe mutualiste.

Y a-t-il vraiment une "affaire immobilière et familiale" ? Pour répondre à cette question, franceinfo a interrogé l'avocat Thibault du Manoir de Juaye, spécialiste du droit des sociétés.

franceinfo : Le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, assure qu'"il n'y a rien d’illégal" dans cette affaire. A-t-il raison ?

Thibault du Manoir de Juaye : Le président d'une entreprise peut tout à fait décider de louer des locaux à sa petite amie ou à son fils ou sa fille, si c'est au prix du marché. Ça ne me choque pas du tout. En droit des sociétés, et en faisant abstraction d'un possible statut particulier des mutuelles, il y a ce qu'on appelle les conventions réglementées. Ces conventions réglementées sont passées à des conditions qui ne sont pas normales ou atypiques, entre un dirigeant et un partenaire, pour éviter les possibles conflits d'intérêts et les abus. Le dirigeant doit subordonner la conclusion de la convention à l'accord de son conseil d'administration. Le tout est de savoir ce qu'on considère comme condition atypique ou anormale. 

Pour en revenir à l'affaire Ferrand, sur le principe, la convention est juridiquement valable. Elle a été soumise à autorisation du conseil d'administration. Je ne pense pas du tout qu'on soit sur la base d'une annulation de convention, d'un abus de bien social ou de choses de ce genre. Si c'était le mieux disant et que c'était donc dans l'intérêt des Mutuelles de Bretagne de louer à la compagne de Richard Ferrand, c'est normal qu'elles l'aient fait. De plus, si le prix du loyer était conforme au prix du marché, à ce moment-là, il aurait parfaitement pu soumettre le dossier au conseil d'administration sans indiquer que le bénéficiaire était sa compagne.

Selon Le Canard enchaîné, Richard Ferrand et l'actuel président des Mutuelles de Bretagne assurent que le conseil d'administration était informé du fait que la société était gérée par la compagne du directeur de l'organisme mutualiste. Le président d'alors, Michel Buriens, lui, ne s'en rappelle pas. D'un point de vue légal, cela a-t-il une importance ?

Dans cette affaire, c'est parole contre parole. D'un point de vue purement théorique, sur le plan du droit, cela ne me choque pas. Mais sur le plan social, politique ou autre, ça me choque. Si un dirigeant choisissait de cacher à son conseil d'administration un élément de nature à entacher la réputation de son entreprise, ça me paraîtrait totalement anormal. Cela relève toutefois plus de la maladresse que de l'intention malhonnête. Le fait de cacher un élément peut entraîner une perte de confiance et la mise à l'écart d'un dirigeant, mais on ne va pas pour autant le poursuivre au pénal. 

Le porte-parole de La République en marche, Benjamin Griveaux, insiste sur le fait qu'"on est dans le cadre d'une entreprise privée, il n'y a pas d'argent public qui est en jeu". Cela change-t-il quelque chose ?

Oui, mais quand on exerce des fonctions de dirigeant dans le cadre social d'une société mutualiste, il m'apparaît qu'on doit être le plus transparent possible. Dans une société mutualiste, les adhérents sont également les dirigeants. Cacher un élément comme celui-là à son conseil d'administration pourrait être une clause de révocation. C'est légal, au regard du droit, mais si j'étais actionnaire ou administrateur et que j'apprenais ça, je m'interrogerais sur la permanence des relations avec l'intéressé.  

D'après Le Canard enchaîné, la société civile immobilière dont la compagne de Richard Ferrand était la gérante n'a été créée qu'une fois le contrat de location conclu. Y voyez-vous une pratique douteuse ?

Ils ont visiblement décidé d'acheter les locaux quand ils étaient sûrs d'avoir un bail, pour se faire rembourser leur acquisition grâce au loyer de la location. C'est ce qui se produit très souvent dans le milieu des affaires : vous attendez d'avoir un locataire pour acheter l'immeuble. Après, on en revient au fait que ce soit la compagne de Richard Ferrand et ça renforce le soupçon du manque de transparence.

Cela soulève tout de même une autre question : est-ce que les administrateurs des Mutuelles de Bretagne avaient connaissance, au moment où ils ont voté le dossier, que la société n'était pas constituée ? S'ils n'en avaient pas conscience et qu'ils étaient persuadés que la société était constituée, le fait, pour un administrateur, de cacher des éléments susceptibles d'entraîner un changement de décision peut être un motif supplémentaire de révocation.

Le Canard enchaîné ajoute également que la compagne de Richard Ferrand, Sandrine Doucen, avocate spécialisée en droit social, a été rémunérée par les Mutuelles de Bretagne pour des consultations juridiques. Cela ne pose-t-il pas question ? 

Cela ne me choque pas. A partir du moment où elle a travaillé effectivement et fourni un travail de qualité, rémunéré dans des proportions normales... Dans les sociétés privées, contrairement à ce qui se passe dans le domaine public, vous n'êtes pas obligé de faire un appel d'offres. Si c'est une bonne avocate, pourquoi ne pas l'engager ? Le fait qu'elle soit la compagne d'un des dirigeants ne doit pas être rédhibitoire.

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