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Pourquoi Edouard Philippe peine-t-il toujours à sortir de l'ombre ?

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Le Premier ministre, Edouard Philippe, invité du grand entretien sur France Inter, le 20 septembre 2018. (RADIO FRANCE)

Le Premier ministre, dont la popularité est en berne, est l’invité de "l’Emission politique", jeudi 27 septembre sur France 2.

Après un été agité par les suites de l'affaire Benalla, l'automne s'annonce morose pour le duo exécutif. Sondages en berne, croissance plus faible que ce qui était prévu, budget avec son lot de mesures impopulaires, à commencer par le quasi-gel de plusieurs prestations sociales et des retraites... Invité jeudi 27 septembre de "L'Emission politique" sur France 2,  le Premier ministre, Edouard Philippe, devra user de tout son talent pédagogique pour convaincre les spectateurs du bien-fondé d'une politique jugée surtout favorable aux riches.

L'émission lui permettra-t-elle de prendre ses marques par rapport à un chef de l'Etat qui capte toute la lumière ? "Elle peut être un déclic pour retrouver une autonomie", sourit un sondeur. Car Edouard Philippe, quasi-inconnu par les Français lorsqu'il a été choisi comme Premier ministre, peine encore à se forger une image auprès du grand public. Pourquoi le chef du gouvernement reste-t-il dans l'ombre du président de la République ? Tentative de réponse.

Parce qu'il est Premier ministre, donc exécutant

"Le Premier ministre est un collaborateur. Le patron, c’est moi." Signées en 2007 du président Nicolas Sarkozy, ces deux phrases cinglantes sont-elles un bon résumé du fonctionnement de la Ve République ? "Le président est élu sur un projet politique mis en œuvre par le Premier ministre. L’un fixe le cap, le sens, la philosophie politique. L’autre met en œuvre la politique qui en découle", commente plus subtilement le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau. Mais, reconnaît-il, la répartition ambiguë des pouvoirs amène tous les chefs de gouvernement à s'interroger sur leur marge de manœuvre.

Soit les Premiers ministres développent une politique personnelle et ils sont remerciés, comme Jacques Chaban-Delmas sous Georges Pompidou en 1972. Soit ils sont trop ternes et sont également remerciés, comme Jean-Marc Ayrault en 2014 sous François Hollande.

Le constitutionnaliste Dominique Rousseau

à franceinfo

"Pour ce problème de positionnement, il n’y a pas de singularité propre à Edouard Philippe", ajoute-t-il. Ni singularité, ni malaise, à en croire le député Franck Riester (Agir, la droite constructive) : "Edouard Philippe a une vision très claire de l’institution. Il est à l’aise dans son rôle de Premier ministre et n’essaie pas d’être calife à la place du calife. Il sait qu'il est jugé pour bosser sur une ligne définie par Emmanuel Macron", assène-t-il. Cofondatrice d'Agir et députée de l'ancienne circonscription du Premier ministre, qu'elle connaît depuis dix-sept ans, Agnès Firmin-Le Bodo pense, elle aussi, qu'Edouard Philippe est "très heureux d'être là" et qu'il est satisfait "d'appliquer" le programme présidentiel : "Il a pris la fonction du bon côté." 

Parce qu'il est discret

Une fonction qu'il remplit bien et discrètement, en coulisses, en sachant se rendre disponible quand nécessaire, affirme la députée La République en marche de l'Essonne Amélie de Montchalin : "Nous, les députés, le voyons davantage que le président. Il se montre très accessible et ne se prend pas au sérieux, tout en étant très bon sur le fond." L'ancien ministre du Logement Benoist Apparu lui fait écho :

Edouard Philippe est cash, ce qui lui donne son côté sincère. Et il est simple, facile à aborder : vous n’êtes pas dix ans maire sans ça.

Benoist Apparu (maire de Châlons-en-Champagne)

à franceinfo

Autre vertu, il contrôle de près ses propos en public : "C’est quelqu’un qui a une façon d’aborder la politique avec beaucoup de sérieux. Pas de petite phrase, pas de saillie. Il travaille dans le consensus", décrit Franck Riester. Autant dire qu'hormis son lapsus lors de son discours de lancement de l'organisation de la Coupe du monde de rugby  ("Et parce que la France est une nation qui veut continuer à sucer... susciter"), il évite de faire le buzz, quitte à être moins visible dans les médias et auprès du grand public.

Dans les enquêtes d'opinion, ces qualités se devinent d'ailleurs en creux. Selon le sondeur Jean-Daniel Lévy, directeur du département Politique et Opinion d'Harris Interactive, "deux traits attribués à Emmanuel Macron ne sont pas accolés à Edouard Philippe  : l’arrogance et l'image de 'président des riches'. Le Premier ministre apparaît comme plus calme, plus posé." 

Parce qu'il devient aussi impopulaire que Macron

Ce bon côté en cache quelques autres, plus négatifs. Ces dernières semaines, le couple exécutif plonge comme un seul homme dans les sondages, l'opinion sanctionnant le duo pour des mesures jugées impopulaires. Edouard Philippe a ainsi vu sa cote de popularité dégringoler dans la dernière enquête Ifop du Journal du dimanche, le 23 septembre. Le Premier ministre perd 6 points (à 34% de satisfaits), épousant une tendance à la baisse identique à celle du président de la République (-5 points, à 29% de satisfaits). "L’enquête JDD-Ifop marque néanmoins un tournant, souligne Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop. "Jusqu’en août, la cote de popularité du Premier ministre était décorrélée de celle d'Emmanuel Macron. Désormais, la situation a changé." 

Avec une baisse de six points (34% de satisfaits), non seulement la chute de la cote de popularité d'Edouard Philippe est semblable à celle d'Emmanuel Macron, mais elle s'inscrit dans les mêmes catégories de population : le chef de gouvernement perd 10 points chez les jeunes, 9 points chez les professions intermédiaires, 9 chez les employés.

Frédéric Dabi (Ifop)

à franceinfo

"Qu'il s'agisse de lui ou d'Emmanuel Macron, les mêmes raisons sont évoquées par les personnes interrogées pour expliquer leur impopularité : la perte de pouvoir d’achat, les retraités vus comme des 'boucs émissaires', et le départ de Nicolas Hulot perçu comme une victoire des 'lobbys'", analyse le sondeur. "Le lien est fort entre le regard porté sur Edouard Philippe et sur Emmanuel Macron", renchérit Jean-Daniel Lévy. Ils sont en position négative parallèlement, et quand on apprécie Edouard Philippe, c’est parce qu’on apprécie Emmanuel Macron."

Surtout, le bénéfice lié à la personnalité du Premier ministre semble en voie d'érosion auprès du grand public, selon Frédéric Dabi. "L’automne dernier, Edouard Philippe avait encore des marges de manœuvre, détaille-t-il. Aujourd’hui il peine à se différencier. Son côté sympathique, proche des gens, est très peu cité." Enfonçant le clou, le directeur général adjoint de l'Ifop se dit frappé "par l'absence de différence entre les contempteurs du président et ceux du Premier ministre, à l'exception de la limitation à 80 km/h sur les routes secondaires, spécifiquement reprochée au chef du gouvernement. Dans le dernier verbatim [les propos exacts] des sondés, Edouard Philippe apparaît surtout comme une marionnette du président, qui ne fait qu’appliquer une politique jugée injuste, sans rôle modérateur. Emmanuel Macron écrase les choses et les perceptions. On se demande à quoi sert un Premier ministre", conclut-il.  

Parce qu'il n'a pas de base partisane

Ultime faiblesse du Premier ministre : il apparaît comme un homme seul, sans attache partisane. Ce fidèle juppéiste a quitté le parti Les Républicains, comme l'ont fait ses ministres Bruno Le Maire (Economie) et Gérald Darmanin (Comptes publics). Mais, contrairement à eux, il n'a pas rejoint En marche, le mouvement d'Emmanuel Macron. Cette liberté constitue un atout, estime l'élue de Seine-Maritime :

N'appartenir à aucune structure politique lui donne une certaine sérénité.

Agnès Firmin-Le Bodo (députée Agir, la droite constructive)

à franceinfo

"Cette absence d’ancrage politique est une force qui peut se transformer en faiblesse", tempère le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau. "S'il venait à le souhaiter, Edouard Philippe n’aurait pas de parti sur lequel s’appuyer pour résister au président de la République". D'autant que le chef de gouvernement n’apparaît pas non plus "comme un recours, comme c'était le cas pour François Fillon, situé bien plus haut que Nicolas Sarkozy en termes de confiance", rappelle Jean-Daniel Lévy.

Cet isolement en fait-il un suspect facile aux yeux de la garde rapprochée du président, quand la tempête gronde ? Le Monde note que le Premier ministre a mis quatre jours à monter au créneau sur l'affaire Benalla, et qu'il n'est pas ressorti "en combattant balafré de cette folle semaine où la Macronie s’est éparpillée". Un reproche balayé d'un revers de main par Agnès Firmin-Le Bodo, qui rétorque : "A l'Assemblée nationale comme au Sénat, il a fait ce qu'il fallait" [en bataillant contre deux motions de censure]. Beaucoup de gens l'ont découvert  à ce moment-là comme je le connais depuis longtemps, brillant, émaillant son discours de références littéraires."

Le vrai baptême du feu s'annonce, avec la présentation d'un budget qui fait des économies sur le logement, l'emploi, le social, l'Education nationale et la revalorisation des pensions. Edouard Philippe étudie-t-il déjà un plan B pour s'échapper de l'enfer de Matignon ? "Demain est un autre jour", répond Agnès Firmin-Le Bodo. "J'espère que ça arrivera le plus tard possible"

"On ne ressent pas chez lui de bougeotte intérieure, déclare Amélie de Montchalin. On sent plutôt qu'il est honoré d'être à Matignon, qu'il ne s'y attendait pas et s'y consacre pleinement." Lauréat de la médaille Fields, le député LREM Cédric Villani a, en tout cas semé, le doute, le 23 septembre, en lâchant qu'Edouard Philippe "serait bien sûr un grand maire de Paris". Conjecture, prévision, ou probabilité, alors que la concurrence s'annonce rude pour décrocher l'investiture de La République en marche ?

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