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"Hollande veut aller plus loin dans la voie du social-libéralisme"

Les vœux 2014 du président, qui a donné des gages au patronat, ont surpris à gauche. Certains estiment que François Hollande "n'a plus rien de socialiste". L'avis de Jean Garrigues, historien.

Article rédigé par Tatiana Lissitzky
France Télévisions
Publié Mis à jour
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François Hollande, le 9 janvier 2014, lors de son discours à l'Ecole nationale supérieure d'ingénieurs de constructions aéronautiques (Ensica) de Toulouse. (GUILLAUME HORCAJUELO / POOL)

Le président est-il toujours socialiste ? A-t-il opéré un tournant social-libéral ? En annonçant un "pacte de responsabilité" avec les entreprises, François Hollande a pris tout le monde de court. L'opposition est satisfaite et embarrassée de ne rien trouver à critiquer, le patronat est ravi, les syndicats hostiles, la majorité peu loquace, et les partis situés à la gauche du PS très critiques.

Pour son premier déplacement de l'année, François Hollande s'est rendu, jeudi 9 janvier, à Toulouse. Et comme promis, il a donné des gages au patronat, à travers plusieurs mesures destinées à simplifier la vie des entreprises. L'opération reconquête des dirigeants de société bat son plein.

Pour certains, le positionnement de François Hollande marque une rupture, un tournant idéologique majeur. Pour d'autres, le chef de l'Etat ne fait qu'affirmer une ligne qui était déjà la sienne. Jean Garrigues, historien et professeur d'histoire contemporaine à l'université d'Orléans (Loiret), livre son analyse à francetv info.

Francetv info : On entend parler de socialisme, de social-démocratie et de social-libéralisme. Quelles sont les différences idéologiques entre ces courants ?

Jean Garrigues : A l'origine, le socialisme prône la rupture avec le capitalisme et le libéralisme. Puis, à la toute fin du XIXe siècle, apparaît un courant plus réformiste que l'on appelle la social-démocratie, qui reconnaît l'économie de marché et ne réclame plus une rupture avec cette économie de marché, mais plutôt une adaptation régulée. La plupart des partis socialistes européens se convertissent alors à la social-démocratie. Mais les socialistes français n'ont jamais reconnu officiellement le tournant social-démocrate, même si, dans la pratique, depuis le tournant de la rigueur en 1983 sous François Mitterrand, la social-démocratie a pris le pouvoir.

Dans les années 1990, on voit apparaître, au Royaume-Uni, le social-libéralisme, avec Tony Blair, qui donne son nom à un courant de pensée, le blairisme. Le social-libéralisme va plus loin que la social-démocratie dans la voie de l'acceptation de l'économie de marché. Il choisit une troisième voie en renonçant au contrôle de l'Etat sur l'économie, et en privilégiant l'économie de l'offre à l'économie de la demande. Le social-libéralisme se rapproche alors du libéralisme et des droites européennes.

Assiste-t-on à un tournant social-libéral de François Hollande ?

L'histoire montre qu'il n'en est rien. Ce tournant opéré, cette inflexion libérale, se situe dans la continuité de l'évolution socialiste, et particulièrement dans celle de l'histoire de François Hollande. Rappelons que François Hollande a fait HEC (l'Ecole des hautes études commerciales de Paris), qu'il a enseigné l'économie politique à Science Po et qu'il s'inscrit surtout dans l'héritage social-démocrate de Jacques Delors, qui prône la réconciliation avec l'économie de marché.

Le vrai tournant se situe par rapport à ce qu'a dit François Hollande lors de sa campagne électorale, dans la symbolique du socialisme et non dans celle de la social-démocratie. Comme lorsqu'il condamne la finance lors de son discours du Bourget [le 22 janvier 2012]. Les mesures de la première année du quinquennat entrent dans cet héritage socialiste. Mais les 60 000 fonctionnaires supplémentaires dans l'Education nationale, le refus d'alléger les charges des entreprises ou les dépenses publiques ne sont en réalité pas des mesures qui vont dans le sens de sa culture politique, ni de son héritage.

Je vois donc, dans les vœux de Nouvel An du président, dans son positionnement, une réconciliation avec lui-même. Cette idée d'un "donnant-donnant" entre l'Etat et les entreprises – allègement des charges contre créations d'emplois – appartient à la social-démocratie, et surtout au social-libéralisme de Tony Blair.

Pourquoi ce changement de communication n'intervient-il que maintenant ?

La phase d'expérimentation de la première année de présidence apparaît comme un échec. Les négociations avec la gauche de la gauche, qui n'a cessé de critiquer les décisions prises, ont conduit le président à une impasse, et les résultats économiques sont assez faibles. François Hollande veut donc désormais aller plus loin dans la voie du social-libéralisme, ce qui est sa volonté profonde. Le "pacte de compétitivité" de novembre 2012 s'inscrivait d'ailleurs déjà dans cette logique social-libérale. Mais elle était, jusqu'à présent, moins affichée.

François Hollande risque désormais de se couper de la gauche de la gauche, ainsi que d'une partie de son électorat de 2012. Le passage au social-libéralisme n'est d'ailleurs jamais assumé. Lionel Jospin, qui a été Premier ministre entre 1997 et 2002, s'inscrivait déjà peu ou prou dans ce nouveau courant social-libéral. Mais cela ne se dit pas. Il est accepté de se dire social-démocrate, mais on ne se proclame pas social-libéral, car il faut ménager tout le courant de la gauche socialiste.

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