Les violences faites aux femmes sont "un virus" et "les seuls à porter un masque ce sont les pouvoirs publics", accuse l'ancien magistrat Luc Frémiot
L'ancien magistrat-honoraire et ancien procureur général à la cour d’appel de Douai regrette sur franceinfo mercredi l'inaction du gouvernement face aux violences faites aux femmes.
"La violence, c'est un virus et les seuls à porter un masque aujourd'hui, ce sont les pouvoirs publics", s'est insurgé mercredi 24 février sur franceinfo Luc Frémiot, auteur de Non-assistance à femmes en danger, qui sort aujourd'hui aux éditions de l’Observatoire. L'ancien magistrat-honoraire et ancien procureur général à la cour d’appel de Douai regrette "le parcours du combattant" des femmes victimes de violences "maltraitées dans les commissariats" et l'inaction du gouvernement. Luc Frémiot réclame ainsi une "politique globale de prise en charge de la violence", avec davantage de formations pour les policiers, la fin des mains courantes et la mise à l'écart du domicile conjugal des auteurs de violences. Selon lui, s'il existe "un schisme entre les victimes et la confiance qu'elles devraient accorder aux institutions, c'est parce qu'on n'a rien fait".
franceinfo : On a appris ce mardi la mise en examen d'un monument du cinéma français, Gérard Depardieu, pour viols. Pourquoi ces affaires se multiplient-elles ?
Luc Frémiot : La violence, c'est un virus et les seuls à porter un masque aujourd'hui, ce sont les pouvoirs publics. La réalité, c'est que la violence est partout. Elle est dans les rapports depuis le plus jeune âge jusque dans l'âge adulte, sous toutes les formes. On a beaucoup parlé de l'inceste. C'est l'ultime violence faite à un enfant et cela, effectivement, doit faire l'objet d'une politique globale de prise en charge de la violence qui n'est pas faite. On est en face d'une politique au fil de l'eau, où l'on réagit toujours au coup par coup à certains événements médiatiques.
L'affaire Camille Kouchner a poussé le garde des Sceaux et le gouvernement à étendre la prescription 30 ans à partir de la majorité d'une victime dans le cas d'un viol incestueux chez des mineurs de moins de 15 ans. C'est une mauvaise mesure, selon vous ?
30 ans après la majorité, comment voulez-vous qu'on retrouve la moindre trace, le moindre élément matériel ? Même les témoignages évoluent dans le temps. Comment voulez-vous arriver à un verdict qui soit acceptable par une victime ? Donc on leur donne un certain espoir. On se dit que la prescription donne du temps. En réalité, on encourage les gens à ne pas porter plainte.
Avez-vous l'impression que la parole se libère davantage ?
On nous balance toute la journée des slogans qui ne veulent plus rien dire. On nous dit que la parole est libre, la parole n'est pas libérée. C'est un mensonge. C'est faux. La libération de la parole se fait au commissariat ou devant une brigade de gendarmerie. Le fait de voir toutes les victimes sur #MeToo et #BalanceTonPorc démontre en fait qu'il y a un schisme entre les victimes et la confiance qu'elles devraient accorder aux institutions. On a perdu la confiance et c'est normal parce qu'on n'a rien fait. Le grenelle des violences par exemple, en septembre 2019, fait suite à un été meurtrier. Une femme mourrait tous les deux jours. On n'était jamais arrivé à un chiffre pareil. Et qu'est-ce qu'il y a eu ? Une floraison d'idées qui ressemblaient plutôt à un feu d'artifice et comme tous les feux d'artifice, c'est éphémère. Aujourd'hui, qu'est-ce qu'il en est ? On a 1 000 malheureux bracelets électroniques de prévus alors qu'il y a plus de 200 000 femmes qui font l'objet de violences.
Cette perte de confiance passe par le rôle des commissariats, les femmes y sont mal accueillies selon vous ?
Les victimes sont maltraitées dans les commissariats. On leur dit bien souvent mais pourquoi vous n'êtes pas partie plus tôt ? Pourquoi vous êtes restée ? Pour les enfants ? Vous n'avez pas de traces de coups ? Vous avez un certificat médical ? Ce n'est pas comme ça qu'on doit fonctionner. Les femmes victimes doivent insister. Il faut demander à voir le chef de service, il faut écrire au procureur de la République. Il faut venir avec un avocat. Il faut venir avec une association d'aide aux victimes. Il ne faut pas se laisser faire. Malgré tout, il y a des policiers qui font très bien leur métier. C'est comme toujours, la police est le reflet social d'une société.
Quel est le problème, selon vous ? C'est la formation des policiers ? C'est une question de moyens ?
C'est difficile de chercher un bouc émissaire parce que la réalité, c'est que tout le monde est responsable. On est responsable depuis des années et, moi, j'étais un des seuls à crier depuis 2003 qu'il fallait bouger. C'était simple, il suffisait de supprimer ces mains courantes qui donnent l'idée aux femmes qu'elles ont porté plainte alors que c'est faux. Il n'y a pas de suites. Une main courante c'est une simple inscription que vous faites devant un officier de police judiciaire, vous signalez un fait et ce n'est pas contrôlé. Ce n'est pas vérifié. Il n'y a pas d'enquête. Il y a une main courante et c'est tout. Je le dis, il faut porter plainte. La police est obligée de recevoir la plainte et elle doit recevoir ces femmes avec respect mais pour cela il faut des gens formés. Il faut que la hiérarchie policière se décide à appliquer les mesures qui consistent à former les interlocuteurs.
Quelle est la priorité à votre avis ? Que doit faire le gouvernement ?
A mon sens, il y a une mesure sur laquelle il faut revenir qui est très importante. Il faut absolument retirer du domicile les auteurs de violences. Si on ne le fait pas, les victimes restent en contact avec. Le gouvernement en a peut-être pris conscience mais il n'y a pas de faits. On nous avait annoncé deux centres d'encadrement pour les auteurs par département, il n'y a toujours rien de fait. J'ai entendu des associations qui réclamaient un milliard pour créer des places d'accueil. C'est tout ce qu'on propose aux femmes ? Partir en pleine nuit avec des enfants sous le bras ? Tant qu'on ne traitera pas le problème des auteurs, en les mettant hors de leur domicile pour provoquer un choc psychologique qui mette fin à leur sentiment d'impunité, on n'y arrivera pas. Ces gens-là doivent faire l'objet d'un traitement par des psychiatres et des psychologues. J'ai fait ça, moi, en 2003 et j'ai baissé la récidive à 6%. Je n'arrête pas de le dire, de le crier et on n'entend toujours pas.
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