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La politique de François Hollande est-elle toujours de gauche ?

Contesté à l'intérieur même du Parti socialiste, le nouveau gouvernement Valls est accusé de mener une politique économique de droite. L'analyse de Thierry Pech, directeur général du think-tank social-démocrate Terra Nova.

Article rédigé par Louis Boy - Propos recueillis par
France Télévisions
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Temps de lecture : 7min
François Hollande et Manuel Valls, le 27 août, à la sortie du premier Conseil des ministres du gouvernement Valls 2. (BERTRAND GUAY / AFP)

Deux jours après avoir écarté de son gouvernement trois ministres, coupables de demander un changement de politique économique, Manuel Valls s'est rendu devant les patrons du Medef, mercredi 27 août, pour y clamer son amour des entreprises. Depuis le début de l'année, l'exécutif socialiste est la cible des critiques, venues de son propre camp, sur sa politique économique, jugée identique à celle que mènerait un exécutif de droite.

Pourtant François Hollande comme son Premier ministre, se défendent d'avoir tourné le dos au socialisme. En quoi consiste, alors, ce "socialisme" mis en pratique par Hollande et Valls ? Pour l'expliquer, Francetv info a interrogé Thierry Pech, directeur général du think-tank social-démocrate Terra Nova, proche du Parti socialiste.

Francetv Info : La nomination du gouvernement Valls 2 a clarifié la ligne économique de l'exécutif. Comment la définir ?

Thierry Pech : Il s'agit d'une politique social-démocrate européenne. Les deux termes ont leur importance. "Social-démocrate" parce que François Hollande a fait le choix du dialogue social et qu'il mène, en mettant l'accent sur la compétitivité des entreprises, une politique destinée à relancer l'offre. 

La politique de l'offre n'est pas forcément de droite ! Une politique de l’offre de gauche consiste à aider les entreprises à restaurer leurs marges non pas pour distribuer plus de dividendes à leurs actionnaires, mais pour innover, investir et au bout du compte bâtir une société où nos enfants trouveront des emplois de qualité, et permettre de financer un modèle social ambitieux et durable. 

La politique menée par Hollande est aussi "européenne" parce que, dès le début du quinquennat, il a choisi de suivre le reste de l'Union européenne et de ne pas remettre en cause le pacte budgétaire européen, ce qui est une marque de fidélité à l'ancrage européen des socialistes français. Et ce qui a eu certes un coût important.

La politique de l'UE n'est pas "socialiste"...

C'est vrai. Aujourd'hui, le défi est de réorienter le projet européen pour que le contexte soit plus favorable à l'investissement. Le gouvernement a été trop timide sur ce plan jusqu'ici et il a manqué de clarté. Il doit être plus efficace dans la défense d'une politique de relance, de type keynésienne, qui mette moins l'accent sur la réduction des déficits et de la dette et qui permette d'investir davantage, collectivement. Certaines politiques qui demandent des moyens importants, comme la transition énergétique, ne pourront pas être menées seules, mais deviennent possibles à plusieurs. On y gagnerait du temps, de l'argent, et, espérons-le, du bien-être. Et cela, c'est la gauche.

En choisissant de privilégier le soutien aux entreprises plutôt qu'aux ménages, Hollande s'est-il éloigné du socialisme à la française ?

Le socialisme en France a été dominé, ces dernières décennies, par la priorité donnée au pouvoir d'achat et à la demande, c'est-à-dire à la relance de l'économie par la consommation des ménages. Et aujourd'hui, imposer à l'électorat de gauche une politique de l’offre, qui oriente l'action de l'Etat vers le soutien aux entreprises, c'est quelque chose de compliqué : l'entreprise, "le patron", n'ont pas une connotation positive dans l'imaginaire de tous les socialistes. 

La politique qui est actuellement menée se rapproche presque du socialisme scandinave. Ce sont des idées qui n’ont rien d’exotique quand vous parlez à un social-démocrate suédois, danois, ou même allemand. Bien sûr, cela s'accompagne d'un maintien de la demande : ce n'est pas le moment de couper inconsidérément dans n'importe quelle dépense publique ou sociale.

Peut-on rapprocher la politique menée par François Hollande avec celle de Tony Blair en Grande-Bretagne ou de Gerhard Schröder en Allemagne au début des années 2000 ?

Vous citez les deux modèles du social-libéralisme. Les assimiler à la politique de François Hollande est très exagéré. Le président de la République n'est pas social-libéral ! Le Parti socialiste reste un parti social-démocrate car il n'y a pas, dans son idéologie, une remise en cause de l'assistanat qui était un pan important des politiques de la gauche allemande et de la gauche britannique.

Quant à la différence entre la gauche et la droite françaises, vous verrez qu'elle apparaîtra beaucoup plus nettement à l'approche des prochaines campagnes électorales. Quand on tend l'oreille, on entend bien que la droite demande aujourd'hui le double de réductions des dépenses. Et je ne doute pas qu'elle ouvrira la guerre sur le thème de l'assistanat. Des lignes de front entre la droite et la gauche, il en reste.

A chaque fois que la gauche est arrivée au pouvoir, elle a tenu à avoir un marqueur social fort : la 5e semaine de congés payés en 1981, le RMI lors du second mandat de Mitterrand, les 35 heures sous Jospin. Et sous Hollande ?

C'est vrai que l'on est en droit de se demander : "Qu'est-ce que ce gouvernement de gauche va laisser dans les mémoires ?" Mais contrairement à l'époque de Lionel Jospin ou de Michel Rocard, les marges économiques sont quasi-inexistantes aujourd'hui. Le gouvernement n'a pas les moyens d'une grande réforme. Il a tout de même fait un choix fort en "sanctuarisant" l'éducation, en décidant de lui épargner des coupes budgétaires. Un investissement coûteux dans la formation et l'avenir de nos enfants, que, manifestement, la droite n'aurait pas fait.

Pour le reste, l'exécutif doit mieux savoir raconter et justifier sa politique économique : il ne consacre pas assez d'efforts à montrer qu'elle est bien ancrée à gauche, dans un contexte économique difficile. Il faut savoir expliquer aux Français que pour construire notre futur modèle social, nous avons intérêt à nous occuper de nos entreprises, parce que la bonne santé d'une entreprise, c'est la bonne santé de ses salariés. Et croyez-moi, les salariés sont très conscients de la gravité du moment économique dans lequel on se trouve. Ce climat oblige à reconsidérer nos réflexes de pensée et les idées habituelles des socialistes. 

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