Les raisons du vote massif en faveur du Front national dans le Gard
C'est le seul département où Marine Le Pen est arrivée en tête au 1er tour de la présidentielle. Le FN a aussi bon espoir d'y remporter une circonscription aux législatives. Pourquoi le FN obtient-il de si bons scores dans le Gard ? Explications.
C'est une petite tâche bleue marine qui n'est pas passée inaperçue au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle. Le Gard est le seul département qui a placé Marine Le Pen en tête avec 25,51 % des voix contre 24,86% pour Nicolas Sarkozy et 24,11% pour François Hollande, alors même que la région Languedoc-Roussillon a voté majoritairement pour M. Hollande (26,34%).
Ce n'est pas une nouveauté. En 2002 déjà, Jean-Marie Le Pen était arrivé en tête au premier tour dans le département devant Jacques Chirac et Lionel Jospin, avec 24,85% des voix.
S'en est suivi la parenthèse de 2007. Alors que Nicolas Sarkozy avait marché sur les terres frontistes, M. Le Pen (15,44%) était relégué au quatrième rang au 1er tour, derrière François Bayrou.
Mais Marine Le Pen a su raviver la flamme du FN cette année, dans le sud du département notamment, où elle a flirté avec les 30% dans plusieurs communes comme à Beaucaire (34,12%) ou à Saint-Gilles (35,37%). Une flamme qui pourrait jouer en sa faveur aux législatives, notamment dans la 2e circonscription où le FN a investi le très médiatique Gilbert Collard.
"Le vote extrême n'est pas nouveau"
Damien Alary n'aime pas que l'on stigmatise le vote de son département. Le président du conseil général du Gard rappelle que c'est dans le Vaucluse que Marine Le Pen a obtenu le plus gros score (27,03%) au 1er tour de la présidentielle, même si M. Sarkozy y est arrivé en tête.
S'il affirme avoir été "choqué" par les résultats dans son propre département, il admet pourtant "ne pas en être étonné".
"Le vote extrême n'est pas nouveau surtout dans les zones littorales de Nice à Perpignan", affirme-t-il. "C'est une terre d'accueil, d'immigration, marquée notamment par le rapatriement des Français d'Algérie", qui se sont massivement installés sur le pourtour méditérranéen.
"La fin de l'empire colonial fut un traumatisme historique", note Joël Gombin, doctorant en sciences politiques, auteur d'une thèse sur le vote FN en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
M. Gombin remonte encore un peu plus dans le temps. "Au Sud et à l'Est du Gard, on se situe dans la petite Camargue, qui appartient historiquement à la Provence et qui est marquée par les poids des forces réactionnaires. Le mouvement provençaliste y émerge fin 19ème autour de Mistral, un proche de Charles Maurras".
Un vote qui progresse dans les zones péri-urbaines et rurales
Mais une nouveauté est apparue cette année : outre le littoral, au sud, le vote FN s'est étendu aux Cévennes, dans le nord du département, une zone traditionnellement marquée à gauche, "où l'encadrement communiste a longtemps fait obstacle aux frontistes", comme le rappelle M. Gombin.
"On observe un reflux du vote FN dans les communes rurales, loin des centres urbains, des zones touchées par la désindustrialisation, le chômage -le taux de chômage atteint les 12,7% dans le Gard contre une moyenne nationale de 9,4%-, mais aussi par l'étalement urbain, l'arrivée de nouvelles populations".
"Le discours national du FN, c'est les Français contre les étrangers, mais il est décliné différemment localement, les locaux contre les 'autres'", précise ce spécialiste du vote FN, "la notion d'étranger est plus large. Quelqu'un qui vient de Paris ou de Lyon peut être un étranger", affirme-t-il. En effet, ces migrants intérieurs provoquent des tensions sur les marchés du travail et du logement.
"Il y a un ensemble de citoyens qui appartiennent aux classes populaires ou moyennes inférieures qui ont le sentiment d'être pris en sandwich entre deux groupes sociaux : ces migrants favorisés et les pauvres, souvent des immigrés, puisqu'il y a une forte proportion de main d'œuvre issue d'Afrique du Nord, les grands propriétaires employant des travailleurs dans des conditions catastrophiques".
Le vote FN représente ainsi "une mise à distance symbolique" vis-à-vis de cette catégorie inférieure. "D'où la dénonciation des immigrés et des assistés, car on a l'impression qu'ils sont mieux traités", précise le doctorant en sciences politiques.
"Le vote FN apparaît moins honteux qu'ailleurs"
Autre explication de cette facilité à voter FN : la légitimation "institutionnelle" du vote frontiste dans le Gard, selon Joël Gombin. Le département abrite ainsi la première ville de plus de 10 000 habitants à avoir élu un maire FN dès 1989 : Saint-Gilles.
M. Gombin pointe aussi "le jeu trouble de la classe politique locale". En 1998, le président de la région Languedoc-Roussillon, Jacques Blanc, fait alliance avec le FN pour conserver son mandat, alors qu'il dispose de moins d'élus que le PS, menant à une co-gestion de la région jusqu'en 2004.
De même, selon lui, le discours de certains élus locaux, de droite comme de gauche, à l'image de Georges Frêche, reprenant en partie le discours du FN, font que ce vote "apparaît moins honteux qu'ailleurs".
Un nouveau raz-de-marée aux législatives ?
M. Gombin l'affirme : "Il y toutes les chances que l'on observe la même chose lors des élections législatives". Pourtant, difficile d'opérer des projections entre les deux scrutins.
Et le politologue de pointer notamment une inconnue : "les effets de la médiatisation massive des résultats du FN à la présidentielle et celle de Gilbert Collard", candidat dans la 2e criconscription du Gard, où le FN place beaucoup d'espoirs.
Selon lui, celle-ci pourrait aboutir "à une surmobilisation du vote frontiste comme à une contre-mobilisation des autres électeurs".
Réponse les 10 et 17 juin.
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