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"L'Emission politique" : on a vérifié les affirmations de Laurent Wauquiez sur l'immigration

"La France est le pays européen qui maîtrise le moins bien sa politique migratoire", a affirmé le chef de file des Républicains face au Premier ministre. 

Article rédigé par franceinfo - Louise Hemmerlé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Laurent Wauquiez et Edouard Philippe sur le plateau de "L'Emission politique", le 27 septembre 2018.  (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Lors de de "L'Emission politique" sur France 2, jeudi 27 septembre, le Premier ministre, Edouard Philippe, était opposé à Laurent Wauquiez, président des Républicains. Ce débat très attendu entre deux personnalités de premier plan, issues à l'origine de la même famille politique, a surtout porté sur l'immigration. Laurent Wauquiez a vivement critiqué la politique de l'exécutif sur le sujet, mais en faisant parfois des raccourcis. Franceinfo décortique le vrai du faux.

Affirmation 1 : le gouvernement a délivré 250 000 titres de séjour cette année

"Cette année, votre gouvernement a délivré 250 000 titres de séjour supplémentaires pour de nouveaux immigrés", a affirmé Laurent Wauquiez à Edouard Philippe. L'année étant en cours, les chiffres de 2018 ne sont pas encore disponibles. Mais penchons-nous sur ceux de 2017.

Une première estimation du ministère de l'Intérieur publiée par la Direction générale des étrangers en France (DGEF) en janvier 2018 faisait état de 262 000 titres de séjour délivrés en 2017, soit une hausse de 13,7% sur un an. Or, les données de la DGEF ont été affinées six mois plus tard et font en réalité état de 242 665 titres de séjour délivrés en 2017, soit une augmentation de 5% par rapport à 2016.

Mais ces chiffres englobent des réalités très différentes. Ils concernent les titres de séjour délivrés aux étudiants, aux migrants économiques, aux réfugiés, ainsi qu'aux personnes ayant eu un titre grâce au rapprochement familial. En l'occurrence, la hausse observée en 2017 est principalement poussée par l'augmentation de 56,5% des titres de réfugiés et de bénéficiaires de la protection subsidiaire, ainsi qu'à l'augmentation des titres accordés à des étudiants, notamment venant de Chine et du Maghreb.

D’autre part, les expulsions d'étrangers en situation irrégulière ont augmenté de 14,6% en 2017, avec un total de 14 859 retours forcés. A côté des expulsions, le nombre des étrangers "non admis" aux frontières est passé de 45 000 à 85 000 entre 2016 et 2017, a indiqué le ministre de l’Intérieur.

Affirmation 2 : il y aura un million d'immigrés supplémentaires à la fin du quinquennat

"Si rien ne change, cela signifiera que sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, la France connaîtra un million d’immigrés en plus", a affirmé Laurent Wauquiez. Il semble ici multiplier par cinq le nombre de titres de séjour accordés en 2017. Mais ce calcul est faussé, car il ne prend pas en compte les titulaires d'un titre de séjour qui décident de quitter le territoire chaque année, ce qui est notamment le cas des étudiants étrangers.

Cette différence entre les entrées et les sorties de personnes sur le territoire français, le solde migratoire, est calculée par l'Insee. Les dernières données dont on dispose datent de 2015 : 253 000 immigrés étaient entrés légalement sur le territoire, et 79 000 l'avaient quitté, soit un solde migratoire de 174 000 personnes. Multiplié par cinq, on est loin du million. Prudence, cependant, avec cette comparaison. Pour l'Insee, "immigré" n'est pas synonyme d'"étranger" : elle classe comme "immigrés" tous les résidents qui ne sont pas nés en France, y compris les personnes qui ont été naturalisées françaises et n'ont donc plus besoin de titre de séjour.

Affirmation 3 : l'exécutif a décidé d'attribuer 80 000 titres de migrants économiques en 2018

"C’est vous qui décidez cette année de donner 80 000 titres de migrants économiques", a lancé Laurent Wauquiez à Edouard Philippe. Encore une fois, il ne peut pas s'agir des chiffres de 2018. Si l'on prend en compte ceux de 2017, 27 209 titres de séjour ont été délivrés au titre de l'immigration économique, selon la DGEF, soit une augmentation de 18% par rapport à 2016. Laurent Wauquiez a ici largement multiplié les statistiques.

D'autre part, l'augmentation de cette immigration économique s'inscrit dans la volonté du gouvernement d'attirer un salariat plus qualifié en France. En 2016, le "passeport talents" destiné aux chercheurs, aux créateurs d'entreprise ou encore aux artistes a ainsi généré 23 260 titres de séjour.

Affirmation 4 : 30 000 sans-papiers ont été régularisés cette année

"Vous avez régularisé 30 000 clandestins cette année", a affirmé Laurent Wauquiez face à Edouard Philippe. En réalité, il n'existe pas de chiffres officiels quant à la régularisation des clandestins qui vivent en France, mais le sujet avait été remis sur la table au moment des débats autour de la loi Collomb sur l’immigration. Des députés LR étaient montés au créneau, mentionnant un "plan caché de 40 000 régularisations".

Cela faisait suite à un article du Monde dans lequel un élu de la majorité s'était exprimé, en off, en faveur d'une régularisation "de 10% des 300 000 sans-papiers" vivant en France. Il s'interrogeait cependant : "Est-ce qu’on est obligés de communiquer là-dessus ? Je ne sais pas, le risque, c’est que l’on brouille le message, alors que jusque-là on a réussi à montrer que l’on tient un cap."

"La vérité, bien qu'on n'en parle évidemment pas beaucoup, c'est que de telles régularisations ont lieu tous les ans", avait par la suite estimé un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur interrogé par Le Figaro dans un article sur ce supposé "plan caché" agité par les députés LR. "Sur les 263 000 immigrés qui ont obtenu un titre de séjour l'année dernière, de 30 000 à 40 000 d'entre eux l'ont obtenu au titre d'une régularisation, c'est-à-dire qu'ils étaient auparavant sur le sol national en toute illégalité", avait-il expliqué.

Affirmation 5 : la France est l'un des pays d'Europe qui accueillent le plus de demandeurs d'asile

"La France aujourd’hui est un des pays de l’Europe qui accueillent le plus de réfugiés", a affirmé Laurent Wauquiez, qui a précisé parler des "demandeurs d'asile". Selon Eurostat, 99 330 demandes d'asile ont été déposées en France en 2017 (100 412 demandes, selon l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides). C'est moins qu'en Italie (128 850) et en Allemagne (222 560). La France se classe au deuxième rang quand on s'intéresse au nombre de personnes qui ont obtenu l'asile en 2017 (40 575), là encore loin derrière l’Allemagne (325 370).

Ces chiffres sont cependant à relativiser. Selon les données d’Eurostat, la part des demandeurs d’asile en France par rapport à la population française est moins importante qu’en Belgique, en Allemagne, en Grèce, à Chypre, au Luxembourg, à Malte, en Autriche, en Suède, en Italie et en Belgique. En fait, la part de demandeurs d'asile en France est inférieure à la moyenne de l'Union européenne. Idem quant à la part de personnes ayant obtenu l’asile.

Affirmation 6 : le budget de l'aide médicale de l'Etat a fortement augmenté

"Le budget que vous avez fait voter est avec l’une des plus fortes hausses de l’aide médicale de l’Etat", a fustigé sur le plateau de France 2 Laurent Wauquiez, en référence à cette aide médicale accessible aux étrangers sans papiers résidant en France depuis plus de trois mois et qui en font la demande. Le patron des Républicains souhaiterait la voir réduite aux soins d'urgence.

Le projet de loi de finances 2018 prévoit bien une hausse du budget de l'aide médicale de l'Etat de 108 millions d'euros "afin de financer la hausse tendancielle de la dépense" qui correspond à la hausse du nombre de bénéficiaires. Le texte prévoit aussi un renforcement des dispositifs de contrôle et de lutte contre la fraude par la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) pour assurer une gestion plus rigoureuse de cette aide.

Pour la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, supprimer l'AME serait "une faute au regard de la santé publique" car ce dispositif permet de protéger les bénéficiaires "contre des maladies infectieuses, les protéger de maladies chroniques et éviter un surcoût éventuel pour l'hôpital public", avait-elle argumenté en 2017.

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