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Grandes manœuvres et petits coups bas... Patrick Stefanini, l'homme de l'ombre qui a tenté de sauver la campagne de Fillon

Article rédigé par Sophie Brunn
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Patrick Stefanini, directeur de campagne de François Fillon, lors d'un meeting le 25 novembre 2016 à Paris. (WITT/SIPA)

Il a été l'un des artisans majeurs de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle en 1995 et de celle de Valérie Pécresse en Ile-de-France en 2015. Portrait d'un chef d'orchestre qui avait la réputation de remporter les campagnes désespérées, et a finalement quitté celle de François Fillon.

"Ma démission est irrévocable". Patrick Stefanini a confirmé vendredi 3 mars à Libération qu'il cessait d'assurer la direction de la campagne de François Fillon, avec un départ effectif dimanche soir 5 mars. L'homme-clef de la campagne du candidat de la droite avait la réputation de remporter les scrutins qui semblaient perdus d'avance. Mais même lui a paru démuni face aux ennuis de son candidat.

Des victoires dans des campagnes impossibles...

C’est son principal fait d’armes, qui a fait de lui un homme qui compte à droite, surtout pour les campagnes électorales désespérées. En 1995, il codirige la campagne de Jacques Chirac, donné largement battu par Edouard Balladur plusieurs mois durant dans les sondages. Jean-François Copé, un des "bébés Chirac", s’en souvient : "On était très peu nombreux, et confrontés en permanence au mépris de nos collègues de l’époque. Stefanini était très solide, bosseur, rigoureux, des qualités qu’il a toujours aujourd’hui." En mai, Chirac accède à l’Elysée. La réputation de "Stef", comme l’appellent ceux qui ont travaillé avec lui, est faite. "C’est un mec carré, un roc. Il n’est pas très chaleureux, mais ça dépote", dit un cadre des Républicains qui le connaît depuis vingt ans.

L'équipe de campagne de Jacques Chirac, réunie à Paris le 12 janvier 1995 : Jean-Louis Debré, François Baroin, Hervé Gaymard, Jérôme Bignon et Patrick Stefanini (de gauche à droite). (GEORGES BENDRIHEM / AFP)

En 2015, c’est Valérie Pécresse qui fait appel à lui pour les régionales en Ile-de-France. Dans l’entourage de l’actuelle présidente de région, on salue pêle-mêle son "sang-froid", son sens du détail, de la distribution de tracts à l'élaboration du programme, en passant par le remplissage des salles, sa "parfaite connaissance de l’histoire de la droite française, importante pour réussir la mobilisation". Sans compter la disponibilité "jour et nuit" de celui qui "carbure au chocolat chaud et au Nutella". Après une violente campagne, bouleversée par les attentats du 13-Novembre, Valérie Pécresse emporte une région dirigée par la gauche depuis dix-sept ans.

Valérie Pécresse et Patrick Stefanini au QG de campagne, au soir du second tour de l'élection régionale en Ile-de-France, le 13 décembre 2015. (ELODIE GREGOIRE/REA)

... mais des défaites quand il est candidat

Si Stefanini a la réputation de faire gagner ses poulains, cet énarque a échoué à chaque fois lorsqu’il était lui-même candidat. D’abord aux élections municipales de 1995 où, à la demande de Jacques Chirac, qui vient d’être élu président, il est parachuté à Nice, second sur la liste de Jean-Paul Baréty. C’est Jacques Peyrat, ex-Front national, qui l’emporte. "C’était un pari insensé, commente aujourd’hui Jérôme Grand d’Esnon, lui aussi présent à l’Elysée aux côtés de Chirac à cette époque. L’idée de parachuter quelqu’un à Nice était loufoque !"

Rebelote aux législatives de 1997, convoquées après la dissolution surprise de l’Assemblée nationale. Stefanini est rentré à Paris et se porte candidat dans le 18e arrondissement, face au socialiste Christophe Caresche. Celui-ci se souvient d'une campagne "à l'ancienne, très méthodique, systématique, comme auraient fait Chirac ou Pasqua. Sa stratégie était de segmenter l'électorat : mobiliser telle ou telle communauté, telle catégorie socioprofessionnelle... Par exemple, il avait invité à déjeuner tous les médecins de la circonscription !" Rien d'illégal, mais Christophe Caresche décrit aussi son adversaire de l'époque comme "sans scrupules" et prêt à fomenter des "coups tordus". Le JDD assure ainsi que Daniel Vaillant, alors maire du 18e arrondissement, ne lui serre plus la main depuis cette campagne, persuadé qu'il faisait courir des rumeurs sur sa vie privée.

Patrick Stefanini en campagne dans la législative partielle de la 17e circonscription de Paris, le 18 janvier 2003. (JEAN-PIERRE MULLER / AFP)

Stefanini ne renonce pas pour autant et se représente cinq ans plus tard, toujours à Paris, cette fois dans la circonscription à cheval entre les 17e et 18e arrondissements. Peine perdue ! Il échoue face à la socialiste Annick Lepetit. Et sera encore plus nettement battu en 2003, après l'annulation du premier scrutin par le Conseil constitutionnel. "Il n’est pas fait pour ça, estime Jérôme Grand d’Esnon. Il n’est pas assez extraverti. C’est un haut fonctionnaire de très grande valeur, mais il est beaucoup plus fait pour rester dans l’ombre." Ce n’est pas l’avis de Brice Hortefeux, qui le connaît depuis 1995.

Franchement, Fillon ou Juppé, vous les trouvez très chaleureux ? C’est une blague, ça ! On est élu sur un courant. On lui aurait donné une bonne circo, il aurait été élu.

Brice Hortefeux

à franceinfo

"Le vrai ministre, c'était lui"

En 2007, quand Nicolas Sarkozy accède à l’Elysée, il crée le controversé ministère de l’Immigration, de l’intégration et de l'identité nationale. Il y nomme le fidèle Brice Hortefeux, qui fait rapidement venir à son cabinet Patrick Stefanini, alors en poste à la direction des étrangers du ministère de l’Intérieur. Aujourd’hui encore, Brice Hortefeux ne tarit pas d’éloge sur le travail fourni par celui qui allait devenir secrétaire général du ministère. "C'est lui qui a mis en place administrativement ce ministère, qui a récupéré des compétences auparavant gérées par les Affaires sociales, le ministère de l’Intérieur et le Quai d’Orsay. Il a joué un rôle majeur", dit-il à franceinfo. Traduction d'un cadre des Républicains : "Le vrai ministre, c’était lui, pas Brice. C’est lui qui tenait la boutique." Brice Hortefeux, qui voit en lui "un des quatre ou cinq meilleurs spécialistes en France des questions migratoires", définit sa doctrine avec euphémisme : "Il n’est pas pour la liberté de circuler à tout-va."

La ligne Stefanini se retrouve aujourd’hui dans les propositions du candidat Fillon, même s’il se défend sur ce point d’être le représentant de la droite dure. "Vous avez vu la réaction de Patrick Weil à nos propositions ?" se félicite-t-il auprès de franceinfo. L’historien, spécialiste de l’immigration et plutôt classé à gauche, a parlé sur Europe 1 d'"un discours de droite républicaine, qui respecte les valeurs fondamentales de la République, les droits de l’homme, le droit d’asile, le droit à la vie familiale".

En 2009, Patrick Stefanini ne s’entend pas avec Eric Besson, nouveau ministre de l’Immigration. Il demande alors à être nommé préfet de région en Auvergne, chez son ami Brice Hortefeux. Celui-ci raconte : "J’en ai parlé à Nicolas Sarkozy, qui m’a dit : 'Ce n’est pas un peu trop petit pour lui, l’Auvergne ?' Mais c’était son choix. Il aime bien les promenades en montagne, et ne voulait pas trop s’éloigner de Paris pour des raisons familiales."

Patrick Stefanini, Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux, le 7 avril 2011 à Issoire (Puy-de-Dôme). (LUDOVIC/REA)

Très proche collaborateur de Juppé, que ce soit au RPR dans les années 1990, à la mairie de Paris ou à Matignon en 1995, Stefanini a aussi partagé avec le maire de Bordeaux une épreuve : ils ont tous les deux été condamnés dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. Plusieurs membres du cabinet de Jacques Chirac, alors maire de la capitale, sont accusés d’avoir travaillé pour le RPR.

Lors du procès, la présidente s’étonne ainsi de l’emploi du temps surchargé de Stefanini : "Mais est-ce que vous vous vous nourrissiez, parfois ? Est-ce que vous dormiez ?" lui demande-t-elle. L’Obs rapporte sa réponse : "Madame, je pense avoir géré correctement mes deux activités. Si vous pensez le contraire, j’en suis le seul responsable, et en aucun cas Monsieur Chirac ou Monsieur Juppé." 

"Il a été très digne, commente pour franceinfo un protagoniste de l’affaire. Certains se sont écroulés en larmes, ce n’est pas son style." Juppé comme Stefanini seront condamnés, le premier à 14 mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité, le second à 10 mois de prison avec sursis. Une "blessure", d’après un proche des deux hommes : "De ce point de vue, ils sont faits du même bois, ce sont des hommes de devoir."

"Il n'aurait rien fait sans le feu vert de Juppé"

Ce très proche d’Alain Juppé n’est pas allé, de lui-même, proposer ses services à François Fillon. Quand le député de Paris le sollicite, en 2013, Stefanini veut d’abord sonder le maire de Bordeaux. Il le convie donc à dîner chez lui, avec son épouse. Nul doute que si Alain Juppé lui avait demandé de rester avec lui, il aurait accepté. Mais à l’époque, il n’a pas encore pris la décision d’être candidat. "Il n’a pas fait un signe", raconte Patrick Stefanini à franceinfo, visiblement déçu. "Juppé ne se sent pas le droit de le retenir", explique un proche du maire de Bordeaux. Stefanini prend encore la peine de rappeler Juppé par téléphone, avant de se résigner à partir chez Fillon. "Il n’aurait rien fait sans le feu vert de Juppé, il est parti par défaut", assure un cadre des Républicains.

Mais une fois rallié, Stefanini accomplit sa mission sans état d’âme, n’hésitant pas à jouer les porte-flingues pour son nouveau poulain. Dans le camp de Nicolas Sarkozy, on le soupçonne d’avoir beaucoup œuvré quand il s’est agi de faire payer à l’ancien président les pénalités pour dépassement des frais de campagne. Ce qu'affirme un membre de la direction du parti : "Fillon et Stefanini étaient dans l’idée de régler des comptes avec Copé et Sarkozy." "'Stef' était à la manœuvre, assure un autre. Rappelez-vous, c’était à l’époque où Fillon a rencontré Jouyet, il voulait tuer Sarko."

S’il faut flinguer, 'Stef' est un flingueur.

Un membre de la direction des Républicains

à franceinfo

Patrick Stefanini et François Fillon, le 28 août 2015 à Sablé-sur-Sarthe. (JEAN-FRANÇOIS MONIER / AFP)

Dans la longue campagne des primaires, Stefanini utilise à nouveau les mêmes méthodes : boîtage systématique, tour de France du candidat, positionnement de droite très affirmé. Et une organisation minutieuse des meetings, dont témoigne Pierre Danon, directeur adjoint de la campagne de la primaire et ancien patron de Numericable : "C'est un grand bonhomme de la 'mob' [la mobilisation]. Le phoning, les cars pour emmener les militants, il a du métier pour tout ça... Et il n'a pas d'ego mal placé. S'il faut donner un coup de main, il n'est pas assis au premier rang en vedette, il est dans l'action." Il serait aussi capable de "devenir assez sanguin quand il perd confiance".

L'artisan de la victoire de Fillon

Malgré les sondages en berne – jusqu’à la rentrée de septembre, Fillon était à moins de 10% – il ne lâche rien. "Ce que j’ai admiré, c’est sa capacité à tenir la machine dans la durée, à continuer à faire le job avec la même détermination, quels que soient les paramètres extérieurs", dit Gilles Boyer, directeur de campagne de Juppé, longtemps favori de la course.

Sans cette persévérance et cette capacité organisationnelle, Fillon n’aurait peut-être pas gagné.

Gilles Boyer

à franceinfo

Patrick Stefanini joue aussi un rôle dans la mobilisation des réseaux catholiques. Lui-même catholique pratiquant, il a "l’intuition" d’organiser un grand rassemblement en faveur des chrétiens d’Orient au Cirque d’hiver, en juin 2015. Cette curieuse soirée,  Le Point rapporte que politique et religion se mêlent, fait office de "ballon d’essai" pour le candidat, explique un collaborateur. "C’est là qu’il a vu qu’il y avait un électorat très sensible sur ce sujet, qui à ce moment n’est pas forcément acquis à sa cause."

Il serait aussi à l'origine du rapprochement avec le mouvement Sens commun, issu de la Manif pour tous. L'Obs assure même qu'il aurait fomenté un "mini-putsch" pour faire élire un filloniste à la présidence du mouvement, en remplacement d'un militant acquis à la cause de Nicolas Sarkozy. L'apport de ces réseaux s'est révélé précieux dans la mobilisation pour la campagne de la primaire.

Impuissant à enrayer le "PenelopeGate" ?

Dimanche 29 janvier, à la fin du meeting de la Villette, à Paris, où Penelope Fillon a accompagné son mari, Patrick Stefanini s’approche des journalistes encore présents. Tout sourire, il interroge : "Qui se souvient de l’affaire des terrains de Bernadette en 1994 ? Qui ?" Personne ne répond. Il enchaîne alors : "En 1994, Le Canard nous appelait toutes les semaines pour exiger une réponse sur cette affaire… Qui s’en souvient aujourd’hui ?" Et de tourner les talons avec un sourire... En matière d’affaires qui pourrissent une campagne, lui qui a été directeur de campagne de Chirac en 1994-1995 en a vu d'autres. "Sauf qu’à l’époque, en 94, il n’y avait rien. Là, pour François Fillon, le problème est très facile à comprendre…" soupire un témoin de l’époque, toujours grand élu des Républicains. "Patrick Stefanini n’est pas dans le déni, poursuit-il, mais dans une lucidité combative. Mais il n’y a pas grand-chose à faire."

Patrick Stefanini arrive au siège des Républicains à Paris, le 7 février 2017. (MARTIN BUREAU / AFP)

Etait-il au courant que François Fillon avait employé sa femme ? Chez Les Républicains, beaucoup en doutent.

"Je pense qu’il est tombé de l’armoire. Sinon il aurait peut-être pu désamorcer l’affaire ou tenter de la traiter d’une manière ou d’une autre.

Un cadre des Républicains

à franceinfo

Dans une autre campagne, qui s’est révélée assez violente, Patrick Stefanini avait pris toutes les précautions possibles. Aux régionales de 2015, en Ile-de-France, il avait passé en revue avec Valérie Pécresse tout ce qui aurait pu lui être reproché, même de manière totalement injuste ou infondée. De ses déclarations politiques, éventuellement ambiguës, à ses votes à l’Assemblée, en passant par des éléments plus personnels, comme l’embauche d'une femme de ménage ou ce qui aurait pu ressembler à un passe-droit. Visiblement, avec François Fillon, il n’a pas pu ou pas su le faire.

Malgré la tourmente, Patrick Stefanini s'accroche aux fondamentaux. C'est lui qui a ainsi organisé la quinzaine de réunions publiques, partout en France, menées par des ténors du parti Les Républicains les 16 et 17 février. Cela correspond à sa volonté de "mailler" le territoire. François Fillon devrait se rendre dans 25 départements tout au plus pendant la campagne. Or "il faudra être présent, y compris dans les sous-préfectures", expliquait Patrick Stefanini à franceinfo mi-janvier. Le directeur de campagne a donc mis en place toute une série de déplacements : aux poids lourds politiques, les préfectures ; aux personnalités de second plan, les villes de moindre taille. Pour rassurer les troupes, celui qui peut parfois paraître comme "froid et assez cassant" aurait plutôt donné dans la "câlinothérapie".

S'il y a quelqu'un qui appelle quotidiennement les parlementaires, les bichonne, les rassure, c'est lui.

Pierre Danon

à franceinfo

Des efforts qui ont permis de "tenir" les troupes, a minima, derrière le candidat Fillon. Mais pas de reprendre la main sur la campagne. Avant les affaires, mi-janvier, Stefanini confiait à franceinfo : "Le calendrier est l'arme fatale de la campagne." Aujourd’hui, il ne le maîtrise plus.

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