Primaire à droite : pourquoi la campagne de Bruno Le Maire ne décolle pas
A un mois du scrutin, le député de l'Eure perd du terrain dans les sondages. Franceinfo s'interroge sur les limites de la stratégie du "renouveau" de Bruno Le Maire.
"Le renouveau, c’est Bruno" : le slogan a du plomb dans l’aile. Bruno Le Maire est à la peine dans les sondages à tout juste un mois du premier tour de la primaire à droite, fixé au 20 novembre. Il se fait même contester la troisième place par François Fillon, selon les enquêtes d'opinion qui ont suivi le premier débat du 13 octobre. Pour rester dans la course, le député de l'Eure va tenter de se reprendre lors de "l'Emission politique" sur France 2, jeudi 20 octobre.
Pour le moment, la dynamique de la campagne pour la présidence de l'UMP en 2014 semble bien loin. A l'époque, le quadragénaire avait surpris les observateurs en obtenant près de 30 % des voix. Un score qui semble aujourd'hui hors d'atteinte pour l'ancien ministre de l'Agriculture, qui stagne depuis plusieurs semaines entre 8 et 13 %. "On ne croit pas du tout aux sondages, répond l'un de ses conseillers à franceinfo, notre pari, c'est que les gens se décideront au dernier moment."
Une difficulté à fendre l'armure
Bruno Le Maire a semblé en grande difficulté lors du premier débat sur TF1. "Ceux qui le connaissent bien auraient aimé le voir plus offensif", concède un conseiller du candidat. Le député de l'Eure n’est pas parvenu à se faire entendre sur ses propositions et s’est même emmêlé les pinceaux à certains moments, comme lors de sa confusion entre emplois aidés et emplois publics.
Sur un débat télé, il n'a pas la même expérience que de vieux crocodiles comme Sarkozy et Juppé.
"Il a semblé interdit, quelque chose s'est grippé dans la dynamique", confie à franceinfo Arnaud Mercier, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-2-Panthéon-Assas. Interrogé par franceinfo après une réunion publique à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), lundi 17 octobre, Bruno Le Maire confirme les difficultés éprouvés lors de l'exercice télévisé : "C'est plus facile d'être en meeting, entouré de gens qui vous soutiennent, qu'en débat avec une petite lumière rouge qui s'allume au bout de 50 secondes."
Selon ses propres mots, il n’a "pas réussi à mettre [s]es tripes sur la table". "Tout le problème de Bruno, c'est son côté premier de la classe, trop bien éduqué, trop poli", ajoute son conseiller. Pour casser cette image de "bac +18" (selon le sobriquet dont l'a affublé Nicolas Sarkozy), le candidat promet de "fendre l'armure", notamment lors de son passage dans L'Emission politique sur France 2. L'ancien ministre a d'ailleurs commencé à casser les codes sur M6 dans l'émission Ambition intime, où il s'est révélé lecteur de Voici et Gala, et amateur de films populaire tels que OSS 117, Les Tuche et Camping.
Un "renouveau" qui a pris un coup de vieux
Si Bruno le Maire ne suscite pas le même engouement qu'en 2014, c'est aussi parce que la nouveauté de son style s'est un peu essoufflée. La chemise blanche portée sans veste et sans cravate, les meetings debout au milieu du public… tout cela n'apporte plus le même vent de fraîcheur. Le bénéfice des 30 % obtenus lors de son combat pour prendre la tête de l'UMP a une "date de péremption", estime l'éditorialiste Christophe Barbier dans le documentaire Bruno Le Maire, l'étoffe du héros ?, diffusé lundi prochain à 20 h 55 sur France 3.
Plusieurs sympathisants de droite, venus lundi à son meeting de Neuilly pour l'observer, confirment cette impression. "Il parle de renouveau, mais c'est quoi le renouveau ? Si c'est juste un changement de tête, ce n'est pas suffisant…", prévient Jean-Philippe. "Il surjoue un peu sa communication. Il affiche une volonté de modernité, mais la modernité c'est avant tout une question de vision et pas d'âge", renchérit Dominique, partisan de Jean-Frédéric Poisson.
Une pointe de lassitude
Et puis, il y a peut-être un peu d'essoufflement pour un Bruno Le Maire qui accumule les réunions publiques partout en France depuis deux ans. Après avoir fait plus de 400 déplacements, il peut y avoir un peu de découragement en constatant que la mayonnaise ne monte pas. "Je crois qu'il a cru pendant un moment qu'il était irrésistible, et qu'il se rend compte que ça ne prend pas", estime Arnaud Mercier, spécialiste de la communication politique.
Je pense qu'il possède un énorme ego et qu'il accuse le coup.
"Bruno Le Maire est un chimpanzé et non un babouin", avance Arnaud Mercier, qui explique que la société des babouins est beaucoup plus brutale avec de nombreux morts dans la lutte pour la domination, comparée à celle des chimpanzés chez qui l'ordre hiérarchique se renverse beaucoup plus en douceur. "En gros, je pense que Bruno Le Maire n'y pense pas tous les matins en se rasant, et que pour lui tous les coups ne sont pas permis", explicite-t-il.
Dans le documentaire Bruno Le Maire, l'étoffe du héros ?, Alain Duhamel nuance cette théorie : "Il est très déterminé, il sait ce qu'il veut, c'est un alpiniste du pouvoir." Reste que Bruno Le Maire a déjà fait les frais d'un caractère trop tendre, comme lorsqu'en 2011, il s'est fait ravir au dernier moment la place de ministre de l'Economie au profit de François Baroin. Une humiliation politique qui aurait agi comme un déclic et renforcé sa détermination à conquérir le pouvoir. "C'est à ce moment-là qu'il a pris la décision de changer de braquet", se souvient la journaliste Véronique Auger dans le documentaire Bruno Le Maire, l'étoffe du héros ?.
Une difficulté à faire entendre ses idées
"Bruno en est resté au renouveau, mais sans clef de lecture. Son spectre d'idées n'est pas identifié à quelque chose, ça ne percute pas", analyse auprès de franceinfo un ténor de la droite issu de la génération des "quadras" de l'opposition. François Fillon va encore plus loin dans le JDD. Bruno Le Maire, "c'est une construction artificielle. Il se met en scène, mais n'arrive pas à apparaître comme quelqu'un de sincère qui porte un projet". "Le programme de Bruno le Maire, finalement, c'est son âge", lâche un sympathisant de droite présent au meeting de Neuilly.
Pourtant, le candidat a publié en septembre un "contrat présidentiel" de plus de 1 000 pages, avec plusieurs propositions originales comme la réduction du nombre de parlementaires, la fin du cumul des mandats ou la privatisation de Pôle emploi. Mais l'ancien ministre ne parvient pas à se démarquer suffisamment des autres candidats avec qui il partage par ailleurs bon nombre de points d'accord.
A la sortie de la réunion, Renan, un militant LR, avoue sa déception concernant les idées du député de l'Eure : "Pour les arguments, c'est assez simpliste, que ce soit au niveau du chômage ou de la sécurité, je n'ai pas entendu la solution." Ce fonctionnaire de 44 ans a voté Bruno Le Maire en 2014 pour la présidence de l'UMP, mais penche plutôt pour Alain Juppé cette fois-ci.
Un espace politique saturé
La principale différence pour Bruno Le Maire entre 2014 et aujourd'hui réside dans l'offre politique à droite. Pour la présidence de l'UMP, Bruno Le Maire a bénéficié d'un report des voix de certains opposants à l'ancien président, comme François Fillon. Cette fois, avec six autres candidats en course, il est beaucoup plus difficile de faire la différence. "Il essaye de se démarquer, mais il est écrasé au milieu des cadors comme Juppé et Sarkozy", note Arnaud Mercier.
Finalement, cela montre que le désir de rupture n'est pas aussi fort qu'il ne l'espérait.
En réponse aux mauvais sondages, son équipe de campagne insiste sur la popularité du candidat, en hausse de 9 points selon le dernier baromètre Ipsos. Dans les allées de son meeting, beaucoup de sympathisants évoquent leur sympathie pour le candidat, sans pour autant vouloir voter pour lui. "Il est trop jeune pour cette présidentielle", estime Pierre, un militant de 20 ans, "il s'est présenté pour se faire connaître". "Sur l'essentiel, ils sont tous d'accord, du coup, je préfère me tourner vers un candidat avec de l'expérience", ajoute Jean-Philippe.
Le député de l'Eure semble également souffrir de la stratégie de "vote utile" d'une partie des sympathisants, qui souhaite faire barrage à Nicolas Sarkozy. "Les gens ont tellement peur de Sarkozy qu'ils veulent voter Juppé", se désole un conseiller de Bruno Le Maire. Et ce dernier de tenter de convaincre une dernière fois : "Le vote utile n'est pas un vote d'espoir, mais de renoncement. Si la primaire se solde par un vote par défaut, ce sera un échec pour tous."
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