Xavier Bertrand sous la pression des candidats de droite à la présidentielle : "S'il ne rejoint pas la primaire, il sera cuit"
Le président de la région Hauts-de-France refuse de participer à une primaire de la droite. Cependant, il n'a pas réussi à s'imposer comme le candidat naturel de son camp. Ses concurrents, Valérie Pécresse en tête, comptent bien en profiter.
"Xavier Bertrand avait de l'avance, aujourd'hui il patine et bientôt il va reculer", prophétise un poids lourd du parti Les Républicains. En cette rentrée politique où tous les regards sont tournés vers la prochaine élection présidentielle de 2022, le patron de la région Hauts-de-France est mis sous pression par ses concurrents à droite, qui aimeraient le voir rentrer dans le rang. Mais le candidat, qui s'est lancé dans la course à l'Elysée dès le mois de mars, assure toujours qu'"en aucun cas de figure" il ne participera à une primaire de la droite, comme il l'a encore répété, lundi 23 août, sur Europe 1.
"La primaire, ce n'est pas mon affaire parce que je veux un contact direct avec les Français."
Xavier Bertrand, candidat à l'élection présidentiellesur Europe 1
La position de l'ancien ministre du Travail, qui a quitté Les Républicains fin 2017, commence à agacer au sein de sa famille politique. "Si Xavier Bertrand persiste à vouloir y aller seul, il va apparaître comme le diviseur et ça ne va pas tarder à lui coûter cher dans l'opinion", estime le sarkozyste Brice Hortefeux. "Macron a pu gagner sans le PS, mais Bertrand ne peut pas gagner sans LR, il a besoin de nous", note pour sa part le LR Daniel Fasquelle, maire du Touquet-Paris-Plage (Pas-de-Calais) et proche du candidat à la primaire Michel Barnier. "La meilleure façon de tendre la main, c’est de prendre part à la règle du jeu collective", a également déclaré Valérie Pécrese sur RTL.
"La primaire est morte"
Pour l'instant, Xavier Bertrand tient son cap et l'annonce jeudi de la non-candidature de Laurent Wauquiez lui a donné le sourire. "C'est une très bonne nouvelle pour lui. La primaire est morte, elle perd toute crédibilité", a confié à France Télévisions l'entourage du candidat. Un autre proche s'est même essayé à la métaphore footballistique : "Vous imaginez une Ligue des champions avec Arsenal, Brest et Guimaraes ?"
Ces derniers jours, le casting de l'éventuelle primaire s'est affiné. Après Valérie Pécresse et Philippe Juvin, Eric Ciotti a annoncé sa candidature jeudi, suivi dans la foulée par l'ancien commissaire européen Michel Barnier. Sauf surprise dans les prochaines semaines, ils devraient donc être quatre à se placer sur la ligne de départ.
Officiellement, l'affiche n'inquiète pas Xavier Bertrand qui poursuit le déploiement de son plan de communication. Reportage photos avec sa femme lors de ses vacances dans Paris Match, interview dans Le Journal du dimanche (article pour les abonnés), sur Europe 1 et dans les "4 Vérités" de France 2, déplacement en Indre-et-Loire pour commémorer un massacre des nazis... Le candidat se démultiplie pour ne pas céder de terrain. "Avec la rentrée, il s'emploie à reprendre le tempo de l'actualité et à sortir quelques idées fortes. On veut qu'il soit leader d'opinion", explique le député LR Julien Dive, un proche lieutenant. Dans le JDD, le candidat a par exemple annoncé vouloir "interdire le salafisme". En Indre-et-Loire, il a dit vouloir que la France reste au Sahel pour combattre l'islamisme radical.
Un match à distance
Toutefois, Xavier Bertrand n'est plus seul à occuper l'espace médiatique à droite. "Désormais, quand vous avez Bertrand sur Europe 1, vous avez Pécresse au même moment sur RTL. L'équilibre est fait", observe Brice Hortefeux. La présidente de la région Ile-de-France, candidate depuis fin juillet, est également très présente en cette rentrée politique. "Elle est allée à la rencontre des Français dans de nombreux départements. A chaque fois, elle s'empare d'un thème et elle développe un certain nombre d'idées", détaille Patrick Stefanini, l'ancien directeur de campagne de François Fillon, qui a accepté de reprendre du service pour la candidate, dont il est un proche de longue date.
"L'action de Valérie Pécresse, cet été, a créé le match."
Patrick Stefanini, directeur de campagne de Valérie Pécresseà franceinfo
Immigration, justice, école, ou encore écologie : la candidate a notamment détaillé dans le Point (article pour les abonnés), mi-août, plusieurs propositions fortes pour accélérer sa campagne. "Tu as l'atout de la modernité, il faut maintenant que tu y ajoutes l'autorité", lui a récemment conseillé un ancien ministre. Côté stratégie, l'élue francilienne cherche à apparaître comme la candidate qui travaille ses dossiers et avance des propositions, un peu à l'image d'un François Fillon, vainqueur de la primaire en 2016, et rêve de renvoyer Xavier Bertrand à une posture de candidat qui se contenterait de gérer son avance dans les sondages, comme un certain Alain Juppé il y a cinq ans, favori qui n'a finalement pas su convaincre son propre camp.
En face, le clan Bertrand cherche à éviter toute comparaison avec Valérie Pécresse (elle aussi ex-LR), comme avec les autres prétendants de droite. "Il n'y a pas de match à distance entre Xavier Bertrand et Valérie Pécresse. L'un est candidat à la présidentielle donc en match avec Emmanuel Macron. L'autre passe par la primaire...", balaye le député Julien Dive.
"On ne peut pas comparer les deux courses. Il y a un marathon dans lequel est engagé Xavier Bertrand, et, à côté, il y a un 110 mètres haies."
Julien Dive, député et soutien de Xavier Bertrandà franceinfo
L'agenda du "marathonien" a ainsi été volontairement allégé lors du week-end de rentrée politique particulièrement chargé. Alors que LR tient ses universités d'été samedi à La Baule (Loire-Atlantique), Valérie Pécresse fait sa rentrée à Brive en Corrèze et Eric Ciotti réunit ses proches dans les Alpes-Maritimes. "Ce n'est pas la peine de faire la course à l'échalote au moment où on entend tous les autres candidats", explique l'entourage de Xavier Bertrand.
La bataille des sondages
Les proches de Bertrand ne manquent pas d'insister sur les quelques points qui séparent leur champion des autres candidats de droite dans les intentions de vote. "Mais le favori du mois septembre est rarement le gagnant dans une présidentielle. Attention aux surprises", rappelle l'urgentiste Philippe Juvin, candidat qui ne part pas favori pour la primaire. Du reste, l'avance de Xavier Bertrand tend à se réduire. Dans un sondage Harris Interactive publié mercredi, il est crédité de 16% au premier tour de la présidentielle, contre 13% pour Valérie Pécresse, tous deux restant largement distancés par Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Dans le camp de l'ancienne ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, on n'a pas manqué la sortie du dernier baromètre Elabe pour Les Echos et Radio classique publié début août. Après une hausse de 14 points dans la foulée des régionales, la popularité de Xavier Bertrand a chuté de 19 points pour s'établir à 59%. Valérie Pécresse le talonne à 57% d'opinions favorables. "S'il avait plié le match cet été, il n'y aurait pas de sujet, mais là il ne peut pas dire qu'il est le candidat naturel", note un proche de la présidente de l'Ile-de-France, les yeux rivés sur les sondages. "Personne n'écrase le match, personne. Il nous faut donc une méthode pour départager les candidats", insiste le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, qui a jeté l'éponge après avoir longuement hésité à se lancer lui-même dans la course.
"La popularité, ça ne veut rien dire, il suffit de se taire pour être haut. Regardez Nicolas Hulot...", rétorque Damien Abad, chef de file des députés LR et soutien de Xavier Bertrand. Effectivement, personne n'écrase le match, mais l'enjeu, c'est de savoir qui est le mieux placé."
La primaire, scénario de plus en plus probable
Pour tenter de se faire une idée sur cette question, Les Républicains vont lancer une enquête d'opinion le 30 août auprès de 15 000 sympathisants de la droite et du centre, qui seront notamment invités à se prononcer sur l'opportunité d'une primaire. Le sondage ne devrait pas fournir d'intentions de vote, mais les sympathisants interrogés pourront, par exemple, exprimer leur préférence sur le candidat le plus à même de gérer la crise sanitaire ou sur celui qui donne le plus de garantie pour battre ses concurrents à la présidentielle.
L'étude confiée à l'Ifop doit permettre à la direction des Républicains de décider lors d'un congrès le 25 septembre si un candidat se dégage ou s'il faut en passer par la case primaire. Cette dernière option ne convainc pas nombre de responsables de droite, qui ne cachent pas leurs réserves sur son efficacité. Néanmoins, le processus apparaît de plus en plus inévitable. "Quand personne ne s'impose, je ne sais pas comment faire autrement", admet le sénateur LR Roger Karoutchi. "La primaire, c'est le pire des systèmes à défaut de tous les autres", assure pour sa part Daniel Fasquelle en paraphrasant une citation de Winston Churchill sur la démocratie.
Si les modalités de l'éventuelle primaire ne sont pas encore définies, la grande majorité des candidats milite pour une primaire la plus ouverte possible. "Cela donnerait un élan et il serait ensuite plus difficile pour Xavier Bertrand de rester à l'écart...", juge un sénateur LR.
"Même avec le pape, il n'y participera pas"
Beaucoup pensent aujourd'hui que Xavier Bertrand aura du mal à tenir sa position solitaire jusqu'au bout. "Je ne vois que trois solutions : soit il se dégage rapidement comme le candidat naturel, ce qui apparaît de moins en moins probable ; soit il se rallie à la primaire ; soit il se retire", parie Patrick Stefanini. "Xavier Bertrand est intelligent, il finira par voir qu'il est dans son intérêt de rejoindre la dynamique collective", souhaite Vincent Jeanbrun, conseiller régional francilien proche de Valérie Pécresse. "Il espérait prendre suffisamment d'avance pour que les autres ne puissent pas le rattraper, avec le secret espoir d'être placé au second tour par les enquêtes d'opinion, mais c'est raté", analyse Brice Hortefeux.
"S'il ne rejoignait pas la primaire, vous auriez sur franceinfo un grand débat 'Quel champion pour la droite ?', et il n'y serait pas. Il serait cuit. Il n'aurait pas d'oxygène."
Brice Hortefeux, ancien ministre de l'Intérieur, proche de Nicolas Sarkozyà franceinfo
Ces arguments ne perturbent pas les pro-Bertrand. Traumatisés par l'expérience de 2016, ils ne voient dans la primaire qu'une fabrique à divisions et une machine à perdre. Ils affirment que leur candidat ne changera pas d'avis, quels que soient le nombre et la notoriété des candidats impliqués au final dans le processus. "Il peut y avoir le pape qui y participe, Xavier Bertrand n'ira pas", jure un de ses proches.
Le camp du président des Hauts-de-France partage en revanche l'avis de leurs concurrents sur un point : il ne peut pas y avoir deux candidats issus de la droite républicaine à la présidentielle. "Une fois qu'ils auront fait leur primaire, on pourra mettre en place une stratégie de rassemblement. On verra en décembre ou janvier à quel niveau se situe chacun dans l'opinion publique", estime Julien Dive.
Tous les élus de droite sont persuadés qu'une victoire à la présidentielle est possible, à condition de se réunir et de ne pas sombrer dans les guerres d'ego. "Les idées de la droite sont majoritaires dans le pays, on a une force militante, un réseau d'élus, de quoi constituer un gouvernement... Il nous manque juste un candidat", soutient Daniel Fasquelle. "On a toutes les cartes en main pour gagner, confirme Roger Karoutchi. Mais il faut faire attention à la manière de les jouer."
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