Manifestations d'extrême droite, "tracts ignobles", incendie : ces mois de harcèlement qui ont poussé le maire de Saint-Brevin-les-Pins à la démission
"Ce mardi 9 mai, j'ai adressé à Monsieur le préfet de Loire-Atlantique un courrier [l']informant de mon souhait de démissionner." La décision de Yannick Morez, maire de Saint-Brevin-les-Pins depuis 2017, a déclenché de vives réactions dans la classe politique. Sur Twitter, Emmanuel Macron a évoqué des attaques "indignes" contre l'édile et sa famille.
Dans cette station balnéaire d'environ 14 000 habitants, le déménagement d'un centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) suscitait depuis plusieurs mois la contestation d'une partie des riverains. Les manifestations se sont multipliées, ainsi que les actes d'intimidation à l'égard de l'élu, jusqu'à un incendie criminel à son domicile, qui a pesé sur sa démission. Franceinfo revient sur les événements qui ont amené le marie à prendre cette décision.
Le déménagement du centre ravive les tensions
Le centre d'accueil pour demandeurs d'asile a été créé en 2016 à Saint-Brevin-les-Pins, après le démantèlement de la "jungle de Calais" (Pas-de-Calais). "A l'époque, quelques Brevinois étaient montés au créneau, mais ça s'était calmé", se souvient Philippe Croze, habitant de la commune depuis 2016, et président du Collectif des Brevinois attentifs et solidaires, qui intervient régulièrement au sein du Cada. "Actuellement, il y a 59 personnes hébergées, et le Cada en a accueilli entre 400 et 450 en six ans", retrace-t-il pour franceinfo.
C'est le déménagement du centre, annoncé en octobre 2021, qui déclenche une nouvelle polémique, des riverains dénonçant sa future localisation à proximité d'une école. "Cela fait plusieurs mois qu'il y a des tensions et des manifestations, contre le centre, mais aussi en soutien au maire", témoigne le président socialiste du département de Loire-Atlantique, Michel Ménard, contacté par franceinfo.
Des manifestations dès l'automne 2022
Après le début du chantier du nouveau Cada, en septembre 2022, un collectif voit le jour, baptisé "Préservation de l'école de la Pierre attelée", du nom de l'établissement près duquel doit se trouver le nouveau local du centre à partir de la fin 2023. Il lance une pétition et appelle à des rassemblements en novembre et en décembre. A l'époque, des membres de Reconquête et du Rassemblement national relaient ces appels. "Le petit collectif s'est aperçu que 'ça ne prenait pas' au sein de la commune, donc il s'est rapidement tourné vers l'extrême droite", selon Yannick Morez, interrogé dans l'émission "Envoyé spécial" le 6 avril.
Une nouvelle manifestation rassemble environ 200 opposants au Cada, le 25 février, alors que plus tôt dans la journée, 1 000 personnes soutenant le centre avaient défilé, d'après France Bleu Loire Océan. "On a appelé à une contre-manifestation en décembre et en février, pour montrer qu'il n'y avait pas que des anti-Cada à Saint-Brevin", explique Philippe Croze.
Le domicile du maire incendié le 22 mars
Près d'un mois plus tard, le 22 mars, la commune se réveille choquée. Le domicile du maire a été visé dans la nuit par un incendie qui a détruit ses deux voitures et une partie de sa maison, dans laquelle il dormait avec son épouse. L'élu parle d'un Selon l'élu, un jet de cocktail Molotov est à l'origine du feu. Une enquête criminelle est ouverte par le parquet de Saint-Nazaire.
Yannick Morez avait déjà reçu des "tracts ignobles" dans sa boîte aux lettres. "On a voulu m'intimider en me montrant qu'on savait où j'habitais", raconte-t-il à "Envoyé spécial". Contactée par ses soins, la gendarmerie n'aurait selon lui "rien" fait au sujet des tracts, invoquant "la liberté d'expression". "L'Etat impose aux maires des Cada, mais derrière, c'est aux maires de se débrouiller", poursuit le maire qui dit se sentir "abandonné".
Pour le président du département Loire-Atlantique, Michel Ménard, "l'extrême droite porte une responsabilité" dans les attaques subies depuis plusieurs mois par le maire de Saint-Brevin-les-Pins. "Ces partis diffusent des discours de haine qui renforcent le sentiment d'impunité des racistes", déplore l'élu.
Démissionner et quitter la ville pour "retrouver la sérénité"
Après l'incendie du 22 mars, la tension ne retombe pas. Entre 150 à 200 opposants au centre défilent à nouveau devant la mairie, le 29 avril, alors qu'un important dispositif de 350 policiers et gendarmes est déployé, relate Ouest-France (article pour les abonnés), notamment pour contrôler les contre-manifestants. Le maire avait demandé au préfet d'interdire ce rassemblement, en vain, témoigne-t-il sur sa page Facebook.
Quelques jours avant la démission de Yannick Morez, "un excité est venu injurier le maire en terrasse d'un café", relate Philippe Croze. Pour lui, "l'incendie a fait déborder le vase" et l'a poussé à renoncer. "Il a fait face à une pression familiale, car ils ont failli y passer", ajoute-t-il.
"Il m'a dit que cela devenait trop difficile pour sa famille, sa femme et ses enfants", confirme Michel Ménard, qui a téléphoné ce jeudi matin à Yannick Morez. "Pour retrouver la sérénité, il dit ne pas avoir d'autre choix que de démissionner, quitter sa ville, et arrêter d'exercer comme médecin généraliste. Je ne peux que regretter l'incapacité des pouvoirs publics à protéger les élus, et la démocratie, par rapport aux agissements de l'extrême droite".
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