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Le Front national est-il vraiment devenu "gay friendly" ?

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
SĂ©bastien Chenu, Florian Philippot et Marine Le Pen, lors d'une convention du Front national Ă  Paris, le 8 novembre 2016. (MAXPPP)

Avec la stratĂ©gie de normalisation initiĂ©e par Marine Le Pen, le Front national sĂ©duit de plus en plus d'Ă©lecteurs homosexuels. Une Ă©volution qui peut parfois provoquer des tensions au sein du parti d'extrĂȘme droite.

"L'Ă©lection de Marine Le Pen serait un signal fort contre les homophobes !" s'enthousiasme Lucas. Cela ne fait que dix-huit mois que ce jeune homme a dĂ©cidĂ© de prendre sa carte au Front national, et il en est pourtant dĂ©jĂ  convaincu : Ă  ses yeux, le parti de Marine Le Pen serait le mieux placĂ© pour dĂ©fendre la cause des homosexuels. Une opinion qui peut surprendre, au regard du programme et de l'histoire du parti d'extrĂȘme droite, mais qui est reprĂ©sentative d'une Ă©volution structurelle du Front national.

ParallÚlement à la "dédiabolisation" du FN entreprise par Marine Le Pen, la communauté gay, historiquement réputée proche des partis de gauche, apparaßt de plus en plus séduite par le bulletin Le Pen. Selon une étude du Cevipof publiée en février 2016, le FN a convaincu 32,45% des couples homosexuels mariés lors des élections régionales de 2015, soit un niveau comparable au vote en faveur des listes de gauche (34,66%).

"Les folles, on les envoie se faire voir ailleurs"

L'histoire du Front national n'a pourtant rien de "gay friendly". "Les homosexuels ne sont pas une communauté à laquelle le FN avait l'habitude de s'adresser", rappelle l'historienne Valérie Igounet. "Les fondateurs du parti n'étaient pas trÚs 'réceptifs' à la question de l'homosexualité", euphémise cette spécialiste du FN, qui tient sur franceinfo.fr le blog DerriÚre le Front.

En attestent de nombreux propos polĂ©miques de Jean-Marie Le Pen. En 1984, le leader d'extrĂȘme droite qualifie l'homosexualitĂ© "d'anomalie biologique et sociale". En 1995, lors d'un discours Ă  l’universitĂ© d’étĂ© du Front national, le chef historique du parti lance aux militants : "Je confesse qu’il doit y avoir des homosexuels au FN, mais il n'y a pas de folles. Les folles, on les envoie se faire voir ailleurs." En privĂ©, Jean-Marie Le Pen n'a pourtant rien d'un homophobe, assurent ses proches, mais il se dĂ©lecte des provocations qui font parler de lui. Et avec l'arrivĂ©e du jeune Florian Philippot Ă  la vice-prĂ©sidence du FN, les sorties de route du "Menhir" se multiplient. Comme en mai 2015, lorsque Jean-Marie Le Pen accuse, sur une radio, Florian Philippot de "placer ses hommes, ses mignons" Ă  la direction du parti. Comme en mai 2016, quand il Ă©voque sur Twitter, toujours Ă  propos de Florian Philippot, "Don Quichotte de la Jacquetta". Ou en dĂ©cembre 2016, lorsqu'il lĂąche, sur Facebook : "Les homosexuels, c'est comme le sel dans la soupe, s'il n'y en a pas assez c'est un peu fade, s'il y en a trop, c'est imbuvable."

De leur cÎté, les militants gays du FN ont la mémoire sélective. "Pour beaucoup de militants, le FN est un nouveau parti depuis 2011", observe l'historienne Valérie Igounet. "Je ne me suis jamais intéressé à l'histoire du Front national. Je la connais, mais ce n'est pas ce qui m'intéresse", dit ainsi à franceinfo David Masson-Weyl, jeune élu homosexuel du FN au conseil régional du Grand Est. "Je suis engagé au cÎté de Marine Le Pen, et le reste ne m'intéresse pas", répond aussi Lucas, militant FN.

Le passé, c'est le passé. Marine Le Pen a rompu avec cette histoire.

Lucas, militant FN

Ă  franceinfo

"Le FN Ă©tait bien plus sectaire Ă  l'origine"

Depuis son arrivée aux commandes du Paquebot en 2011, Marine Le Pen a effectivement changé le discours de son parti sur ces questions. "Qu'on soit homme ou femme, hétérosexuel ou homosexuel, chrétien, juif, musulman ou non croyant, on est d'abord français !" lance le 1er mai 2011 celle qui a succédé quelques mois plus tÎt à son pÚre à la présidence du Front national, démontrant ainsi sa volonté d'élargissement de sa base électorale.

Pour le jeune frontiste David Masson-Weyl, ce changement de discours s'explique "grĂące Ă  la personnalitĂ© de Marine Le Pen". NĂ©e en 1968, divorcĂ©e, vivant aujourd'hui en concubinage avec Louis Aliot, la dirigeante du FN a la rĂ©putation d'ĂȘtre une fĂȘtarde, et cultive une image de femme moderne, assez Ă©loignĂ©e du modĂšle familial traditionnel historiquement dĂ©fendu par l'extrĂȘme droite.

La stratégie se révÚle efficace : de nombreux militants gays n'hésitent plus à rejoindre le mouvement. La révélation de l'homosexualité de plusieurs cadres de la direction du FN, du vice-président, Florian Philippot, au maire d'Hénin-Beaumont, Steeve Briois, rassurent ceux qui avaient encore des doutes. "Le fait que de nombreux membres, dont des cadres du parti, soient gays, a permis de lisser, de repositionner le FN, qui était bien plus sectaire à l'origine", estime John, un électeur frontiste qui revendique son homosexualité sur Twitter. "Le FN n'est absolument plus homophobe à mes yeux", acquiesce William, un autre militant frontiste interrogé par franceinfo.

Il pouvait y avoir une certaine tiĂ©deur chez les homos par rapport au FN de Jean-Marie Le Pen, avec la crainte de ne pas ĂȘtre acceptĂ©s dans leur identitĂ©, mais je pense qu'on a vraiment levĂ© cette ambiguĂŻtĂ©-lĂ .

David Masson-Weyl, jeune élu FN dans la région Grand-Est

Ă  franceinfo

"Ceux qui Ă©taient sur des positions dures sur la question d'un prĂ©tendu lobby gay ont majoritairement quittĂ© le parti depuis longtemps", relĂšve d'ailleurs dans L'Express le chercheur Nicolas Lebourg. Car les prises de position de Marine Le Pen, qu'elles soient sincĂšres ou opportunistes, ont fortement dĂ©plu Ă  la frange la plus radicale de l'extrĂȘme droite. "Elle a un cĂŽtĂ© 'cage aux folles'. C’est une madone Ă  pĂ©dĂ©s et l’esclave des sionistes. Elle incarne le Sentier et GayLib Ă  la fois", fulmine ainsi dans Challenges JĂ©rĂŽme Bourbon, le directeur de la revue nationaliste Rivarol. "Le Front national est dirigĂ© par une coterie d’homosexuels", raille dans le mĂȘme article Henry de Lesquen, le patron de la trĂšs droitiĂšre Radio Courtoisie.

"Homonationalisme" et "transgression"

Ce "nettoyage de vitrine" suffit-il Ă  expliquer Ă  lui seul le fait que de plus en plus d'homosexuels se tournent vers le FN ? Plusieurs militants frontistes interrogĂ©s dans le cadre de notre enquĂȘte avancent un autre motif de ralliement : la peur suscitĂ©e par l'islam et son intolĂ©rance supposĂ©e Ă  l'Ă©gard des homosexuels. "Je veux que nous n'ayons pas peur de s'aimer librement, mĂȘme dans des zones actuelles de non-droit", explique Lucas. "J'ai vĂ©cu dans un immeuble social du 9-3 Ă  Saint-Ouen, oĂč j'ai vĂ©cu l'enfer en raison du racisme anti-gay", ajoute John.

Des tĂ©moignages qui confortent l'analyse de certains chercheurs, qui n'hĂ©sitent pas Ă  parler d'"homonationalisme". Lorsque par exemple, en 2010, Marine Le Pen affirme "entendre que, dans certains quartiers, il ne fait pas bon ĂȘtre femme, ni homosexuel, ni juif, ni mĂȘme français ou blanc", la prĂ©sidente du FN "dit Ă  l’électorat homosexuel : 'Je sais que vous souffrez de discrimination. Et qui vous discrimine ? Des immigrĂ©s et des musulmans'", relĂšve dans Le Monde Yannick Barbe, ancien directeur de la rĂ©daction du magazine gay TĂȘtu. "Comme elle le fait avec les 'souchiens', Marine Le Pen ligue les gays contre les minoritĂ©s raciales", abonde sur Slate.fr le journaliste et Ă©crivain Didier Lestrade, fondateur d'Act Up. "Elle utilise les gays blancs de souche pour montrer que le problĂšme, c'est toujours les immigrĂ©s, les Noirs, les Arabes", accuse-t-il.

InterrogĂ© par franceinfo, SĂ©bastien Chenu, un ancien de l'UMP oĂč il a fondĂ© le mouvement GayLib avant de rejoindre le FN, avance encore une autre hypothĂšse : "Tout comme le fait d'ĂȘtre gay, il y a un aspect transgressif dans le fait de rejoindre Marine Le Pen."

Marine Le Pen reprĂ©sente une libertĂ© de ton qui fait Ă©cho Ă  la quĂȘte de libertĂ© vĂ©cue par les gays dans leur histoire personnelle.

Sébastien Chenu, délégué national du Rassemblement bleu Marine

Ă  franceinfo

"On m'a déjà lancé du 'Sale pédé, t'as pas ta place ici !'"

Le Front national est-il pour autant devenu "gay friendly" ? A en croire le témoignage posté sur Facebook par Guillaume Laroze, un ancien militant qui a claqué la porte du FN en novembre 2016, il est permis d'en douter. "Parasite LGBT", "déchet paradistique", "sodomite"... Dans ce post, le jeune homme dénonce les insultes homophobes qu'il a dû affronter, en provenance de comptes anonymes sur les réseaux sociaux. Interrogé par franceinfo, Guillaume Laroze témoigne aussi de l'homophobie qui s'est exprimée à visage découvert au sein du parti : "On m'a déjà lancé du 'Sale pédé, t'as pas ta place ici, il y en a marre des pédés au FN !'."

Lors d'un discours de Marine Le Pen, je me souviens d'avoir entendu un homme crier dans la foule 'Les pédés, ça reste les pédés !', et qui a été applaudi par une vingtaine de personnes.

Guillaume Laroze, ancien militant FN

Ă  franceinfo

Dans la foulée, Florian Philippot avait réagi à la polémique sur France 5 : "Je lui ai dit : 'Si tu as des nom de gens au Front national qui t'ont insulté, tu me les donnes tout de suite'. J'attends toujours." Les cadres frontistes assurent en choeur qu'il n'y a aucun problÚme sur ce sujet. "Il y a des homophobes partout", concÚde bien Sébastien Chenu, "mais il y en a sûrement moins au FN qu'à l'UMP", ajoute celui dont l'arrivée au FN en provenance de l'UMP avait pourtant "largement fait tousser les franges les plus conservatrices du Front", rappelle Libération.

Concernant les insultes, subies notamment par Guillaume Laroze, Sébastien Chenu rétorque : "Mais qu'il dépose plainte !" Une réponse qui ne colle pas avec la version de l'ancien militant : "Devant les insultes homophobes, on me disait qu'il ne fallait pas faire de vagues, ne pas attirer les projecteurs."

Dans la vie, à un moment, quand t'es gay, tu peux rencontrer un connard qui te traite de pédé, ça arrive et c'est scandaleux, mais le combat contre la connerie n'a pas de fin.

Sébastien Chenu, délégué national du Rassemblement bleu Marine

Ă  franceinfo

Un tĂ©moignage qui n'est pas isolĂ©. "Les rĂ©unions et les repas sont le lieu de plaisanteries ou d’aveux dĂ©complexĂ©s sur la dĂ©testation des homosexuels et des Arabes des uns, la nostalgie du rĂ©gime nazi des autres", racontait dĂ©jĂ  en 2013 Ă  La DĂ©pĂȘche du Midi un couple d'anciens militants du FN en Haute-Garonne. Dans le documentaire La tentation du FN, les nouveaux Ă©lecteurs de Marine Le Pen, Matthieu Chartraire, le Mister Gay 2015 du magazine TĂȘtu, explique pourquoi il a rendu sa carte : "Je rencontre un responsable du parti (...) qui me pose quelques questions et qui me donne son ressenti : 'Oui, mais moi je trouve qu'il y a trop d'homosexuels au Front national'."

"Des prises de position pas trĂšs 'gay friendly'"

Le malaise qui existe autour des homosexuels et du Front national peut aussi s'expliquer par les différences de fond qui perdurent au sein du parti. Pour faire tenir le tout, Marine Le Pen a choisi de reléguer les questions clivantes au second plan. "Je pense qu'elle a amené un changement idéologique avec une volonté de neutralité sur les questions de société, pour se concentrer sur l'économique et le social", explique David Masson-Weyl.

Lors du débat autour de la loi du mariage pour tous, Marine Le Pen laisse ainsi certains de ses lieutenants défiler dans les cortÚges de la Manif pour tous, tandis qu'elle se tient en retrait et dénonce un "piÚge" tendu par François Hollande. La présidente du FN choisit d'esquiver le débat, et prend le risque de laisser sa niÚce, Marion Maréchal-Le Pen, prendre la lumiÚre en incarnant l'opposition frontiste à cette réforme.

Marion Maréchal-Le Pen, entourée de Louis Aliot et Gilbert Collard, lors d'une manifestation à Paris pour l'abrogation de la loi Taubira, le 16 octobre 2016. (XAVIER POPY / REA)

La députée du Vaucluse se fait alors applaudir à la Manif pour tous, et joue la carte de la défense des valeurs familiales traditionnelles, en phase avec une partie de la base historique de son mouvement. La petite fille de Jean-Marie Le Pen n'hésite pas non plus à choquer en évoquant le risque de la légalisation de la polygamie pour critiquer le mariage entre homosexuels. Les cadres homosexuels de son parti ne sont pas toujours à l'aise avec ses propos, mais jouent l'apaisement. "Marion Maréchal Le Pen n'a pas tenu de propos homophobes, elle a juste des prises de position pas trÚs 'gay friendly'", concÚde du bout des lÚvres Sébastien Chenu.

Les deux jambes d'un mĂȘme parti

Cette sĂ©quence de la Manif pour tous laisse quand mĂȘme des traces, et donne le sentiment qu'il existe deux lignes au Front national : celle incarnĂ©e par Florian Philippot, plus ouverte sur les questions de sociĂ©tĂ©, et celle portĂ©e par Marion MarĂ©chal-Le Pen, bien plus conservatrice. Sans que cela ne pose rĂ©ellement de problĂšmes Ă  Marine Le Pen, "la stratĂ©gie restant de s'adresser au plus grand nombre, Ă  un Ă©lectorat qui vient Ă  la fois de la droite et de la gauche", analyse ValĂ©rie Igounet, auteure de plusieurs livres sur l'histoire du FN.

Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot, le 4 janvier 2017 à Paris. (CHAMUSSY / SIPA)

La prĂ©sidente du FN tente ainsi de concilier les diffĂ©rences pour faire marcher son parti sur ses deux jambes. Une stratĂ©gie qui se retrouve dans son programme, avec l'opposition Ă  la GPA (gestation pour autrui) et Ă  la PMA (procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e) pour les couples de femmes, et le remplacement de la loi Taubira, "sans effet rĂ©troactif", par un Pacs amĂ©liorĂ©. "En gros, il s'agit d'un contrat d'union civile avec exactement les mĂȘmes droits, mais qui ne s'appelle pas 'mariage'", explique SĂ©bastien Chenu. Un compromis qui a Ă©tĂ© trouvĂ© pour satisfaire les diffĂ©rentes sensibilitĂ©s du parti.

Les cadres frontistes nient ainsi farouchement l'existence de ces deux lignes et préfÚrent parler de "sensibilités". "Ils affichent une unité de façade en se réfugiant derriÚre leur programme, estime Valérie Igounet, mais on sent bien que c'est un bloc qui peut se fissurer, le fil est ténu et ils font tout pour qu'il tienne jusqu'à la présidentielle."

Une cohabitation difficile

La cohabitation entre les deux courants n'est d'ailleurs pas toujours Ă©vidente. Au moment des dĂ©bats sur le mariage pour tous, Florian Philippot souhaite Ă©viter le sujet, et dĂ©clare que le dĂ©bat est aussi intĂ©ressant que la "culture du bonsaĂŻ". Une affirmation qui irrite plusieurs cadres du FN, qui tiennent Ă  manifester leur opposition farouche Ă  la loi. "[Il a le] droit de parler Ă  la communautĂ© gay, lĂ©gitime aussi que FN dĂ©fende la famille contre Taubira et GPA", s'Ă©nerve sur Twitter un secrĂ©taire dĂ©partemental FN de la Sarthe. De mĂȘme, quand le compte Twitter de la section FN de Sciences Po adresse un message de soutien Ă  la Gay Pride, la rĂ©action est Ă©pidermique chez de nombreux cadres traditionalistes du parti, comme le dĂ©taille LibĂ©ration.

A l'automne dernier, c'est l'existence de ces deux lignes qui a poussĂ© Guillaume Laroze Ă  claquer la porte : "Quand j'entendais Marion MarĂ©chal dire certaines choses, parfois j'avais honte. Je ne supportais plus d'avoir ma carte dans le mĂȘme parti." Le jeune homme de 19 ans a dĂ©sormais rejoint le camp de Jean-Luc MĂ©lenchon. Il estime avoir Ă©tĂ© trompĂ© par les partisans de Florian Philippot qui lui ont vendu l'illusion d'une scission avec la ligne conservatrice du FN : "Je regrette. En rejoignant le Front national, je me suis mis des amis et des gens de ma famille Ă  dos, ça m'a fait beaucoup de tort."

J'ai l’impression d'avoir Ă©tĂ© un peu bernĂ©, d'avoir servi de totem pour une cause qui finalement n'Ă©tait pas la mienne.

Guillaume Laroze, ancien militant FN

Ă  franceinfo

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