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Députés et avocats, ils expliquent pourquoi ils cumulent

Ils sont plusieurs à avoir choisi de poursuivre leur activité, parfois très rentable. D'autres ont préféré se concentrer sur leur mandat. Après la publication de leur déclaration d'intérêts, francetv info a interrogé plusieurs députés et avocats.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
François Baroin, Pierre Lellouche, Frédéric Lefebvre, ici à Bercy en janvier 2012, sont tous les trois enregistrés comme avocat par les services de l'Assemblée nationale. (  MAXPPP)

Ils sont cumulards. En plus de leur travail à l'Assemblée nationale, plusieurs députés exercent également la profession d'avocat, qu'il fut un temps envisagé de rendre incompatible avec un mandat parlementaire.

Si certains de ces élus ont décidé de ranger la robe au placard après leur élection, d'autres, au contraire, ont choisi de continuer cette activité, qui peut se révéler parfois très lucrative. A l'occasion de la publication de leurs déclarations d'intérêts, jeudi 24 juillet 2014, francetv info a interrogé plusieurs de ces députés, qui s'expliquent sur leur choix de carrière.

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Ceux qui gagnent (très) bien leur vie

Avec un bénéfice de près de 300 000 euros pour l'année 2013, l'UMP Pierre Lellouche assume sans problème son activité d'avocat. "Je suis docteur en droit de la faculté de Harvard", explique à francetv info le député, qui ne s'inquiète pas de potentiels conflits d'intérêts : "Il y a des règles de déontologie qui existent depuis fort longtemps, qui interdisent de plaider pour ou contre l'Etat ou une entité publique, elles sont respectées."

Ne risque-t-il pas d'être influencé dans son activité de député ? "Je travaille uniquement à l'international, c'est ma spécialité, comme en politique", assure-t-il. Qui sont ses clients ? "Le reste relève du secret professionnel", balaye-t-il, remonté contre le principe de la déclaration d'intérêts. "Depuis l'affaire Cahuzac, c'est le syndrome du tous pourri, tout le monde est coupable."

Pierre Lellouche assure que son mandat de député lui laisse le temps d'exercer son métier d'avocat. "Député vous prend du temps en journée, mais je ne suis plus au gouvernement, déclare-t-il. Je suis dans l'opposition, c'est un autre temps politique." Suffisamment souple, donc, pour travailler en parallèle et se sortir "des histoires politiciennes".

Connu bien avant son entrée dans l'hémicycle pour ses activités d'avocat, Gilbert Collard déclare lui 16 013 euros de rémunération mensuelle en 2013. Trois autres députés sont devenus avocats sur le tard, mais leurs affaires sont florissantes. C'est le cas du centriste Yves Jégo, avec 61 461 euros de rémunération en 2012, et de l'UMP Frédéric Lefebvre avec un bénéfice pour 2013 estimé à 207 575 euros.

Reste aussi Jean-François Copé. L'exercice du métier d'avocat lui avait valu des accusations de conflits d'intérêts. La profession lui assurait d'importants revenus, avec 313 703 euros en 2012 et 184 734 euros jusqu'en juin 2013, date à laquelle il a cessé ses activités. Une pause, car Jean-François Copé pourrait bien reprendre du service.

Ceux qui continuent, sans forcer

"Parlementaire, ça doit être un travail à plein temps", reconnaît Yann Galut, interrogé par francetv info. Le socialiste a tout de même choisi de continuer à exercer son métier d'avocat, mais seulement "une demi-journée par semaine" à son cabinet : "Si je suis battu en 2017, il faut que je puisse rebondir..."

"Si un libéral arrête son activité, il perd toute sa clientèle", abonde son collègue socialiste Jean-Michel Clément, questionné par francetv info. "J'ai déjà dû mettre entre parenthèses mon cabinet quand j'ai été élu, je me suis séparé de mes collaborateurs et j'ai perdu 25 ans d'investissement personnel."

Spécialisé dans le droit des entreprises agricoles et agroalimentaires, il ne s'inquiète pas des potentiels conflits d'intérêts : tout est une "question de comportement", dit-il. "A Bourges, dans le Cher, aucun grand groupe ne vient me voir pour défendre ses intérêts face à Bercy", explique Yann Galut, spécialisé dans le droit du travail et le pénal. Aucun des deux ne souhaite une interdiction pure et simple du métier d'avocat par les députés. Yann Galut propose tout de même un plafond de revenus annexes, pour éviter tout abus.

Malgré de grandes disparités de revenus entre eux, sept autres députés continuent également leurs activités d'avocat : Gilles Bourdouleix, Colette Capdevielle, Claude Goasguen (qui envisage d'arrêter en 2014), Philippe Houillon, Pierre Morel-A-L'Huissier, Yves Nicolin et Alain Tourret.

Ceux qui veulent s'y remettre

François Baroin explique ne plus exercer la profession d'avocat depuis le 9 avril 2004, plus d'un an avant son entrée au gouvernement de Dominique de Villepin. Mis à part des activités d'enseignement, le député UMP ne déclare donc aucun revenu annexe à ses mandats politiques.

Mais s'il est aujourd'hui omis du barreau, François Baroin ne s'interdit rien pour l'avenir. Dans sa déclaration d'intérêts, il prévient : "J'envisage éventuellement de me réinscrire au tableau des avocats avant la fin de la présente législature." Et pourquoi pas, ajoute-t-il, démarrer des activités de conférencier.

Ceux qui ont tout arrêté

"Difficile de tout faire", résume Christophe Caresche. Interrogé par francetv info, le député socialiste, devenu avocat en 2010, explique avoir renoncé pour l'heure à son activité de conseil par manque de temps. Il a donc demandé à être omis du barreau, c'est-à-dire à suspendre son activité pour un temps.

"J'ai été interpellé pendant ma campagne électorale", raconte-t-il, évoquant la question des conflits d'intérêts. "Une personne m'a dit que je ne pouvais pas continuer à être avocat tout en étant député, tout en pouvant peser sur les décisions."

Christophe Caresche estime cependant que les députés qui étaient avocats avant de commencer leur activité doivent avoir le droit de continuer, car "créer une clientèle demande énormément de temps". Pour les autres, la question est posée : "Si on recrute un député devenu avocat par la suite, ce n'est certainement pas pour ses connaissances juridiques, mais clairement pour rentabiliser son carnet d'adresses." C'est là que se niche, selon lui, le risque du conflit d'intérêts.

Comme lui, ils sont 19 à avoir mis entre parenthèses ou totalement abandonné leur carrière d'avocat : des UMP Etienne Blanc, Patrick Devedjian ou Edouard Philippe aux socialistes Dominique Raimbourg, Bernard Roman ou Alain Vidalies, en passant par les centristes Rudy Salles et François-Xavier Villain.

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