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Notre-Dame-des-Landes : comment les zadistes imaginent-ils leur futur ?

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Un éleveur dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le 19 janvier 2018. (LOIC VENANCE / AFP)

Pour les habitants de la zone à défendre, le dépôt des dossiers à la préfecture prend fin lundi. L'occasion de revenir sur ce que les zadistes ont en tête et espèrent dans les prochains mois.

L'ultimatum se termine lundi 14 mai. Après cette date, les occupants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) ne pourront plus déposer de dossier à la préfecture pour présenter et défendre leurs projets. Le ministre de l'Agriculture et de l'alimentation, Stéphane Travert, doit d'ailleurs présider, lundi soir, à Nantes, une réunion du comité de pilotage et présenter un point d'étape sur les propositions retenues.

Difficile pour l'instant d'imaginer le visage qu'aura exactement la ZAD d'ici quelques années. La situation sera plus claire et stable "d'ici deux ou trois ans", prédit à franceinfo Julien Durand, leader historique de la lutte anti-aéroport et ancien porte-parole de l'Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes). Un laps de temps qui correspond à la phase administrative et juridique pour la restitution éventuelle des biens ou des terrains aux propriétaires expropriés.

Quarante-et-un projets déposés à la préfecture

Toutefois, de grandes lignes se dessinent. "La première volonté du département, c’est de penser la ZAD comme un espace agricole sur le long terme et d’avoir des garanties de la protection de la zone et de son écosystème", résume le conseil départemental. Un point de vue partagé par tous les interlocuteurs interrogés par franceinfo. D'ailleurs, sur les 41 dossiers nominatifs déposés en une seule fois à la préfecture, 28 sont purement agricoles. 

La préfecture, qui ne voulait garder que des projets agricoles, semble avoir assoupli sa position et être désormais ouverte à des programmes socioculturels ou d'artisanat, glisse à franceinfo le conseil départemental de Loire-Atlantique. "Il n'y aura pas beaucoup de déçus" lundi soir, avance une source au sein du conseil départemental.

Céréalier-brasseur, maraîcher et producteur laitier

Celui de Lucas, présent sur la ZAD depuis cinq ans et demi, sera en tout cas examiné. Ce titulaire d'un BTS production horticole et d'une licence professionnelle en agriculture biologique porte un projet d'activité céréalière pour une "transformation brassicole" avec une attention particulière pour le respect de l'environnement. "Si on voit un copain en train de mettre du glyphosate pour désherber, à mon avis, il va avoir droit à un petit procès parce que ce sont des choses qui ne sont pas tolérées par la morale collective", explique Lucas.

Le jeune homme produit 70% à 80% d'orge, mais aussi du blé, du seigle, de l'épeautre, du sarrasin et précise avoir mis en place une houblonnière depuis trois ans, même si la bière qu'il brasse n'est pas encore commercialisable. "Je n’ai pas les autorisations. J’attends que la phase de régularisation avance pour enfin régler ma situation auprès des douanes et enfin vivre de mon activité de céréalier-brasseur", précise ce jeune homme prolixe, installé au lieu-dit des Fosses noires.

Il n'est pas le seul à avoir réfléchi au futur. Lucas évoque ainsi le projet des habitants du Moulin qui souhaitent défendre une activité d’élevage d’animaux de la ferme. "Des animaux rustiques, qui sont anciens, des races rares et à protéger", souligne-t-il. Ce projet s'accompagne d'un "gros volet maraîchage" et d'un "volet pédagogie d'accueil à la ferme" pour les enfants ou les citadins. 

Il y a aussi celui de Willem. Arrivé dans la ZAD il y a quatre ans, il a rénové un bâtiment d'élevage délabré et possède désormais une quarantaine de vaches. Il produit tous les mois quelque 3 000 litres de lait et a signé un contrat avec une coopérative, détaille France 3 Pays-de-la-Loire.

Au-delà des projets de chacun, le collectif prime. "On a vécu pendant plus de cinq ans ensemble avec nos différents projets les uns à côté des autres et on a vraiment cette facilité d’échanges, cette facilité de travailler ensemble", insiste Lucas. Il met en avant les "interdépendances" et les "interconnexions" entre les différents occupants de la ZAD. Il vante la co-utilisation des parcelles de la houblonnière avec l’association Vert jet, qui les utilise pour faire des multiplications de porte-greffes, sans oublier le partage d'outils mécaniques et des échanges "de conseils et des pratiques culturales".

Une "zone rurale vivante", pas seulement agricole

Dans l'idéal, Lucas, imagine que la ZAD sera, dans quelques années, un "écosystème de projets imbriqués les uns avec les autres encore plus fort et encore plus riche que maintenant". Et il souhaite "une ouverture vers l'extérieur, car elle a eu du mal à se faire jusqu'à maintenant à cause du côté illégal"La diversité des activités au sein de la ZAD est capitale, abonde Françoise Verchère, porte-parole du Cedpa (Collectif des élus doutant de la pertinence du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes). Elle espère que la zone deviendra "une zone un peu alternative", "une zone rurale vivante".

Le tissu rural vivant, ce n’est pas que trois agriculteurs au milieu de grands champs.

Françoise Verchère, porte-parole du Cedpa

à franceinfo

Le céréalier fait donc valoir l'importance de projets hors du champ strictement agricole. "J’ai énormément de cuves en inox et le forgeron-soudeur est souvent là à me réparer des cuves, à m’installer du nouveau matériel", relève-t-il.

Sur la ZAD, on arrête de compter ce que l’on a. On compte plutôt ce que l’on n’a pas.

Lucas, céréalier-brasseur

à franceinfo

"On a du miel, on a du lait, on a du beurre, on a tous les produits laitiers", détaille-t-il. "Les métiers d’artisanat, on en a énormément. Cela va de la forge à l’imprimerie, à la sérigraphie, de la musique, de la peinture, énumère-t-il. On a aussi un menuisier, un gros atelier de charpentes pour construire des maisons, toute la gestion forestière et bocagère, avec des chantiers-écoles pour que les gens apprennent à faire des maisons." Les zadistes ont même installé une bibliothèque. On y trouve "des centaines d'ouvrages de références, sur la culture populaire, l'histoire, les mouvements sociaux, les philosophies, des biographies de penseurs, révolutionnaires, des documents économiques", liste France 3 Pays-de-la-Loire.

La bibliothèque de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le 16 janvier 2018. (MAXPPP)

"On défend ces expérimentations, mais pas en dehors de toutes règles", tempère Françoise Verchère. "A aucun moment on a refusé la régularisation, remarque Lucas. On peut être dans les clous et rester subversif." Et de synthétiser : "C'est sain qu'il puisse y avoir des lieux comme la ZAD dans une société." Si cette ZAD perdure, elle sera sans doute amenée à changer de nom. "On est en train de monter une association qui s'appelle Pour un avenir commun dans le bocage, alors la ZAD pourrait s'appeler la Zone commune du bocage ou même la Commune du bocage, ça serait encore plus beau", lance-t-il, rêveur.

Il reste aussi "des anarchistes qui ne veulent pas discuter avec l'Etat"

Une image d'Epinal à prendre avec des pincettes. "Sur la ZAD, tout n’est pas tout rose", nuance Françoise Verchère. "Il y a quelques 'lieux hostiles', comme le disent certains zadistes. Ce sont des endroits où l’on trouve des personnes qui sont contre la régularisation, contre la discussion avec les autorités", explique-t-elle. Et de résumer, en les opposant aux agriculteurs : "Ce sont des anarchistes qui ne veulent pas discuter avec l’Etat. Ils veulent le faire sauter." Elle craint d'ailleurs de nouveaux affrontements avec les forces de l'ordre en raison de la question des cabanes construites dans la zone.

Une peur justifiée car le conseil départemental laisse entendre que la préfecture reste ferme sur ce point et compte les démanteler. L'avenir de ces habitations et de leurs occupants s'annonce donc "très compliqué, soupire Lucas. Il y a des gens qui ont fait leur vie dedans depuis des années et c'est dur de se dire qu'ils vont devoir détruire leur cabane eux-mêmes." "Avec les maires, on a identifié environ vingt sites pour des groupements possibles avec du bâti", précise Françoise Verchère. "On n'a pas de réponse encore, glisse Lucas, qui lance cet avertissement : Ce qui est sûr, c'est que l'on n'acceptera pas que la préfecture décide quelles seront les cabanes à détruire."

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