: Vidéo Loi sur l'immigration : "Construire une loi avec l'objectif de renvoyer le maximum de gens ou de faire entrer le minimum est un non-sens", déplore Benoît Hamon de l'ONG Singa
"Construire une loi avec l'objectif de renvoyer le maximum de gens ou de faire entrer le minimum de gens est à nos yeux un non-sens", a estimé mardi 6 décembre sur franceinfo Benoît Hamon, directeur général de l’ONG européenne Singa, spécialisée dans l’intégration des personnes réfugiées et migrantes par l’entrepreneuriat. La Première ministre, Élisabeth Borne, présente mardi à l'Assemblée nationale les grandes lignes du projet de loi du gouvernement sur l'immigration qui prévoit notamment des titres de séjour pour les métiers en tension. "C'est quand même une conception très utilitariste et assez déshumanisante de l'immigration", a réagi l'ancien candidat à l'élection présidentielle. Quarante associations, dont l'ONG Singa, appellent le gouvernement à tenir une convention citoyenne sur la migration : "Nous pensons qu'il y a besoin d'un diagnostic apaisé sur ces questions-là", dit-il.
franceinfo : Est-il possible d'avoir un débat apaisé sur l'immigration en France ?
Benoît Hamon : C'est la 22ᵉ loi depuis 1990 sur l'immigration. Ça dit l'impuissance des politiques en France à traiter la question migratoire et à la traiter de manière apaisée. C'est assez frappant de faire la comparaison avec l'Allemagne, qui est un pays qui accueille beaucoup plus. Souvenez-vous de l'épisode de la crise syrienne. Un million de réfugiés, 17 fois plus de personnes accueillies en Allemagne qu'en France. Et pourtant, le débat sur la migration et l'inclusion n'occupe pas la place dans le champ politique en Allemagne qu'il occupe en France.
Le projet de loi du gouvernement vous semble-t-il équilibré ?
Honnêtement, je ne crois pas. D'abord, j'attends de voir, comme la plupart des organisations et des associations, ce qu'il y aura dans ce texte. Mais il me semble prolonger ce que nous avons déjà entendu dans les épisodes précédents, c'est-à-dire quand il y avait d'autres ministres de l'Intérieur à la place de monsieur Darmanin, qui voulaient faire leur loi sur l'immigration. D'abord, l'immigration, incontestablement, change d'échelle. Elle change d'échelle pour des raisons qui sont liées au réchauffement climatique, aux inégalités dans le monde, aux conflits et aux guerres. Et on parle de 60% de migration en plus rien que pour le continent européen depuis 1990. Ce que nous contestons, c'est qu'on puisse être pour ou contre la migration. C'est aussi absurde que de considérer que la Terre est plate. C'est aussi absurde que de dire qu'on est pour ou contre la pluie et le soleil.
Fermer les frontières ne sert à rien ?
C'est déjà quasiment le cas pour la France à l'immigration légale, l'immigration de travail. Ce qui augmente, ce sont les demandes d'asile, ce qui augmente, c'est l'immigration illégale et invisible, c'est-à-dire celle qui génère de la pauvreté, de la précarité et toute une série d'effets négatifs. Tous les pays qui ont décidé de fermer leurs frontières aux migrations n'ont pas empêché l'immigration de changer d'échelle. C'est valable pour la France, c'est valable pour le continent européen. Donc construire une loi avec l'objectif de renvoyer le maximum de gens ou de faire entrer le minimum de gens est à nos yeux un non-sens.
Soutenez-vous le titre de séjour pour les métiers en tension ?
C'est quand même une conception très utilitariste et assez déshumanisante de l'immigration. Ça veut dire qu'on aura un titre de séjour le temps où un secteur économique est en tension, mais que ce titre de séjour tomberait dès lors que le secteur économique n'est pas en tension. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le ministre de l'Intérieur qui l'avait évoqué. Quel est le contrat de travail associé à un tel titre de séjour si on peut décider que quelqu'un redevient irrégulier dès lors que le secteur n'est plus en tension ? Nous souhaitons que les travailleurs sans papiers, c'est-à-dire ceux qui aujourd'hui travaillent et cotisent à la Sécurité sociale, payent des impôts aient un titre de séjour, qu'on reconnaisse socialement leur utilité, leur contribution à la richesse de ce pays. De ce point de vue là, nous sommes favorables à une politique beaucoup plus pragmatique, sur la question des travailleurs sans titre de séjour.
Faut-il accélérer les obligations de quitter le territoire français (OQTF) ?
La France est la championne d'Europe pour les OQTF. En France, effectivement, on prononce une obligation de quitter le territoire français, mais on ne l'exécute que dans à peu près 10% des cas. En Allemagne, on exécute quasiment 50% des OQTF parce qu'en réalité, quand on constate qu'un étranger est en situation irrégulière, on ne prononce pas une OQTF automatiquement. Dans 60% des cas, on régularise le travailleur sans papiers parce que l’on considère qu'il est utile à la collectivité. Il y a en France une crise de l'accueil, une incapacité aujourd'hui à regarder le bénéfice que l'on peut tirer de l'immigration. Chez Singa, notre travail, c'est d'incuber des projets entrepreneuriaux, c'est-à-dire des migrants, des nouveaux arrivants, des réfugiés qui créent des entreprises. Contrairement à cet argument selon lequel, l'immigration prend le travail de ceux qui sont sur le territoire national, c'est exactement le contraire qui se passe en France, en Angleterre ou en Allemagne. Les immigrés, les nouveaux arrivants créent plus d'emplois qu'ils n'en occupent en réalité et contribuent donc à la richesse et à la prospérité de ce pays. Ces faits-là, nous aimerions en discuter dans une convention citoyenne parce que nous pensons qu'il y a besoin d'un diagnostic apaisé sur ces questions-là.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.