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Qui sont les Roms (4/5) ? "Je travaille, j'ai une maison et mes enfants vont à l'école"

Francetv info publie une série de portraits de Roms en France. Viktor, un Rom de Sénart en CDI dans un supermarché.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Viktor et ses deux plus jeunes enfants, le 8 novembre 2013 à Sénart (Seine-et-Marne). (THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO)

Lorsqu'ils ont poussé la porte de leur HLM de Sénart (Seine-et-Marne) pour la première fois, ils n'y ont pas cru. "On m'a donné les clés, j'ai dit : 'Ah bon, maintenant, tout de suite ?'" raconte Viktor*, 32 ans, un Rom de Timisoara (Roumanie). Sept ans plus tard, sa femme, Corina, se souvient avec émotion comment elle a mis plusieurs semaines à réaliser qu'elle était bien chez elle. "Le soir, on n'arrivait pas à dormir. Je disais à mon mari, c'est vrai, c'est à nous ? Je ne rêve pas ?" raconte-t-elle. Du jour au lendemain, le T3 a remplacé la caravane, avec ses toilettes individuelles et son eau chaude, insiste leur aîné, qui a connu les camps de fortune.

Viktor, Corina et leurs trois enfants font partie de ceux qu'Yves Douchin, le responsable département de l'association Romeurope, appelle les "élus du seigneur", "les miraculés". De 2000 à 2007, ils ont bénéficié de l'"expérience d'accueil et d'intégration" lancée par le Syndicat d'agglomération nouvelle de Sénart (SAN), les communes de Lieusaint, de Combs-la-Ville et l'Etat. 

Une vie bouleversée

A la fin des années 1990, des familles roms s'installent au cœur de la ville nouvelle. Certains élus se plaignent, la préfecture décide de tenter quelque chose. Ce sera "le projet", comme l'appellent ses bénéficiaires. En se basant sur leur comportement et leurs antécédents, la préfecture sélectionne 23 familles roms, qu'elle installe sur un terrain équipé de sanitaires et de douches. Elle édicte des règles claires : scolarisation des enfants obligatoire, recherche active d'un emploi et mendicité interdite. En échange, un premier travail leur est proposé et, progressivement, des titres de séjour sont délivrés. A partir de 2003, les familles sont relogées, au fur et à mesure, une fois qu'elles en ont les moyens, dans le parc HLM des communes de Sénart.

La vie de Viktor est bouleversée. "Cela a tout changé. On a eu des papiers, un appartement, les enfants sont allés à l'école", énumère-t-il. Alors qu'il vendait des journaux et faisait la manche pour survivre, le petit homme trapu devient jardinier pour les espaces verts, avant d'enchaîner les boulots comme ouvrier ou cantinier. "Quand j'ai pris mes papiers, j'ai tout de suite travaillé", explique-t-il, avant de glisser fièrement qu'il n'est jamais passé par la case chômage.

Un changement de société

Tout le monde ne fait pas preuve de la même motivation et l'expérience est plus compliquée que prévue. Des familles sont exclues pour des problèmes de comportement et de délinquance. La cohabitation entre les Roms intégrés au projet et les autres pose problème. Certaines exigences administratives passent difficilement. "Il a fallu leur faire découvrir une société qui fonctionne sur d'autres bases. Quand j'allais dans les caravanes, je n'ai jamais vu un bout de papier ou un livre", résume Yves Douchin. 

Pensée pour une durée de deux ans, l'expérience est finalement prolongée jusqu'en 2007 et d'autres familles sont intégrées. La réussite est au rendez-vous : sur les 39 familles suivies, 29 sont logées dans le parc HLM et trois sur le terrain d'accueil à la fin du projet, en mai 2007. La préfecture, qui a financé la grande majorité des 200 000 euros déboursés chaque année pour accompagner les familles, décide cependant d'arrêter là. "Il n'y a pas les crédits et il ne faut pas créer d'appel d'air", justifie-t-elle au Parisien en avril 2007.

"Si on n'avait pas été pris en charge…"

En CDI dans un supermarché, où il range les chariots sur le parking, Viktor n'a aucun mal à mesurer la chance qui est la sienne. Il lui suffit d'observer les conditions de vie des familles qui n'ont pas été retenues pour l'expérience. "Je sais qu'ils souffrent. Si on n'avait pas été pris en charge, on serait comme eux, dans les bois, avec beaucoup de problèmes", résume le trentenaire avec force.

Il ne comprend pas les mesures transitoires qui, jusqu'au 1er janvier 2014, formaient le principal obstacle entre les Roms et l'emploi. "Les Français ne font pas le travail que les étrangers font, abonde Corina. Le patron de mon mari a dit que jamais il n'a eu un monsieur comme lui, qui reste aux chariots. Les autres n'aimaient pas le travail." Elle-même attend avec impatience de pouvoir travailler. La naissance de leur fille en 2007 l'a empêchée d'obtenir des papiers. Elle a dû quitter le stage d'intégration qu'elle suivait pour accoucher et lorsqu'elle a pu à nouveau travailler, le train était déjà passé. 

"Des conneries à la télé sur les Roumains"

Fiers de leurs origines, Viktor et Corina ne supportent pas l'image de leur communauté et les préjugés qui l'accompagnent. Tout comme la récente polémique sur les propos du ministre de l'Intérieur, Manuel Valls. "J'entends des conneries au journal télé, sur les Roumains", peste Viktor, en pointant du doigt son téléviseur branché sur i-Télé. "Si un Roumain pose problème, ils mélangent tout", s'emporte-t-il.

"Regardez moi, je travaille, j'ai une maison, et mes enfants vont à l'école", lâche-t-il. Ces derniers n'apprécient d'ailleurs pas les questions sur l'identité et les origines de leurs parents. Ana, scolarisée en CP et née en France, quitte un instant des yeux son cahier de coloriage pour intervenir dans la conversation : "On est français nous, hein !"

*Les prénoms ont été modifiés à la demande de la famille. 

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