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Reportage En Nouvelle-Calédonie, la campagne pour le troisième référendum sur l'indépendance a des airs de "match dans le vide"

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial en Nouvelle-Calédonie
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Un panneau électoral installé devant la mairie de Poya (Nouvelle-Calédonie), le 29 novembre 2021, à l'occasion du référendum d'autodétermination.
 (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Après les votes de 2018 et 2020, la troisième et dernière consultation sur l'indépendance de ce territoire s'est préparée en pleine crise sanitaire. Ce qui a poussé les indépendantistes à prendre leurs distances pendant la campagne.

Légèrement penchée sur son chariot rempli de draps et de serviettes, la femme de chambre se redresse brusquement. "Bon-bon-bonjour messieurs", bafouille-t-elle, en cette fin de matinée du lundi 6 décembre, collée contre l'un des murs du couloir pour laisser passer deux gendarmes en treillis, rangers aux pieds et armes de poing en main. Elle s'y fait : l'hôtel Nouvata, établissement deux étoiles qui baigne dans l'Anse Vata, à Nouméa, est transformé en camp de base pour une partie des 2 200 renforts venus de l'Hexagone avec pour mission de sécuriser le troisième et dernier référendum d'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, prévu dimanche 12 décembre.

Les troupes y ont posé leur paquetage. Un militaire traverse le hall d'entrée, Flash-Ball à la ceinture, sous les yeux éberlués des touristes affalés dans des fauteuils. A l'entrée du parking, squatté par de gros engins bleus ou kaki, un autre mouline avec les bras, façon agent de circulation. "Il ne manque plus que des hélicoptères atterrissent sur le toit, tel James Bond", rigole un visiteur qui sera prié, un instant plus tard, de "bien vouloir" garer sa voiture plus loin.

Des camions de la gendarmerie stationnés sur le parking d'un hôtel à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), le 6 décembre 2021. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"Ce n'est pas un scrutin classique, vu les enjeux et les attentes", justifiait il y a quelques jours le général de gendarmerie Christophe Marietti, en charge de l'opération. Voilà qui est bien résumé : mi-octobre, les indépendantistes ont pris la parole – et tout le monde de court – en annonçant que cette ultime consultation se déroulerait sans eux. Comment faire une "campagne équitable" en pleine pandémie de Covid-19, questionnent-ils en substance. L'archipel, qui a vécu sans le virus pendant un an et demi, a en effet été rattrapé à la rentrée de septembre, avec 270 morts en six semaines (279 au 5 décembre), essentiellement des Kanaks, habitants historiques du territoire. "Donnez-nous le temps d'enterrer nos morts", répètent au micro et devant les caméras les responsables kanaks, en demandant le report du vote. 

"Le 12 décembre, j'irai à la chasse"

Un report ? Hors de question, répond le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu. Et voilà que le référendum prévu par l'accord de Nouméa sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté et à l'indépendance va se dérouler sans la participation du "peuple colonisé", selon les termes officiels du compromis signé par la France il y a vingt-trois ans.

Le hic, c'est que personne n'avait vraiment prévu ce scénario. Ni le Haut-Commissariat de la République, qui représente l'Etat français sur ce territoire et imprime les bulletins de vote. Ni les politologues, qui répétaient cet été encore que "la dynamique électorale" était "dans le camp des indépendantistes". Ni les loyalistes, partisans du maintien dans la France, qui n'ont plus d'adversaire direct. Ni les médias, enfin, contraints d'annuler en catastrophe leurs émissions de débats, peu avant l'échéance. 

Sur les panneaux électoraux règne comme une impression de vide. Seules les affiches pour le "non" bronzent au soleil. Casse-tête aussi dans les couloirs du CSA : à la télé et à la radio, seuls les spots réalisés par les partis en faveur du maintien dans la République française sont diffusés, les partisans du "oui" n'ayant pas envoyé la moindre bande.

Des panneaux électoraux installés à Nouméa, Hienghène, Touho et Poya (Nouvelle-Calédonie) pour le référendum d'autodétermination du 12 décembre 2021. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Drôle d'ambiance... Le long des 400 km de la RT1, qui dessert toutes les communes de la côte ouest, de Dumbéa à Koumac, il y a bien ici et là quelques drapeaux "kanaky", visibles de loin, avec leurs cinq couleurs (bleu, rouge, vert, jaune et noir). Sur les arbres, sur les poteaux électriques. Mais "rien à avoir avec ce qu'on a connu en 2018 et 2020", fait remarquer un électeur pro-indépendance croisé à la station-service de Moindon, symbole "kanaky" qui pendouille au rétroviseur. Le plein d'essence payé, il lance la discussion : 

"- Vous venez d'où comme ça ?

- Hienghène.

- Vous avez surtout dû voir des banderoles en lien avec le Covid-19.

- Exact. 

- Bah voilà. C'est ça qui nous préoccupe en ce moment. Le Covid, pas le scrutin.

- Vous irez voter le 12 décembre ?

- Non, j'irai à la chasse." 

A vrai dire, les leaders kanaks n'ont pas totalement rien fait. "On est allés voir nos électeurs, mais ce n'était pas pour faire campagne, veut signaler Pierre-Chanel Tutugoro, le secrétaire général de l'Union calédonienne, parti politique qui milite pour l'indépendance du territoire. C'était pour rappeler aux gens la consigne du 12 : on ne va pas voter." Ces derniers jours, il a par exemple garé sa voiture à Nouméa, La Foa, Païta, Poya, Poindimié, pour des réunions de deux heures à chaque fois, "dans les quartiers ou en tribus", "sur le mode questions-réponses".

"Il y a des gens qui envisagent quand même de voter, ou qui ne comprennent pas toujours pourquoi il ne faut pas voter. Alors on leur explique pourquoi il faut rester chez soi."

Pierre-Chanel Tutugoro, secrétaire général de l'Union calédonienne

à franceinfo

Il n'empêche : "Pour des gens censés rester discrets, les indépendantistes s'expriment et se montrent beaucoup. Les tribunes dans les médias, les communiqués de presse... Vous ne trouvez pas qu'ils sont quand même visibles ?" murmure, taquin, un partisan du "non" à l'indépendance. Sur les réseaux sociaux, chaque nouveau soutien à leur demande de report du scrutin est en effet relayé en masse. Y figurent celui du mouvement "Pour une Alsace autonome dans une Europe des peuples", de 25 députés madrilènes issus de six partis différents, du mouvement politique indépendantiste corse "Core in Fronte", du Parti communiste des ouvriers de France (PCOF), de la CGT, de Solidaires, du Parti communiste réunionnais, des indépendantiste bretons, du sénateur basque Gorka Elejabarrieta Diaz, et même celui du conseil œcuménique des Eglises...

Une inscription favorable à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, sur une route de Poya, le 29 novembre 2021. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"Le sentiment d'une campagne Canada Dry"

En face, les partisans du "non" se sentent "un peu seuls". "On a l'impression de jouer un match dans le vide, compare Philippe Gomès, député UDI de Nouvelle-Calédonie et membre-fondateur du parti Calédonie ensemble. Les débats auraient dû être des moments intéressants de confrontation, mais les défenseurs du 'oui' ne viennent pas. Donc on ne va pas venir non plus. Un débat, c'est au moins deux adversaires, pas un fauteuil vide en face qui ne vous répond pas." En 2018, à l'occasion du tout premier référendum, lui et ses équipes avaient "labouré" l'île "en long, en large et en travers". "On avait fait 137 meetings !" Et cette fois ? "Oh, oh, souffle l'élu. J'ai le sentiment d'être dans une campagne Canada Dry, c'est très étrange. L'absence des indépendantistes n'aide pas."

Quelques jours avant le scrutin, il a par exemple pris la parole devant 30 personnes lors d'une réunion publique à Bourail, en brousse, à 160 kilomètres au nord de Nouméa. "J'aurais adoré qu'on soit plus, 70, 80. Mais voilà, il y a une jauge que l'on respecte." A défaut d'enflammer la foule, comme il y a trois ans, le député a donc enfilé à quatre reprises une chemise impeccablement repassée pour répondre aux questions des internautes, en Facebook Live. 

"C'est moins chaleureux qu'un vrai meeting mais c'est une manière de garder le contact, de rester dans la dynamique d'un scrutin."

Philippe Gomès, député UDI de Nouvelle-Calédonie

à franceinfo

Et entre les deux camps ? Aucun contact, mais chacun "surveille" l'autre. Il arrive même que l'on s'entraide. A Hienghène, bastion indépendantiste qui a voté à plus de 95% pour quitter la France lors des deux précédents scrutins, la municipalité a "gentiment" accepté de prendre avec elle une affiche du "non". Les équipes de Philippe Gomès n'avaient pas pu la scotcher parce que les contreplaqués servant de panneaux électoraux n'étaient pas encore installés le jour de leur venue. "Ils sont allés eux-mêmes mettre notre affiche dans la tribu et ils nous ont envoyé une photo quand c'était fait", sourit le parlementaire.

Le 13 décembre, au lendemain du vote, chacun retrouvera pourtant son couloir. Les leaders indépendantistes ont déjà prévenu qu'ils ne reconnaîtraient pas le résultat des urnes. Pierre-Etienne Bisch et les 260 délégués de la commission de contrôle éparpillés dans les différents bureaux de vote ont pour mission de consigner dans un registre chaque incident qu'ils constateront, comme "des gens qui viendraient sans l'intention de voter mais avec l'intention de nuire" à la sincérité du scrutin, résume le conseiller d'Etat honoraire, calepin sous le bras"Ça promet un drôle de référendum, lâche, amer, Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique à l'université de la Nouvelle-Calédonie. Quelle que soit l'issue, rien ne sera réglé, ça nous maintient dans une forme d'impasse." Les gendarmes resteront à l'hôtel Nouvata le temps qu'il faudra. La date de fin de leur mission au bout du monde n'a pas encore été fixée. 

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