Pourquoi la crise syrienne embrase le Liban
Syriens enlevés, commerces saccagés, routes bloquées… Le conflit syrien s'est exporté au Liban mercredi 15 août. FTVi vous explique pourquoi le pays du cèdre est si sensible aux soubresauts qui agitent son voisin.
SYRIE - Une nouvelle fois, le conflit syrien s'est invité au Liban mercredi 15 août. Après les affrontements entre partisans et adversaires du régime de Bachar Al-Assad dans la ville libanaise de Tripoli en mai, un clan chiite a enlevé 33 ressortissants syriens, un Saoudien et un Turc et bloqué l'accès à l'aéroport de Beyrouth.
FTVi vous explique pourquoi le conflit syrien s'exporte dans le pays du cèdre.
L'enlèvement d'un chiite libanais met le feu aux poudres
Tout a commencé en Syrie, lundi 13 août. Hassan Al-Mouqdad, un chiite libanais de 40 ans, est enlevé par les rebelles sunnites de l'Armée syrienne libre (ASL). D'après les opposants de Bachar Al-Assad, l'homme est un sniper du Hezbollah, le parti chiite libanais allié du régime syrien, envoyé pour aider Damas à réprimer la rébellion.
Deux jours plus tard, face à l'incapacité des autorités libanaises à libérer leur homme, le clan des Al-Mouqdad, qui revendique selon RFI 5 000 hommes armés, décide de riposter. "Nous avons enlevé à Beyrouth et dans la plaine de la Bekaa 33 Syriens, dont un capitaine de l'Armée syrienne libre qui était soigné dans un hôpital, ainsi qu'un Turc, pour obtenir la libération de notre parent Hassan", a déclaré à l'AFP Hathem Al-Mouqdad, porte-parole du clan chiite.
Les Al-Mouqdad, qui ne comptent pas en rester là, rejettent par ailleurs les accusations de l'ASL. "Ce n'est ni un tireur embusqué, ni un membre du Hezbollah. Sa femme ne porte même pas le voile. Toutes ces accusations sont des mensonges. Notre demande n'est pas politique. Il s'agit d'une question humanitaire", affirme Abou Ali Al-Mouqdad, un autre membre de la famille, au quotidien libanais L'Orient-Le Jour. De son côté, le Hezbollah dément également tout lien avec l'otage.
A cette vendetta du clan Al-Mouqdad s'est ajoutée une nouvelle qui a achevé de mobiliser les chiites du Liban. Les médias nationaux ont annoncé, dans un premier temps, la mort de leurs onze coreligionnaires kidnappés par les rebelles en mai dernier dans le nord de la Syrie, avant de rectifier en indiquant que seuls quatre d'entre eux avaient été blessés dans un raid de l'aviation syrienne. Dans les quartiers sud de Beyrouth, les chiites ont violemment réagi, s'en prenant à des commerces tenus par des Syriens, avant de brûler des pneus pour bloquer la route de l'aéroport.
Des soupçons d'ingérence étrangère
Pour les spécialistes du Liban interrogés par FTVi, la question centrale soulevée par ces troubles est le rôle éventuel de puissances étrangères. Joseph Bahout, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales de SciencesPo s'étonne de voir tout cela "prendre un tour conflictuel" et s'interroge sur les véritables motivations des Al-Mouqdad. "D'habitude, ces gens-là vivent de trafics en tous genres, de cultures illicites", rappelle-t-il.
La même question vaut pour les rebelles syriens : "Pourquoi l’ASL a-t-elle choisi d’enlever un membre des Al-Mouqdad ? On sait que la relation entre les clans de la Bekaa et le Hezbollah n’est pas paisible, ce sont des gens très soucieux de leur indépendance", poursuit le chercheur, mettant en doute les justifications de l'Armée syrienne libre.
"Le Liban est une scène ouverte à tous les vents, et de nombreuses puissances régionales s’envoient des messages par services de renseignement et par groupes libanais interposés", ajoute Karim Bitar, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques et spécialiste de la région. "On peut imaginer que tout cela entre dans le grand bras de fer entre l’Iran [chiite, soutien du régime syrien] et les puissances sunnites du Golfe [Arabie saoudite et Qatar, notamment]", ajoute-t-il.
Pour le moment, il n'y a aucune preuve tangible du rôle des uns ou des autres, même si les Al-Mouqdad ont impliqué dans le conflit libanais les monarchies sunnites du Golfe et la Turquie, soutiens de l'ASL, en visant leurs ressortissants. En réaction, les Emirats arabes unis, le Qatar, Bahreïn et le Koweït, après l'Arabie saoudite, ont appelé leurs citoyens à quitter le Liban en raison de la situation sécuritaire.
Le Liban, un pays hautement inflammable
Cette importation du conflit syrien se fait d'autant plus facilement que le terreau libanais y est très favorable. Véritable mosaïque de communautés religieuses et théâtre d'une violente guerre civile de 1975 à 1989, le Liban se caractérise par un Etat central impotent et un faible sentiment national. Ce qui explique en grande partie l'impunité dont bénéficient les Al-Mouqdad. "Le gouvernement a du mal à prendre des décisions simples, alors décider de les arrêter…", explique Joseph Bahout, tout en rappelant que l'armée libanaise est un "acteur extrêmement fragile".
Dans ce contexte, les allégeances sont donc d'abord communautaires. "Les tensions communautaires nées en Syrie sont violemment ressenties au Liban, où un sentiment de solidarité s’est créé chez les sunnites libanais", constate Karim Bitar. "La sociologie politique libanaise est fragile. Il y a tellement de sentiments qu’il est très facile de réembraser le foyer", abonde Joseph Bahout.
"Beaucoup ont des comptes à régler avec la Syrie"
Le lien intime qui relie la Syrie au Liban, que l'armée syrienne a occupé de 1976 à 2005, est un autre vecteur de contagion. "Cela joue dans les deux sens, explique Karim Bitar. La Syrie dispose toujours d'un important réseau d'affidés qu'elle peut mobiliser à sa guise". A l'inverse, "beaucoup de Libanais ont été traumatisés par cette expérience et ont des comptes à régler avec le régime", poursuit-il.
La relation à la Syrie est même l'une des principales lignes de faille de la politique libanaise, avec d'un côté le Hezbollah et ses alliés (pro-Al-Assad, au pouvoir) et de l'autre le Courant du futur, parti de Saad Hariri (anti-Al-Assad, dans l'opposition). Autant d'éléments qui rendent la situation explosive. "La pente est telle que le pays va s’enliser dans le conflit à la suite de la Syrie", estime Joseph Bahout. Le chercheur n'est pas très optimiste quant à une amélioration de la situation. "Il faudrait que le Bon Dieu existe, qu’il aime la région et qu’il ait du temps. Cela fait trois conditions difficiles à réunir", ironise-t-il.
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