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Le conflit syrien menace de contaminer le Liban

Depuis samedi soir, des affrontements opposent pro et anti-Bachar Al-Assad à Tripoli, dans le nord du Liban. Quatre personnes y ont déjà perdu la vie, renouvelant les craintes de l'extension du conflit syrien à son voisin.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des Libanais sunnites combattent à Tripoli (Liban), le 13 mai 2012. (AFP)

Depuis samedi 12 mai, les nuits de Tripoli sont agitées. Sept personnes sont mortes et une cinquantaine ont été blessées dans ce port du nord du Liban, deuxième ville du pays. Des violences opposent les quartiers de Bab el-Tebbaneh et de Jabal Mohsen sur fond de conflit en Syrie. En effet, le premier est majoritairement peuplé de sunnites, hostiles au régime de Damas, alors que les portraits du président syrien ornent les murs et les boutiques du second, habité par des Alaouites, branche du chiisme dont est issue la famille Al-Assad.

• Que s'est-il passé ?

Samedi, une centaine de jeunes islamistes dressent un camp à l'entrée sud de Tripoli. Ils plantent des drapeaux noirs frappés de la profession de foi musulmane. On voit aussi des drapeaux de l'indépendance syrienne, symboles de la rébellion. Ces islamistes réclament la libération d'un des leurs, qui vient d'être arrêté : Chadi al-Mawlawi. Cet homme de 27 ans est soupçonné de "lien avec une organisation terroriste" par les autorités, mais il n'est selon les manifestants qu'un sympathisant de la révolte en Syrie.

La situation dégénère quand des jeunes islamistes hostiles tentent de s'approcher d'un bureau du Parti social nationaliste syrien (PSNS), une formation pro-Assad. Des tirs éclatent. D'après Le Figaro, qui cite un député tripolitain, Misbah Ahdab, "d'un seul coup, les manifestants ont essuyé des tirs venus de voitures qui passaient ainsi que de francs-tireurs".

Un mort dans des heurts entre pro et anti-régime syrien au Liban (Francetv info)

Le correspondant de RFI au Liban décrit "de vraies scènes de guerre civile", avec des pneus brûlant aux carrefours, des dizaines d'hommes patrouillant, parfois cagoulés, et des affrontements opposant "des groupuscules islamiques sunnites à des miliciens alaouites". Quant à l'armée, elle est "prise entre deux feux".

• Pourquoi ces affrontements ?

Ils ne sont pas nouveaux. Ainsi, les 10 et 11 février, des incidents se sont déroulés dans des circonstances proches. Une simple manifestation réclamant la fin des violences en Syrie a dégénéré et les deux quartiers se sont affrontés. Il y a eu mort d'homme. Selon un autre article du Figaro, qui se penchait sur ces violences, "les accrochages sont récurrents".

A Tripoli, les sunnites sont favorables aux rebelles syriens quand chiites et Alaouites soutiennent le régime de Damas. Une scission à l'image du Liban, clivé entre l'opposition sunnite et chrétienne, soutenue par Washington et Riyad et hostile au régime syrien, et le camp du Hezbollah chiite qui domine le gouvernement libanais avec le soutien de Damas et Téhéran.

La ville est située à une cinquantaine de kilomètres de Homs, bastion rebelle syrien. De nombreux activistes ont franchi la frontière pour s'y réfugier. Tripoli est largement partisane du Courant du futur, le parti de Saad Hariri, ex-Premier ministre sunnite.

Mais du temps de l'occupation syrienne, le fief de la minorité alaouite de Jabal Mohsen a été "surarmé" et les hommes "surentraînés, pour consolider l'assise de cette communauté et éventuellement faire face aux adversaires de la communauté ou de la Syrie", explique le politologue Antoine Basbous, qui dirige l'Observatoire des pays arabes.

• Comment expliquer ces rancœurs ?

Pour comprendre les affrontements de février, Libération donnait alors la parole à "un imam de tendance plutôt salafiste" (sunnite) qui expliquait que "chaque habitant du quartier [Bab al-Tebbaneh] a un membre de sa famille qui a été soit tué, soit arrêté par les Syriens, sans compter ceux qui demeurent handicapés à cause des tortures subies".

Pour le grand reporter Jean-Pierre Perrin, auteur de l'article, "pas besoin d’insister pour comprendre que ce qui se déroule en Syrie est vécu par les religieux sunnites de Tripoli comme le prolongement de ce qui s’est passé au Liban, quand les Syriens régnaient sur ce pays, jusqu’à ce que la révolution du cèdre les en chasse, en mars 2005". Après l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri (le père de Saad), les troupes syriennes avaient dû quitter le pays sous la pression internationale et populaire. "Aussi, les communautés libanaises considérées comme les alliées de la Syrie, soit les chiites et les Alaouites (…), sont-elles particulièrement vilipendées", écrivait Jean-Pierre Perrin.

Un sunnite armé passe son arme à travers une fenêtre, lors de combats, le 14 mai 2012, à Tripoli. (JOSEPH EID / AFP)

• Quelle partition joue Damas ?

La Syrie se cache-t-elle derrière les violences de ce week-end ? Georges Malbrunot, le correspondant du Figaro, s'interroge : "Pour l'instant, Bachar Al-Assad a choisi de laisser le Pays du cèdre à l'écart des turbulences syriennes, mais jusqu'à quand en sera-t-il ainsi ?" Le journaliste rappelle que "Damas accuse son voisin de fermer les yeux sur les livraisons d'armes" à destination des insurgés syriens.

Les Nations unies se sont inquiétées il y a une semaine du trafic d'armes entre les deux pays. Et les autorités libanaises ont saisi 60 000 cartouches dissimulées dans deux voitures à bord d'un cargo italien dans le port de Tripoli il y a deux semaines.

Antoine Basbous estime, lui, que les Syriens tiennent les autorités libanaises. Il relève par ailleurs "une accélération de la guerre en Syrie depuis la semaine dernière", avec le double attentat de Damas. Selon lui, Bachar Al-Assad veut en attribuer la paternité à Al-Qaïda. "Le régime cherche à faire passer un message aux Occidentaux : nous combattons le même adversaire", explique-t-il. Alors que d'après le politologue, Al-Qaïda serait plus proche du régime qu'il ne le dit.

Par ailleurs, la Syrie, qui a une "capacité de nuisance réelle à travers l'alliance avec le Hezbollah", menacerait de mettre le feu aux poudres chez son voisin comme pour prévenir : "vous n'avez pas intérêt à vous occuper aussi du Liban". Pour Antoine Basbous, toutefois, les "accrochages" n'ont pas vocation à s'étendre, "parce que les Alaouites sont une petite communauté" qui risquerait d'être vite dépassée.

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