Pourquoi Nicolas Sarkozy ne peut pas laisser couler SeaFrance
De justesse, lundi 2 janvier, le président de la République a décidé de soutenir le projet de coopérative (Scop), seule solution de reprise de la compagnie de ferries en liquidation judiciaire. Décryptage.
Quitte à désavouer son ministre sur la question, autant aller jusqu'au bout. Nicolas Sarkozy a justifié mardi 3 janvier la décision du gouvernement de soutenir le projet de reprise par les salariés de la compagnie de ferries SeaFrance, en liquidation judiciaire.
"Quand il y a une chance de sauver une entreprise, c'est le devoir du président de la République de s'y impliquer, je ne crois pas à la fatalité, a déclaré le chef de l'Etat à Lanvéoc-Poulmic (Finistère). Je ne renoncerai jamais." Pourquoi le président s'active-t-il pour éviter un échec dans ce dossier ?
• Parce qu’il a fait de l’emploi la priorité de la fin de son mandat
Et il n’est pas le seul. Selon un sondage OpinionWay Fiducial pour le quotidien La Croix, "le maintien de l’emploi" est la préoccupation principale des Français. Elle arrive en tête pour 52 % des personnes interrogées, devant "la lutte contre la hausse des prix des produits de première nécessité" (39 %), et "le maintien du remboursement des soins".
Du coup, pas question de faiblir sur ce thème. Nicolas Sarkozy a demandé lundi à la SNCF, maison-mère de SeaFrance, d’accorder aux salariés "une indemnisation supra-légale exceptionnelle" pour les aider dans le projet de reprise. Jusqu’à la semaine dernière, Thierry Mariani, ministre chargé des Transports, dénonçait le "jusqu’au-boutisme" des représentants CFDT "qui nous mènent au suicide collectif".
De même, le dossier de la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne, près de Rouen (Seine-Maritime), est suivi de très près par le ministre de l’Industrie, Eric Besson. A la demande de l’Elysée, René Ricol, commissaire général à l’investissement, planche lui sur le sauvetage de Photowatt International (441 salariés), en redressement judiciaire depuis le 8 novembre, comme le racontent Les Echos.
• Parce qu’il a un bilan très mitigé en la matière
Ce n’est pas faute de s’être mobilisé dans de nombreux dossiers, mais le bilan de Nicolas Sarkozy quant au sauvetage d’entreprises n’est pas brillant. Retour sur trois exemples emblématiques.
ArcelorMittal, Gandrange, février 2008
Lundi 4 février 2008, Nicolas Sarkozy se rend à Gandrange (Moselle) dans l’usine d’ArcelorMittal, où près de 600 emplois, plus de la moitié des effectifs, sont menacés. Une visite qui se veut "providentielle", rapporte Le Figaro. Il y promet que "l'Etat est prêt à prendre en charge tout ou partie des investissements nécessaires" pour pérenniser l'aciérie. Et conclut : "Soit nous arrivons à convaincre Lakshmi Mittal, le patron d'ArcelorMittal, et nous investirons avec lui, soit nous trouvons un repreneur, et nous investirons avec lui."
Finalement, "l’Etat ne pouvait ni s’opposer à la stratégie industrielle d’ArcelorMittal, ni investir à sa place", rappelle Libération. L’aciérie ferme et 600 emplois sont supprimés en mars 2009.
Continental, Clairoix, mars 2009
Après l'annonce de la fermeture du site de Clairoix (Oise), le président fustige les dirigeants de Continental pour n'avoir pas tenu leurs engagements.
Des délégués des 1 200 salariés en colère sont reçus le 25 mars 2009 à l’Elysée par Raymond Soubie, conseiller de Nicolas Sarkozy. Il assure que le chef de l’Etat est "à leurs côtés" pour "trouver les meilleures solutions possibles" face à une entreprise dont "le comportement n'a pas été digne". Par sa voix, et "à la demande du président", l'Etat s'engage à "faire tout son possible sur le plan industriel et sur le plan social". En juin 2009, le gouvernement contresigne un accord entre les salariés et l'entreprise de pneumatiques.
Le 26 septembre 2011, les syndicats font les comptes et s’insurgent, rapporte Le Courrier Picard : selon eux, "plus de 650 salariés sont encore en attente du respect de cet engagement", à savoir d'un reclassement. Environ 500 Contis ont même entrepris une procédure aux prud'hommes pour licenciement non jusitifé : une procédure d'une ampleur inédire en France.
Molex, Villemur-sur-Tarn, septembre 2009
Début septembre 2009, Nicolas Sarkozy se met en colère contre l'équipementier américain Molex, qui veut délocaliser la production de son site de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne), relate Le Monde : "Ce qui se passe chez Molex ne me va pas, déclare-t-il alors. On doit respecter ses employés, qui ne sont pas des marchandises." Il s’engage à ce que l’Etat garantisse le repreneur. Mais en octobre, l'usine ferme. La maison mère refuse de continuer à payer le plan social. Quelque 283 salariés sont laissés sur le carreau.
• Parce qu’il y a des précédents douloureux
Législatives de 1997 : la droite et Renault-Vilvorde
En février 1997, Renault annonce la fermeture de son centre de Vilvoorde (Belgique) pour rationaliser sa production en Europe. Environ 3 100 salariés sont menacés. "A l’époque, le gouvernement Juppé ne fait rien", se souvient Fabien Namias, chef du service politique de France 2.
Lionel Jospin, lui, promet à deux reprises que le dossier sera réexaminé si le Parti socialiste remporte les élections. La droite perd les législatives. Quelques mois plus tard, Jospin admet son impuissance : "J'ai une sensibilité et une opinion en tant que responsable politique, mais je ne peux pas apporter une réponse à une question industrielle."
Présidentielle de 2002 : la gauche et LU
Début 2001, alors que la filiale de Danone affiche plus de 130 millions d'euros de bénéfices, elle annonce la suppression de 1 780 emplois, dont 570 dans l'Hexagone. Au mois d’avril, Lionel Jospin se déplace à Ris-Orangis (Essonne) et se fait bousculer par des "p'tits Lu" qui lui crient "faut nous aider". Le candidat à la présidentielle répond "on le fait et on continuera".
Puis le Premier ministre suggère d'imposer des "limites" à "ces grands groupes prospères [qui] parfois prennent des décisions alors que leurs taux de rentabilité sont bons", relate 20minutes.fr."On se demande si on ne doit pas voter directement pour les patrons, puisque ce sont eux qui commandent", s’énerve l’un des salariés. "Essayez cette solution", lâche alors Jospin, selon Libération.
Jacques Chirac s’y rend quinze jours après, mais attire les protestataires loin des caméras pour leur répondre. Cruel parallèle. Lors de la présidentielle un an plus tard, les socialistes paient cher leur impuissance affichée face au désarroi des ouvriers.
Pour SeaFrance, la décision du tribunal de commerce est attendue le 9 janvier. Mais même avec l'implication de Nicolas Sarkozy, rien ne dit que la Scop voulue par les salariés peut sauver l'activité de la compagnie de ferries.
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