A Istres, le logo du FN suffit à gagner des voix
Marine Le Pen est arrivée en tête au 1er tour de la présidentielle avec plus de 25% des voix dans deux circonscriptions de Bouches-du-Rhônes de l'étang de Berre, en bastion communiste.
L'étang de Berre, vaste étendue d'eau qui réfléchit le soleil à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Marseille. La Provence, les toits orangés qui émergent par petits groupes des forêts de pins. Bastion historique de la gauche de la gauche. Marine Le Pen en tête au premier tour de la présidentielle avec plus de 25% des voix dans deux circonscriptions. A l'arrivée, Sarkozy largement devant dans la 12e, l'inverse dans la 13e.
"Vous n'êtes pas d'ici vous, ça s'entend à votre accent pointu"
"Ici, c'est une bouillabaisse assez spéciale", met en garde Eric Diard, député UMP de la 12e et candidat à sa propre réélection. Mais tout le monde est sur le pont. Et quelques habitants à fleur de peau. Comme cette ménagère de Martigues, qui s'énerve du tac au tac : "Ah ça non, vous n'êtes pas d'ici vous, ça s'entend à votre accent pointu", face à un militant UMP qui vante sur le marché l'ancrage local de ses candidats. Elle poursuit : "Non monsieur, ça s'entend! Le patois, l'accent provençal, ça se perd à cause de gens comme vous!"
L'équipe UMP n'est pas au bout de ses peines. Les sympathisants de gauche, nombreux dans cette ville communiste depuis plus de 50 ans, ne se gênent pas pour refuser les tracts ou les jeter avec dégoût quand ils sont glissés avec facétie dans leur cabas.
"Avant on vendait des nappes avec des cigales. Maintenant regardez..."
De son propre côté de l'échiquier politique, le duo UMP n'est pas mieux accueilli. "La fausse droite"; "La droite molle!". "Pardonnez l'expression mais ils disent qu'on n'a pas de couilles", explique Philippe Morizot, le suppléant de Michèle Vasserot sur la 13e.
"Les gens nous disent : 'Avant, sur les marchés, on vendait des nappes avec des cigales et des olives. Maintenant, regardez.'" Et de désigner un étal de voiles islamiques plus ou moins stricts coincé entre un primeur et des maillots de bain deux pièces. "Les gens vivent ça comme une agression visuelle, une agression culturelle".
"Le FN prend de l'ampleur ici, c'est indéniable", confirme Béatrix Espallardo, la candidate frontiste dans la 13e, installée à la terrasse d'un café sur une petite place d'Istres. Militante au FN depuis 20 ans, frange noire, lunettes de vue autour du cou par-dessus une croix en or et ceinture panthère,"la cinquantaine", elle se présente à une élection pour la première fois.
Ils votent "pour n'importe qui tant qu'il y a le logo" FN
Aidée d'une dizaine de militants actifs, elle se bat contre "l'insécurité et, euh, ben l'immigration surtout", sans pour autant réussir à spécifier des exemples locaux des maux qu'elle dénonce. S'inspirant de son tract, en tous points identique à celui du candidat FN dans la circonscription voisine, à la photo près, elle récite: "Maintenant les gens sont obligés de s'adapter aux immigrés".
A part une réunion hebdomadaire, cette vendeuse dans une boutique de lingerie ne fait presque pas campagne. Ni marché ni affichage sauvage. "On laisse les gens vivre leur vie". Timide et douce, cette ceinture noire de karaté n'est "pas une figure politique". Ses voix, c'est la flamme bleu blanc rouge sur son affiche qui les lui apporte.
Au PMU d'une ville voisine, les habitués ne la démentent pas, eux qui voteraient "pour n'importe qui tant qu'il y a le logo". Ils veulent que le FN ait des sièges à l'Assemblée nationale, "au moins une banquette", blaguent-ils. Chapelet autour du cou et marcel bleu, l'hymne italien en sonnerie de portable, Jeannot, la patron, explique : "J'en ai marre des étrangers chez moi, de payer pour les gens qui servent à rien et qui font du mal à nos petits vieux." Son analyse fait l'unanimité autour du comptoir.
"Vous mettez un bulletin FN dans l'urne, vous mettez un bulletin pour la gauche"
L'efficacité de l'étiquette FN exaspère le ticket UMP Michèle Vasserot-Philippe Morizot, qui "laboure le terrain depuis plus de 20 ans" dans la même circonscription. Ils ont même nommé des responsables dans chaque ville pour plus d'efficacité. "Autant on est en total désaccord avec le programme économique du FN, autant, sur le reste...", glisse le suppléant qui se revendique de la Droite populaire.
Juste à côté, Michèle Vasserot s'escrime à convaincre un septuagénaire aux cheveux mi-longs, teints en auburn et soigneusement peigné vers l'arrière, frontiste bien accroché. "Tout ce qu'on veut, c'est sortir les communistes de cette circo", résume-t-elle. Et débite à toute vitesse : "Je ne chasse pas sur les terres du FN, je suis patriote, de toute façon, vous mettez un bulletin FN dans l'urne vous mettez un bulletin pour la gauche."
"Ils sont en vraie terre de mission", soupire Eric Diard leur collègue dans la 12e circonscription, maire depuis 2001 et élu député l'année suivante. Même si chez lui, le candidat FN est bien plus actif, "et pour cause, ici ils ont eu les mairies de Vitrolles et Marignane donc il rêvent de revenir!"
"Toute atteinte est vécue comme une agression"
Lui, rond et souriant dans sa chemise bleue ciel, du genre bon père de famille qui remet sa cravate pour la photo, est clair. Il fait campagne sur son bilan local. "Le pôle de cardiologie maintenu, la réouverture du tunnel du Rove ...". Et la sécurité.
Il a augmenté effectif de police municipales et développé la "vidéo protection avec 26 caméras pour 7 500 habitants" et choisi son slogan "Fier de vous défendre". Et a bien compris : "Il y a ici une fierté de vivre en Provence. Les gens sentent qu'ils vivent dans un cadre privilégié donc toute atteinte est vécue comme une agression."
Un constat que fait aussi Gaby Charroux, maire de Martigues. Le candidat du Front de gauche pour reprendre la circonscription d'un communiste qui ne se représente pas est consterné : "C'est mon pays, mon département, ma rue, mon immeuble, soupire-t-il. On va bientôt se faire la guerre entre quartiers d'une même ville."
Lui dit "essayer de favoriser l'intégration avec l'accès à la culture, la mixité sociale, pour éviter la grosse catastrophe". Sous entendu, la grande délinquance comme celle qui met Marseille à la une quasi quotidiennement.
Même si le risque de triangulaire existe, même si le FN et l'UMP pourraient s'allier pour essayer de le faire tomber, Gaby Charroux se dit plutôt serein. Lui aussi s'appuie sur les résultats de son action de maire et à la tête de la communauté d'agglo. Et attend le 10 juin au soir pour compter les points. Un sondage grandeur nature avant les municipales de 2014.
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