Antarctique : à la station Akademik-Vernadsk, les scientifiques ukrainiens vivent le conflit à distance
C’est un petit bout d’Ukraine à l’autre bout du monde. La station scientifique Akademik-Vernadsky héberge quatorze scientifiques ukrainiens durant l’hiver et jusqu’à vingt-quatre en été. Mais, même à 15 000 km de distance, la guerre est omniprésente dans leur quotidien. A l’occasion d’une visite de l’expédition Persévérance autour de l’explorateur français Jean-Louis Etienne, les journalistes de France Télévisions ont pu découvrir cette base située à Marina Point sur l’île Galindez, en péninsule antarctique.
Ils sont accueillis par Bogdan Gavrylyuk, géophysicien et commandant de la base. Il a effectué son premier hivernage ici il y a vingt-et-un ans. Il a toujours eu cette passion pour la science polaire et travaillait déjà dans sa ville natale de Kharkiv sur l’Antarctique et sur des plans d’infrastructure de cette station.
Celle-ci est composée de neuf bâtiments, dont de nombreux laboratoires mais aussi d'une salle médicalisée de dentisterie et de chirurgie. Car, pendant la longue nuit de l’hiver austral, les hivernants sont ici coupés du monde. La station est dotée d’un grand réservoir de fuel, vital pour chauffer la base. Il est approvisionné une fois par an grâce à un brise-glace. Ce moment est toujours un soulagement pour le personnel de la station. Mais désormais, la guerre fait planer une menace constante sur leur activité.
"Tous les jours, nous recevons de terribles nouvelles de notre pays, détaille Bogdan Gavrylyuk. Nous avons de gros problèmes de personnel car beaucoup d’hommes sont mobilisés par l’armée. Nous avons des problèmes de logistique. Cette saison, nous avons reçu notre ravitaillement mais qui sait ce qui arrivera l’année prochaine et pour le futur…?".
70 ans de science polaire
L'histoire de cette base remonte à l'après-guerre. En1947, le British Antarctic Survey (BAS) établit une première implantation dénommée "Base F" sur l’île Winter. Le bâtiment principal, aujourd’hui transformé en un petit musée, donne un aperçu des conditions de vie à l’époque. On l’appelle "Wordie House" en hommage à James Wordie, un des membres de la fameuse expédition Endurance de Ernest Shackelton entre 1914 et 1917, qui avait exploré cette zone.
Par la suite, la base est déplacée sur l’île adjacente de Galindez en 1954. En 1985, c'est depuis ce poste d'observation que les scientifiques anglais repèrent (ils sont parmi les premiers à le faire) l’anomalie du "trou" de la couche d’ozone. Depuis lors, les mesures n’ont jamais cessé et lorsque Kiev a repris la base en 1996, les Ukrainiens se sont engagés à poursuivre ce travail en collaboration avec le British Antarctic Survey. C’est bien là l’enjeu de la pérennité de ces programmes de recherche : la science en Antarctique s’inscrit dans le temps long.
"Notre station est un lieu unique où nous alimentons la plus grande et la plus ancienne base de données météorologiques mais aussi de géophysique et de recherche sur les champs magnétiques de la péninsule antarctique, souligne Bogdan Gavrylyuk. Ce n’est pas important juste pour le programme antarctique ukrainien. Nous travaillons avec d’autres pays, des experts anglais, américains. C’est très important de continuer mais l’invasion russe amène de nombreux problèmes. C’est très difficile pour moi d’imaginer que tous ces programmes s’arrêtent. Je ne peux pas l’imaginer…"
Au mois d’avril, la relève d’équipes aura lieu. Bogdan Gavrylyuk repartira à Kharkiv et prendra les armes pour défendre son pays.
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