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Quand Marine Le Pen récupère René Cassin pour justifier la "préférence nationale"

La "préférence nationale" prônée par le FN est à l'opposé des thèses défendues par le coauteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Marine Le Pen, jeudi 6 décembre 2012, sur le plateau de l'émission "Des paroles et des actes", sur France 2. (FRANCE 2 / FRANCETV INFO)

POLITIQUE - Au cours du débat qui l'a opposée au ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, jeudi 6 décembre sur France 2, Marine Le Pen a utilisé une citation de René Cassin pour défendre son idée de préférence nationale. Une référence inattendue dans ce domaine, puisque René Cassin, inhumé au Panthéon, est l'un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948. Prix Nobel de la paix, il fut président de la Cour européenne des droits de l'homme dans les années 1960.

Qu'a dit Marine Le Pen ?

La présidente du Front national s'est lancée devant Manuel Valls dans la lecture d'une "déclaration extrêmement intéressante" attribuée à René Cassin, qui porte selon elle "sur la préférence nationale" :

 "Une société démocratique peut instaurer des limitations des droits fondamentaux dictées par de justes exigences de l'ordre public et du bien-être, plus rigoureuses pour les étrangers que pour les nationaux. On ne saurait donc considérer que le progrès vers l'universalité dont témoigne la déclaration conduise à l'uniformité du régime de l'étranger et du national."

Marine Le Pen cite René Cassin (Francetv info / France 2 )

La première phrase de la citation version Marine Le Pen, relayée depuis quelques semaines sur de très nombreux sites proches du FN, est légèrement différente de l'originale (sans que le sens en soit changé fondamentalement).

Voici ce qu'écrivait René Cassin en 1951, dans son cours intitulé La Déclaration universelle et la mise en œuvre des Droits de l'Homme :

"Les limitations des droits fondamentaux dictés par les justes exigences de l'ordre public et du bien-être dans une société démocratique peuvent se trouver en fait plus rigoureuses vis-à-vis de l'étranger que du national. On ne saurait donc considérer que le progrès vers l'universalité dont témoigne la Déclaration, conduise à l'uniformité du régime de l'étranger et du national."

(Merci à notre confrère Laurent de Boissieu d'avoir retrouvé le passage d'origine.)

Qu'avait voulu dire René Cassin ?

Pour le savoir, nous avons interrogé Jean-Manuel Larralde, professeur de droit public à l'université de Caen et spécialiste des droits fondamentaux.

Selon lui, René Cassin a voulu signifier que même si les étrangers bénéficient des droits fondamentaux, il existe des possibilités de restriction. Ainsi, les étrangers n'ont pas les mêmes droits que les nationaux en matière de vote, d'entrée et de séjour, d'expulsions, etc. "Ce n'est pas pour autant que cela justifie la préférence nationale, qui suppose une politique basée sur la discrimination", estime Jean-Manuel Larralde.

Le chercheur rappelle que les articles de la Déclaration universelle des droits de l'homme, coécrite par René Cassin, commencent le plus souvent par des formules comme "tout individu", "tout homme", "chacun"... "Le FN a des juristes extrêmement compétents. C'est la technique habituelle de ce parti que de tirer quelque chose d'ambivalent. Replacé dans le contexte du FN, cela ne veut plus rien dire", observe-t-il.

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