Maud Bailly : "On ne fait plus du tourisme comme avant"
Invitée de Jean-Paul Chapel dans ":L'éco", Maud Bailly est la directrice du numérique, de la distribution et des ventes d'Accor. Elle nous parle de la stratégie digitale du groupe hôtelier français, à l'heure où ce secteur subit un profond bouleversement.
Maud Bailly est la Chief Digital Officer (CDO), en charge du numérique, de la distribution et des ventes, du groupe hôtelier Accor.
C'est la fin d'un modèle dans l'hôtellerie. "Et vous, chez Accor, vous avez fait une refonte du programme de fidélité pour vous adapter à cette révolution numérique", lance Jean-Paul Chapel.
"C'est absolument ça ! Nous sommes dans une hôtellerie qui bouge, avec un profond changement de business model", confirme Maud Bailly.
"Qui bouge et qui souffre pour la partie traditionnelle", souligne Jean-Paul Chapel.
"Qui bouge et qui fait face à des chocs digitaux, avec une concurrence qui n'est plus simplement la concurrence traditionnelle des enseignes que vous pouvez connaître, mais aussi une concurrence digitale avec l'émergence d'acteurs numériques très agressifs", poursuit la directrice du numérique d'Accor.
"Oui, alors, on connaît tous Airbnb, Booking... Donc, c'est dur de survivre dans ce monde très concurrentiel ?", interroge Jean-Paul Chapel.
"Disons que ce sont à la fois des nouveaux acteurs concurrentiels qui imposent des nouvelles technologies et des nouveaux usages : de l'intermédiation dans la relation aux clients, des comparateurs de voyages en ligne, mais aussi des nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle, demain la reconnaissance faciale, qui nous obligent à repenser à la fois les services qu'on apporte à nos clients dans nos hôtels, et aussi nos manières de travailler", répond Maud Bailly.
"Mais par exemple, quand vous citez l'intelligence artificielle, concrètement, comment l'appliquez-vous aux clients ?", questionne Jean-Paul Chapel.
"Chez Accor, on a une conviction : le digital ne va jamais remplacer l'humain. Notre métier, c'est la passion des gens et l'accueil des gens dans nos hôtels. En revanche, on va se servir du digital pour rendre la relation client dans les hôtels meilleure. Intelligence artificielle, vous appelez nos centres d'appels, on va, par un logiciel, voir quel est votre profil, si vous êtes membre de notre programme de fidélité, et on va pouvoir vous dirigez vers le conseiller qui sera le plus à même de répondre à vos habitudes, à vos besoins. Intelligence artificielle avec notre chatbot Phil Welcome, qui va vous proposer de manière proactive des services en fonction de ce que vous aimez. Il faut revenir toujours à la passion des clients", explique la Chief Digital Officer d'Accor.
"Exemple concret, vous essayez de glaner des informations sur les goûts particuliers des clients, par exemple, quel type d'oreiller préfère-t-il ?", demande Jean-Paul Chapel.
"L'hôtellerie a toujours eu cette tradition de personnaliser le séjour dans les hôtels. Vous n'avez pas envie d'être un numéro dans un hôtel, vous avez envie d'être connu et reconnu, et pour ça, le digital est un formidable moyen. Par exemple, chez Accor, nous avons déployé une base de données, totalement respectueuse de la vie privée de nos clients, qui permet, en fait, d'anticiper leur arrivée quand ils sont membres, et de personnaliser leur séjour", affirme Maud Bailly. "Par exemple, je sais que vous allez arriver, que vous aimez le thé vert genmaicha le matin, des chambres plutôt en étage, loin de l'ascenseur, je sais que vous êtes fan de yoga, et donc, on va vous proposer d'utiliser avec vos points un cours de yoga pour vous détendre le lendemain matin."
Le groupe Accor, c'est 4 900 hôtels, 39 marques dans 111 pays, "y compris la Chine, parce que vous avez des actionnaires chinois", précise Jean-Paul Chapel.
"Nous avons notamment des actionnaires chinois, qui sont essentiels pour nous aider en termes de développement. On dit souvent que l'industrie de l'hôtellerie est une industrie bénie avec une croissance annuelle de 5 %, mais encore faut-il avoir les moyens de saisir ce potentiel de nouvelles ouvertures d'hôtels, et la Chine, pour nous, est un marché absolument stratégique, mais un marché qui a ses usages, ses spécificités technologiques", détaille Maud Bailly, directrice du numérique du groupe hôtelier Accor. "Donc, nos actionnaires chinois nous permettent d'avoir une empreinte toujours plus grande. Nous avons déjà plusieurs centaines d'hôtels Accor en Chine, et l'idée, c'est de développer des services qui répondent à la population chinoise".
Par exemple ? "Par exemple, on est en train de développer un programme de certification, qui va être un label à partir de 8 standards. Par exemple, un petit déjeuner chinois, de la signalétique dans les hôtels en chinois, du personnel qui parle chinois, des méthodes de paiement chinoises, qui vont permettre à la clientèle chinoise de se sentir à l'étranger accueillie dans nos hôtels, donc en sécurité, en fonction de leur standart culturel. Et puis, en Chine, sur le marché domestique, nous ouvrons des enseignes, précisement en soutien avec les actionnaires chinois, pour s'assurer que, là encore, les Chinois se retrouvent confortables, à l'aise dans nos marques", raconte Maud Bailly.
"On l'a vu avec la faillite du groupe Thomas Cook, le tourisme, en général, subit des chocs violents, et on ne fait plus du tourisme comme avant", rappelle Jean-Paul Chapel.
"On ne fait plus du tourisme comme avant, et je dis beaucoup à mes équipes que l'idée dans tous les secteurs digitalisés, et tous les secteurs sont digitalisés, les médias aussi, ce n'est pas d'éviter les chocs. L'idée, c'est de les anticiper pour les transformer en opportunités de business. On aura d'autres chocs, l'important pour nous, c'est de ne plus en souffrir mais d'en devenir acteurs", explique Maud Bailly. "La reconnaissance faciale, la donnée, c'est autant d'opportunités pour réinventer nos services. À chaque fois qu'on a un choc de concurrence, au fond, on devient meilleurs. Ce que Airbnb a fait à l'hôtellerie traditionnelle, c'est aussi nous obliger à repenser une chambre standard de 25 mètres carrés. Résultat, aujourd'hui, on a acquis Onefinestay, on a aussi répensé nos concepts de marque, on a enrichi un portefeuille avec davantage de marques comme Mama Shelter, créer des marques pour les millenials, type Jo&Joe, on est allé vers le luxe. Donc, au fond, il y a aussi une saine concurrence, et ces chocs nous obligent à nous remettre en cause en permanence.", insiste la CDO d'Accor.
L'interview s'est conclut sur "Makeba" de Jain.
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