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Grand entretien
Guerre Israël-Hamas : "La guerre au Liban plongerait une partie du Moyen-Orient dans un gouffre", estime le ministre des Armées Sébastien Lecornu

Le ministre des Armées a répondu aux questions de franceinfo depuis le camp de Deir Kifa dans le sud du Liban où sont stationnés une partie des casques bleus français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul).
Article rédigé par franceinfo, Hadrien Bect
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, à l'Elysée le 21 juin 2023. (BERTRAND GUAY / AFP)

"La guerre ici au Liban, plongerait une partie du Moyen-Orient dans un gouffre, une abîme dont on aurait du mal collectivement à se relever", a estimé le ministre des Armées Sébastien Lecornu depuis le sud du Liban, au camp de Deir Kifa, dans une interview sur franceinfo et enregistrée dans l'après-midi du jeudi 2 novembre, avant que le mouvement libanais Hezbollah affirme dans la soirée de jeudi avoir attaqué simultanément "19 positions et sites militaires" israéliens. 

C'est au camp de Deir Kifa que sont stationnés une partie des casques bleus français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Les forces françaises, présentes au Liban depuis 1978, sont parmi les principaux contributeurs de la Finul, avec 700 hommes. Un entretien au cours duquel le ministre a annoncé l'envoi prochain du porte-hélicoptères Dixmude au large de Gaza.

franceinfo : Etant donné la situation sensible actuelle, est-ce que la sécurité des quelques 700 casques bleus français stationnés ici est assurée ? 

Sébastien Lecornu : C'est évidemment un enjeu majeur et c'est pour ça que je suis ici. Le contingent est ici, à Deir Kifa, et il y en a aussi un à Naqoura, au plus près de la ligne bleue, c'est-à-dire de la frontière entre Israël et le Liban. Et de toute évidence, nous sommes dans un moment où la situation est dégradée. 

"Il faut peut-être rappeler pourquoi nous sommes ici : il y un mandat ancien des Nations unies, c'est d'ailleurs la dernière grande mission sous casques bleus que la France accomplit."

Sébastien Lecornu, ministre des Armées

à franceinfo

C'est un mandat dans lequel il y a des obligations humanitaires pour les populations, des missions de soutien aux forces armées libanaises qui constituent un point de stabilité dans le pays. Puis surtout "l'observation" de la cessation du conflit et des opérations militaires. Et évidemment, on est dans un moment où, depuis le début du mois d'octobre, les fréquences de tirs ont repris de part et d'autre de la frontière avec des attaques. La question de la sécurité des emprises est un point-clé et c'est ce dont je suis venu m'assurer ici, en lien avec les Nations unies qui sont responsables de la mission.

La mission d'observation des soldats français de la Finul – la Force intérimaire de l'ONU au Liban - s'est encore intensifiée ces dernières semaines avec la multiplication des patrouilles notamment. Est-ce que, en cas d'escalade, leur mission peut évoluer ?  

Le mandat est ancien. Il a donc de nombreuses fois évolué. Ce que je veux dire, et je m'adresse à toutes les parties : personne n'a intérêt au départ de la Finul. Personne n'a intérêt à une escalade ici. Personne n'a intérêt à une déstabilisation du Liban, qui connaît des difficultés majeures sur le terrain économique et social. Un pays qui, malheureusement, n'a pas d'institutions stables et pourvues en tous les postes, y compris parce qu'il n'y a pas de président au moment où je vous parle. Il est clair qu'il ne faut pas mettre la Finul dans une situation intenable dans laquelle vous ne pourrez pas exercer la mission que les Nations unies lui ont donnée. C'est le message qu'on fait passer aux différents acteurs, du côté libanais comme du côté israélien. 

Le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah doit sortir de son silence vendredi, avec un discours très attendu sur le conflit en cours. Est-ce que vous en attendez quelque chose de cette prise de parole ?  

Ce n'est pas au ministre français d'attendre quelque chose de la prise de parole du chef du Hezbollah. Moi, ce que je vois, c'est la situation dramatique dans laquelle se trouve le Liban aujourd'hui. Et au fond, le Liban a besoin de tout, sauf d'une guerre. Et ça, je pense que l'ensemble des responsables politiques libanais, dans leur grande diversité politique ou religieuse, en sont complètement conscients.

"Au fond, le dernier grand pays occidental à consacrer autant de temps, autant d'argent au Liban, c'est évidemment la France au regard du lien historique qui nous unit."

Sébastien Lecornu, ministre des Armées

à franceinfo

C'est le message aussi que je suis venu délivrer aux responsables politiques libanais. Je le redis, c'est aussi le message que nous avons délivré aux autorités de Tel-Aviv et de Jérusalem parce que la guerre ici au Liban, plongerait une partie du Moyen-Orient dans un gouffre, dans une abîme dont on aurait du mal collectivement à se relever. 

Vous parliez de stabilité, le Liban n'a plus de président depuis plus d'un an. Est-ce que cette stabilité, surtout dans le contexte actuel, serait mieux assurée si le Liban avec un président ? 

Oui, il n'y a pas de doutes. Jean-Yves Le Drian, comme ancien ministre des Affaires étrangères, a une mission qui a été donnée par le président de la République pour essayer de débloquer la situation. Mais Il est certain que les formations politiques libanaises doivent prendre leurs responsabilités. S'il n y a pas de président, c'est parce qu'il y a un blocage au Parlement lié à des résultats aux élections législatives qu'il faut respecter. Mais il est clair que dans les difficultés que nous connaissons, ne pas avoir d'interlocuteur depuis maintenant plus d'un an n'a pas de sens. Cela affaiblit encore plus le Liban.

C'est mon huitième déplacement au Liban. La dernière fois, c'était pour le 31 décembre dernier, pour la Saint-Sylvestre, au côté de nos forces, je n'ai pas pu rencontrer de président puisqu'il n'y en avait pas. Aujourd'hui, je viens dans un contexte très dégradé de situation de crise, je ne peux pas rencontrer le président, je verrai le Premier ministre, le ministre de la Défense, le président du Parlement. Mais on voit bien que ne pas avoir de chef de l'Etat, évidemment, ne joue pas en la faveur des intérêts des Libanais, y compris pour leur sécurité.  

Si on revient au conflit qui se déroule à quelques centaines de kilomètres d'ici, la France a mobilisé une partie de sa flotte pour l'envoyer en Méditerranée, en l'occurrence le Tonnerre. Où est ce porte-hélicoptères et quand sera-t-il opérationnel ?

Il faut comprendre que le président de la République a demandé une manœuvre globale pour que la France soit nation cadre, c'est-à-dire une nation qui emmène d'autres pays en matière sanitaire au secours des populations civiles de Gaza. Cela passe aussi par un assemblage important des moyens que les ONG, que la société civile peut mettre en place. Et puis aussi par des moyens militaires. Ces moyens militaires sont de différentes natures.

"Il y a les bateaux, le Tonnerre était en opération dans la région. Il a été dérouté pour se rendre au plus près de la côte libanaise et il est à peu près à une heure d'hélicoptère d'ici. Derrière, on a un deuxième porte-hélicoptères, le Dixmude, qui lui est en train d'être équipé pour être transformé en bateau hospitalier."

Sébastien Lecornu, ministre des Armées

à franceinfo

Vous avez également des moyens de l'armée de l'air. Un A400M s'est posé il y a de cela quelques jours en Egypte pour déposer plusieurs dizaines de tonnes de fret sanitaire. Deux autres vols sont prévus, les 3 et 5 novembre prochain, là aussi pour être aux côtés notamment des autorités égyptiennes qui sont en première ligne sur ce sujet. Puis le cas échéant, en fonction des discussions avec les différents partenaires - on a des discussions continues menées par le Quai d'Orsay avec l'Egypte - nous serons en mesure peut-être de déployer des éléments de notre médecine militaire. Le service de santé des armées dispose d'antennes de chirurgie avancée, par exemple, avec une bonne expertise des blessures de guerre. C'est autant d'objets, de moyens que la France met sur la table. 

Vous parlez du porte-hélicoptères Dixmude, qui sera envoyé pour relever le Tonnerre, ce sera pour quand et pour quoi faire ? 

La planification est en train d'être faite. L'idée est de dire à l'ensemble des acteurs de ce conflit qu'on ne peut pas laisser les populations civiles exposées à un danger et surtout sans solution de soins sur le terrain humanitaire. Et donc, évidemment, comme on veut emmener d'autres pays, nous mettons beaucoup de moyens sur la table pour faire un effet de levier et pour agréger. Le Dixmude pourrait être équipé, comme je vous le disais, d'un certain nombre de lits hospitaliers. C'est une des solutions.

Mais une fois de plus, il ne faut pas raisonner uniquement sur un bateau ou sur un vol de fret sanitaire. Il faut raisonner de manière globale. Le statut de "nation cadre", c'est comme un gros bloc de multiprises dans lequel nous-mêmes on remplit quelques prises et on permet à d'autres pays de venir se connecter, de venir assembler des moyens. Et ce sera aussi, bien sûr, des moyens humains parce qu'on aura besoin de soignants.  

A propos de ces moyens humains, comment peut-on faire venir ces personnes dans la bande de Gaza ? 

Concrètement, c'est l'objet de la planification et des travaux qui sont menés avec les autorités israéliennes et égyptiennes. Mais une fois de plus, il n'y a pas de schémas dans lesquels les populations civiles de Gaza sont abandonnées. Tout le monde doit prendre ses responsabilités, la France prend les siennes. On l'a dit, Israël doit pouvoir se défendre, il est légitime qu'Israël mène les actions qui permettent de mettre le Hamas hors d'état de nuire et de reproduire ces actes barbares que nous avons connus. Et en même temps, il est clair que les populations civiles de Gaza doivent être protégées. C'est le droit international et c'est aussi le devoir moral de la France que de jouer ce rôle dans la région. C'est ce que nous faisons et les armées françaises, sous l'autorité du président de la République, vont y contribuer. 

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