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Grand entretien
Conflit au Proche-Orient : "Israël est en train de mener une guerre d'hier", estime Dominique de Villepin

L'ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, qui s'était opposé au nom de la France en 2003 à la guerre en Irak, était l'invité du "8h30 franceinfo".
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Dominique de Villepin, ancien Premier ministre, était mardi 7 novembre l'invité du 8h30 franceinfo. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"Israël est en train de mener une guerre d'hier", estime mardi 7 novembre sur franceinfo Dominique de Villepin, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien Premier ministre. Il répète que "ni la force, ni la vengeance n'assurent la paix et la sécurité".

L'ancien ministre des affaires étrangères, qui s'exprime en tant qu"'ami d'Israël", appelle le gouvernement de Benyamin Netanyahou à mettre fin à sa "stratégie sécuritaire" qui empêche, selon lui, les Israéliens de vivre en sécurité et "accentue l'antagonisme entre l'Occident et le reste du monde". Dominique de Villepin estime qu'Israël doit adopter une "stratégie d'une riposte ciblée et proportionnée", qui permettrait "d'enclencher une autre phase". L'ancien ministre des Affaires étrangères plaide notamment pour une "administration temporaire de Gaza" sous l'égide des Nations unies.

franceinfo : "Israël aura, pour une durée indéterminée, la responsabilité globale de la sécurité" de la bande de Gaza, a déclaré le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, dans un entretien télévisé accordé à ABC News lundi. Est-ce selon vous une annexion de Gaza sans le dire ?

Dominique de Villepin : C'est surtout une incapacité à tirer les leçons de l'histoire. C'est la cinquième guerre de Gaza. Et avec quels résultats ? Avec à chaque fois plus de violence, à chaque fois plus de danger pour Israël. Il est temps que le gouvernement israélien ouvre les yeux. Et pour cela, il faut partir du point de départ : le gouvernement israélien de Benyamin Nétanyahou a échoué le 7 octobre. Il a échoué doublement, dans la capacité à assurer la protection du peuple israélien en laissant faire des massacres qui sont une abomination. Le gouvernement israélien porte une responsabilité directe dans ce qui s'est passé le 7 octobre. Et il a un autre échec : avoir encouragé une politique d'occupation et de colonisation qui continue à cette heure en Cisjordanie et qui constitue une autre menace pour Israël, si un deuxième front en Cisjordanie venait à s'ouvrir.

Vous évoquez la responsabilité du gouvernement israélien dans l'attaque du 7 octobre, mais elle a été perpétrée par le Hamas.

Il n'y a aucun doute là-dessus et nous l'avons dit et redit. Ça, c'est clair. Mais le gouvernement israélien a failli. Je le dis aussi fortement parce que c'était justement l'engagement de Benyamin Nétanyahou. Et il a failli parce que la force ne permet pas d'assurer la sécurité d'un peuple. C'est ça que tous les Israéliens doivent comprendre aujourd'hui. Or, le choix du gouvernement israélien, depuis le 7 octobre, c'est de surenchérir par la force.

"Je le répète : ni la force ni la vengeance n'assurent la paix et la sécurité. Ce qui assure la paix et la sécurité, c'est la justice. La justice n'est pas au rendez-vous."

Dominique de Villepin, ancien Premier ministre

Ă  franceinfo

Le gouvernement Nétanyahou a fait le choix de mener trois guerres en même temps : une guerre de bombardements massifs sur les populations civiles avec l'objectif d'éliminer le Hamas ; une deuxième guerre, une guerre de siège qui pose beaucoup de problèmes en droit international en termes de possibilité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité ; et il y a une troisième guerre, celle qui va se dérouler sans doute plus intensément, qui est une guerre de raid, une guerre au sol et qui elle permet sans doute beaucoup plus de ciblage, de proportionnalité.

Puis, arrêtons de poser la question de la responsabilité, voyons la réalité de ce qui se passe sur le terrain. La faute, nous la laisserons aux historiens. Nous voulons arrêter ces violences, ces massacres. Nous voulons aussi permettre véritablement à Israël de vivre en paix et en sécurité. La guerre menée aujourd’hui est une illusion d'une paix possible. Je vous le dis solennellement, cela n'arrivera pas. Israël se met en danger encore plus aujourd'hui avec ce type de guerre et ce type de frappes. La réponse d'Israël à l’attaque du Hamas, le 7 octobre, n'est ni ciblée ni proportionnée. Le gouvernement Nétanyahou est dans une politique de vengeance. Israël a droit à sa légitime défense, mais une légitime défense n'est pas un droit indiscriminé à tuer des populations civiles. Dans ce contexte, chaque enfant, chaque femme tués, ce sont plus de terroristes. Israël obtiendra l'inverse de ce qu'il souhaite. Il est essentiel aujourd'hui de changer cette logique.

Quelles sont les options d’Israël qui veut éradiquer le Hamas ?

D'abord, il faut constater que le raisonnement du gouvernement israélien est erroné et toute la communauté internationale peut le voir. Le principe, c'est nous ciblons des terroristes et malheureusement, il se trouve qu'il y a aussi des populations civiles, ce qu'on appelle pudiquement en langage militaire "des dommages collatéraux". Il faut bien voir que ces "dommages collatéraux" ne sont pas des dommages accidentels, ils sont parfaitement prévisibles et assumés. Aujourd'hui, la communauté internationale propose un cessez-le-feu, une pause humanitaire, une trêve humanitaire. Je crois qu'il faut effectivement prendre en compte cette situation humanitaire et sous une forme ou une autre : pause, trêve, cessez-le-feu... Il faut permettre de venir au secours des populations civiles pour qui c'est la double peine : nous avons connu beaucoup de bombardements dans des villes, mais rarement dans une ville qui était en plus assiégée. Donc l'argument du gouvernement et de l'armée israélienne qui est de dire 'on ne peut pas arrêter les combats parce que sinon ça permettrait au Hamas de se refaire' ne tient pas véritablement dans la mesure où personne ne peut sortir. Ils ont bouclé Gaza, ils assiègent l'ensemble de ce territoire.

Benyamin Nétanyahou a rejeté une nouvelle fois lundi l'idée d'un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, sans libération des otages enlevés par le Hamas. C'est une bonne stratégie ?

C’est une question difficile. Tout doit être fait pour obtenir la libération des otages. Mais, ne l'oublions pas, le peuple palestinien est lui aussi pris en otage par le Hamas et par Israël. Et le Hamas n'a que peu à faire du peuple palestinien. Donc, dire au Hamas qu'on ne lèvera pas le siège tant que les otages ne seront pas libérés, c'est un dialogue de sourds. C'est pour cela qu'Israël doit commencer à faire ce qu'elle a peu fait dans son histoire : elle doit commencer à écouter la communauté internationale. Nous vous avons vu le 7 octobre que cette stratégie sécuritaire était un échec. Il n'y a qu'une réponse au terrorisme, c'est la justice. La justice passe par l'ouverture d'une solution politique aux Palestiniens. Une pause humanitaire serait une formidable occasion pour Israël de revoir ses objectifs de guerre, car aujourd'hui, ils ne sont pas réalistes. Un objectif réaliste, ce serait d'éliminer les responsables du Hamas, ceux qui sont responsables de la tuerie du 7 octobre.

C'est ce qui est fait depuis quelques semaines non ?

Oui, mais aussi des milliers d'enfants, de femmes, de civils. Permettez-moi de dérouler ce qu'il serait possible de faire à partir de cette nouvelle stratégie qu'Israël pourrait adopter, qui serait une stratégie d'une riposte ciblée et proportionnée. À partir de ce moment-là, nous pourrions enclencher un processus qui serait différent et qui permettrait alors, une fois ces responsables du Hamas éliminés, d'engager une autre phase qui est celle d'une administration temporaire internationale.

L'étape suivante, c'est celle d'un véritable plan de paix qui permettra aux Palestiniens d'avoir un territoire. Le problème, c'est que Benyamin Netanyahou fait tout pour que la solution politique ne vienne pas sur la table. Et c'est là où la communauté internationale, l'Europe, les États-Unis doivent dire à Benjamin Nétanyahou que cette guerre n'est pas acceptable. Du Hamas, on va passer à l’Iran, de l'Iran, on passera à d’autres cibles et on entrera alors dans une logique de guerre des civilisations. Quand Benyamin Nétanyahou dit qu'il y a "d'un côté le peuple de la lumière et de l'autre le peuple des ténèbres", on voit bien dans quel engrenage nous nous situons.

La France, membre permanent de l'ONU n'a pas présenté de résolution pour un cessez-le-feu. Elle se prononce pour une trêve humanitaire. C’est le cas aussi des autres pays occidentaux. Comment vous expliquez cette réserve ?

À ce stade de la guerre, l'essentiel, effectivement, c'est la prise en compte de l'humanitaire. Donc une fois de plus, cessez-le-feu, trêve humanitaire, pause humanitaire … l'important, c'est de pouvoir répondre à la souffrance des populations civiles. Et l'important, c'est de pouvoir faire comprendre à Israël qu'une guerre contre des populations civiles – même si l'objectif affiché est celui des terroristes du Hamas – ce n'est pas possible au XXIᵉ siècle. Israël est en train de mener une guerre d'hier. C'est la guerre d'avant, cette guerre est dépassée, cette guerre est perdue d'avance.

Pourquoi ? Toutes les guerres qui se déroulent depuis une vingtaine d'années sont des conflits gelés : on sait commencer une guerre, on ne sait pas la terminer. Benyamin Nétanyahou pourra diriger Gaza, cela ne changera rien, il continuera à avoir des attaques terroristes, les Israéliens continueront à vivre dans la peur. Il faut sortir de cela. C'est la guerre d'hier aussi parce que la guerre contre le terrorisme n'a jamais été gagnée nulle part. Quand Joe Biden, avec courage, dit à Benjamin Nétanyahou qu'il faut tirer les leçons de l'expérience et que les Américains se sont trompés à partir de 2001 en rentrant dans cet engrenage de la force.

Nous sommes également en train de perdre cette guerre, car l'Ukraine va payer aussi les conséquences de ce qui se passe aujourd'hui. Le deux poids, deux mesures trouve sa parfaite illustration aujourd'hui, entre ce que défend l'Occident et ce que nous faisons aujourd'hui au Proche-Orient : non-respect du droit international, non-mobilisation face au massacre des populations civiles. Benyamin Nétanyahou est engagé dans une politique qui, n'a pas pour but de mettre fin à ce conflit. En 2003, quand j'ai parlé à la tribune des Nations unies, quand je me suis engagé avec Jacques Chirac pour défendre une position contre la guerre [en Irak], qui était en 2003 l'ami des Américains, est-ce que c'était Tony Blair [ancien Premier ministre britannique], le dirigeant portugais, le dirigeant italien, le dirigeant espagnol ? C'était la France. Et aujourd'hui quand je dis ça, je le dis en tant qu'ami d'Israël. Il faut un certain courage pour aller contre cet esprit moutonnier qui est incapable de regarder la réalité du terrain.

Le chef du Hezbollah a pris la parole vendredi et n'a pas appelé à prendre les armes. C'est plutôt rassurant dans le contexte, ou pas ?

Hassan Nasrallah regarde ce qui se passe. L'Iran a aussi parfaitement compris qu'il ne devait pas franchir une certaine ligne rouge au risque de mettre en péril la situation de son Etat, sachant que sa population ne veut pas de la guerre et sachant qu'il conduit un programme nucléaire qui va sans doute tout changer dans cette région. La première leçon à tirer quand vous êtes un chef d'État du Moyen-Orient, c'est qu'on est bien mieux protégé quand on a la bombe atomique. Si nous voulons arrêter cela, il faut reprendre les choses là où nous les avons laissées et arrêter cet engrenage de la force et de la vengeance. Il faut travailler pour apporter une réponse de justice et il faut faire en sorte que justement, chacun de ces Etats puisse se développer. Il y a eu l'illusion des accords d'Abraham [signé entre Israël et plusieurs pays, dont le Maroc, Bahreïn, etc]. Je pense à tous ces Israéliens qui vivent dans la peur et je pense de la même façon à la communauté juive de France qui vit dans la peur et pour qui, le 7 octobre, tout a changé, ramenant ce risque existentiel qu'ils ont connu tout au long de notre histoire, au quotidien. Si l'on veut prendre en compte les choses, il faut avoir le courage de se coltiner avec l'histoire.

Vous assurez parler en "ami des Israéliens" mais beaucoup d'Israéliens, avec votre discours, ne considèrent pas que vous êtes un ami.

Mais les Américains en 2003, ne considéraient pas que j'étais un ami des États-Unis, et pourtant, nous étions les meilleurs amis des États-Unis en 2003. Et aujourd'hui, je le dis aux Israéliens, ce que je dis d'où je le dis, je le dis en amitié. Et malheureusement, si nous continuons comme ça, dans deux ans, dans trois ans, vous me réinviterez pour me dire 'vous aviez raison en 2023 comme en 2003'. Parce que c'est la dynamique des forces historiques. Et qu'à certains moments, il faut du courage.

La France manque de courage en ce moment ? 

Je ne dis pas ça. La France a pris des initiatives et essaye de gérer ce dossier d'une extrême complexité. Je parle avec plus de liberté que ne peut la France sur la scène internationale. Mais je vous dis qu'aujourd'hui la direction qu'il faut suivre, c'est d'empêcher Benyamin Nétanyahou de continuer sa logique de suicidaire qui fera d'Israël un État assiégé. Et il ne faut pas croire que demain, on reprendra avec l'Arabie saoudite, avec les États arabes, une petite parole tranquille qui normalise la situation. Non, les blessures de l'histoire se réveillent.

Vous avez parlé tout à l'heure d'une "administration temporaire internationale pour Gaza". Ça veut dire quoi ? 

Dans un plan, cela pourrait être la troisième étape avant que l'on discute d'une solution durable pour les Palestiniens. L'administration temporaire de Gaza, une fois les dirigeants du Hamas éliminés, c'est ce qui permet justement, avec des garants, d'arriver à gérer le territoire du Hamas le jour d'après. Le jour d'après, on va se retrouver avec un territoire de Gaza qui sera complètement détruit, sans aucune forme d'administration civile, sans personne pour eux pour le gérer. Je pense que la meilleure stratégie, c'est d'avoir une administration internationale sous l'égide de l'ONU. Elle fera deux choses : remettre en état de marche, répondre aux besoins de la population civile et faire en sorte de démilitariser ce territoire.

Ce n’est pas une solution utopique ?

La paix est toujours utopique. Mais il y a une raison d’y croire : tant que nous n'aurons pas fait cela qui est difficile, Israël ne vivra pas en sécurité et nous ne vivrons pas non plus en sécurité. Cette guerre, menée par Israël, accélère la polarisation du monde. Elle accélère l'antagonisme entre l'Occident et le reste du monde. Or, nous avons besoin aujourd'hui de bâtir des passerelles. C'est pour ça qu'il faut travailler avec tous les États.

Aujourd'hui, nous avons besoin de la Chine qui émet un certain nombre de propositions en matière de paix, nous avons besoin de tous les pays du Sud global. Malheureusement, dans le gouvernement extrémiste de Benyamin Nétanyahou, il y en a qui souhaitent aujourd'hui l'élargissement de cette guerre. Nous nous retrouverons non seulement avec un Moyen-Orient enflammé, mais avec d'autres conflits qui dépasseront et de loin, toutes les capacités que nous aurons à apporter des réponses. Les Israéliens ont compris, qu'ils ne peuvent plus vivre avec les Palestiniens. Il faut donc une politique de séparation. Elle doit être digne, elle doit conférer aux Palestiniens un État où ils pourront vivre, un État viable, un État véritable qui pourra se construire et qui sera d'autant plus en paix. 500 000 Israéliens colonisent la Cisjordanie et 200 000 à Jérusalem Est. Ils doivent quitter la Cisjordanie. C'est le prix de la sécurité pour Israël. Tous ceux qui considèrent que ce ne sera jamais suffisant font la politique du pire.

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Retrouvez l'intégralité du 8h30 franceinfo du mardi 7 novembre 2023 :

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