C'est dans ma tête. Le "préjudice d'angoisse".
170 avocats viennent de publier un Livre Blanc pour demander que soit étendu aux victimes du terrorisme ce qu’on appelle "le préjudice d’angoisse". C’est à dire l’angoisse qu’ont éprouvée, lors d’une catastrophe, les victimes, même si elles n’ont pas subi de dommages corporels.
Cela vous semble-t-il une bonne chose ?
Ma réponse sera "oui et non". Oui, parce que faire reconnaître par la société que l’on peut, lors d’un événement traumatique, être profondément blessé psychologiquement, même si on ne l’est pas physiquement, est une bonne chose.
Vous pensez que ce n’est pas reconnu ?
La gravité et la complexité des souffrances post-traumatiques sont encore loin d’être reconnues. Et les habitants de l’immeuble de Saint Denis, dans lequel logeaient des terroristes, en sont un bon exemple. Ces gens, qui étaient dans leur vie habituelle, avec leurs enfants, se sont retrouvés, tout d’un coup, au milieu d’une scène de guerre, avec des tirs et des explosions. C’était totalement irréel.
Il y avait de quoi devenir fou (et certains d’ailleurs ont dû être hospitalisés en psychiatrie). Et ils ne sont toujours pas indemnisés. Alors que certains ont été contraints, de surcroît, d’abandonner leur logement.
Pourquoi ne sont-ils pas indemnisés ?
Le gouvernement s’est engagé à ce qu’ils le soient. Mais tout se passe comme si, d’un côté et de l’autre du périphérique, les êtres humains, et surtout leur psychisme, n’avaient pas la même valeur. Et puis cette difficulté à indemniser ces victimes est liée surtout à une méconnaissance du fait qu’un événement comme celui-là peut faire basculer la vie de ceux qu’il touche.
Il y a un "avant" et un "après" un événement traumatique. Plus rien ne sera plus jamais comme avant, parce qu’on a fait l’expérience d’une horreur tout à fait réelle. Le monde est devenu dangereux et on ne plus se sentir en sécurité.
Et c’est encore plus dramatique pour les enfants. Parce que c’est avec l’idée de ce monde dangereux qu’ils vont se construire.
Qu’est ce qui vous gêne, alors, dans cette notion de "préjudice d’angoisse" ?
Le fait qu' au lieu de parler "d’angoisse post-traumatique", ce qui serait justifié, on parle d’angoisse en général. Ce qui est dangereux. Parce que cela peut induire l’idée que toute angoisse serait, par essence, anormale. Or ce n’est pas vrai. L’angoisse est douloureuse mais elle est normale. Il n’y a pas de vie humaine sans angoisse. Aujourd’hui on le nie. En voulant par exemple éliminer, par des médicaments, toutes les souffrances (même celles qui, comme dans un deuil par exemple, sont légitimes et inévitables). Et cela n’aide pas les gens. Parce qu'en agissant de la sorte, on leur donne l’idée qu’ils sont malades et on les prive des forces dont ils ont besoin pour se battre.
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