C'est dans ma tête. Les jeunes aussi souffrent de la solitude : 66% des moins de 35 ans sont confrontés à ce sentiment
La psychanalyste Claude Halmos nous parle aujourd'hui de la solitude, et notamment de la solitude chez les plus jeunes, les 16 à 35 ans. Deux jeunes sur trois éprouvent régulièrement un sentiment de solitude, selon une étude de l'Institut BVA.
L’association Astrée a organisé ce 23 janvier 2020, avec le soutien du ministère de la Santé, la troisième édition de la journée mondiale des solitudes ; et l’accent a été mis, cette année, sur la solitude des jeunes. Une étude, réalisée par l’Institut BVA, a montré en effet que 66% des moins de 35 ans éprouvent régulièrement un sentiment de solitude, contre 44% pour le reste de la population. Et que ce sentiment est particulièrement élevé chez les 16-24 ans. Ces chiffres sont étonnants car on connaît la solitude des personnes âgées, mais on imagine mal que tant de gens jeunes se sentent, eux aussi, seuls.
franceinfo : Comment peut-on expliquer ces chiffres ?
Claude Halmos : Les chiffres que vous citez concernent les jeunes de 16 à 35 ans. Mais l’association Astrée a fait réaliser également une étude sur des élèves de 12 à 16 ans. Elle montre que 43% d’entre eux connaissent le sentiment de solitude ; 14% disant même l’éprouver "souvent" ou "toujours". Et que 83% assimilent la solitude à un sentiment d’exclusion.
Comment comprendre ce sentiment de solitude ?
Il peut être lié à un isolement réel. Beaucoup d’adolescents n’osent pas aller vers les autres. Ils leur prêtent, sans le savoir, la mauvaise image qu’ils ont (du fait de leur histoire familiale) d’eux-mêmes ; et en concluent qu’ils ne peuvent pas les intéresser. Mais le sentiment de solitude peut être aussi, quel que soit l’âge, indépendant de la réalité ; et être lié à une incapacité à être seul. C’est-à-dire à supporter sans souffrir, et en en étant même heureux, d’être en tête-à-tête avec soi-même.
À quoi peut être due cette incapacité ?
À un problème de construction. La capacité d’être seul se construit dans la petite enfance. Et l’enfant la construit avec sa mère (ou la personne qui occupe auprès de lui la place d’une mère).
Au début de sa vie, le nourrisson n’a pas conscience de sa personne, parce que, sa mère surgissant dès qu’il l’appelle, il pense qu’il ne fait qu’un avec elle. Mais, comme elle lui parle, et s’adresse à lui en le nommant, il va peu à peu prendre conscience de son existence. Puis comprendre (parce que, au fur et à mesure qu’il grandit, elle ne répond plus aussi vite à ses appels), qu’il est un être séparé d’elle.
Si elle a été suffisamment attentive et présente, pour qu’il acquiert un sentiment de sécurité intérieure, cette idée n’est pas angoissante pour lui : il apprend à profiter de sa solitude, à jouer seul. Mais si elle n’a pas été assez présente ou, au contraire, l’étant trop, ne lui a pas permis de développer ses propres forces, il peut se sentir sans elle, perdu, et comme incomplet.
Pourquoi autant de jeunes se sentiraient-ils aujourd’hui seuls ?
Claude Halmos : Probablement parce que leur construction a été perturbée. Et le fait qu’ils soient si nombreux fait penser que des facteurs sociaux sont intervenus. Une trop grande présence des écrans par exemple.
Exposé trop jeune au monde virtuel des écrans, un enfant est privé de l’échange avec un autre réel ; mais dépossédé aussi de lui-même. Parce que les sensations corporelles que procure l’action réelle, et qui permettent de prendre conscience de soi, lui sont interdites Il n’est qu’un regard, qui se perd dans l’écran. Il n’apprend pas le monde réel, et peine à s‘y intégrer.
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