Laure Bertrand, enseignante et chercheuse : "On apprend aux étudiants à travailler sans l'IA, puis avec l’IA, pour les sensibiliser à un usage raisonné"

Tout l'été, on interroge des salariés, des indépendants, des chefs d'entreprise sur leur rapport aux intelligences artificielles génératives. Comment les utilisent-ils, comment modifient-elles leur pratique professionnelle ? Aujourd'hui, Laure Bertrand, enseignante et chercheuse.
Article rédigé par Sarah Lemoine
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
Les étudiants reprennent le crayon et la gomme pour être évalués, afin d'éviter un travail effectué par intelligence artificielle. (MATTHIEU SPOHN / MAXPPP)

Laure Bertrand est une spécialiste des ressources humaines. Elle enseigne les softs skills, c’est-à-dire les compétences comportementales, ainsi que le développement durable aux étudiants du Pôle privé Léonard de Vinci, près de Paris. Au départ, elle a accueilli avec suspicion les intelligences artificielles génératives.

"Je me suis dit aïe, aïe, aïe, ça va être très compliqué pour nous les profs de gérer ces outils. Pour être franche, j'ai eu quand même une méfiance. J'ai pensé que si, demain, il y avait autant de possibilités que celles qu'on nous annonçait, comment pourrait-on empêcher les étudiants d'utiliser les IA pour qu’elles produisent les analyses, les rapports ou les mémoires à leur place ?"

Évaluation en présentiel et sur texte écrit à la main

La question d’interdire les IA génératives aux étudiants s’est donc posée tout au long du printemps 2023, se rappelle l’enseignante-chercheuse. Avant que les équipes ne décident de les intégrer progressivement dans leur pratique pédagogique. Un an et demi plus tard, Laure Bertrand a complètement modifié ses méthodes d’évaluation.

"Il faut être un vrai Sherlock Holmes pour savoir si un devoir a été fait avec ChatGPT ou pas. Je considère que toutes les productions écrites à la maison ne participent plus à la note finale. On les garde comme un outil préparatoire. Très clairement, l'oral revient en force, plutôt en face-à-face qu'en visio car j'ai beaucoup plus la capacité de voir comment l'étudiant maîtrise les concepts, la richesse de son argumentation. Le crayon à papier est aussi en cours de réintégration lors des examens. Ces changements sont assez majeurs et complexes à gérer. Proposer un oral individuel à chaque élève, cela prend plus de temps à organiser. Récupérer des copies écrites au crayon à papier, c’est plus difficile à déchiffrer que des documents PDF déposés par les étudiants sur une plateforme. Donc, c'est un gros changement en matière d'évaluation."

Le risque de l'IA : perdre l'habitude de réfléchir

Laure Bertrand apprend aussi à ses étudiants à travailler avec et sans les IA génératives.

"Ils commencent par explorer un thème, puis doivent identifier une problématique. On leur demande de creuser d'abord sans IA, individuellement et en équipe, avec un certain nombre de méthodes d'animation que nous avons mises en place. Ensuite, ils interrogent l'IA pour reformuler et approfondir. Il s'agit de leur montrer comment on peut avoir une utilisation intelligente et raisonnée des intelligences artificielles. Sinon, ils perdent l'habitude de réfléchir. Le risque est là, il est réel. Tous les modules ont ce dispositif : sans IA, puis avec IA. C'est systématique."

Laure Bertrand ne se prononce ni pour ni contre les Intelligences artificielles génératives. Le principal enjeu, selon elle, est de réfléchir à l'usage que l'on souhaite en faire et de rester maître du jeu : "Le jour où on ne sera plus capable de produire autre chose que ce que l’IA générative produit, on pourra vraiment s’inquiéter."

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