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Christiane Taubira, "fierté" de la Guyane

REPORTAGE | La ministre de la Justice Christiane Taubira est originaire de Cayenne. C'est là qu'elle a mené ses premiers combats politiques, jusqu'aux plus hautes sphères de l'Etat. Comment les Guyanais, et ceux qui ont croisé sa route politique, perçoivent-ils son accession au gouvernement ? Même ses détracteurs semblent vanter ses louanges.
Article rédigé par franceinfo
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A Cayenne, tout le monde peut vous indiquer la maison de Christiane Taubira : elle se situe rue Schoelcher, au nord du centre-ville, à deux pas de la célèbre place des Palmistes. Beige et rose brique, les volets sont clos actuellement, la ministre de la Justice est en métropole. Mais "elle est déjà revenue plusieurs fois depuis qu'elle est ministre ", explique le vendeur de vélo juste au coin de la rue, qui l'a toujours connue habitant ici, depuis que lui est arrivé en 1991. "Elle est simple, elle est toujours avec son vélo, elle dit bonjour, quelqu'un d'ordinaire, elle n'a pas changé du tout depuis qu'elle est ministre ", indique-t-il.

"Elle est courtoise, polie, elle a toujours été appréciée dans le quartier ", poursuit la femme du vendeur. Le couple, comme la très grande majorité des Guyanais, est unanime : ils sont fiers de Christiane Taubira, 62 ans, leur "ambassadrice", "elle permet de représenter correctement la Guyane en métropole, et elle le fait très bien ".

La jeune femme évoque aussi les attaques racistes dont a été victime la ministre, et qui ont choqué tout le monde ici : "Oui j'ai été blessée, c'est une femme créole guyanaise, moi je suis une femme créole guyanaise, on n'est pas plus foncée l'une que l'autre... "

Le mariage pour tous : "dommage"

Sur le marché de Cayenne, acheteurs comme vendeurs sont presque tous du même avis, tous "fiers " de leur ministre. Avec ce bémol tout de même : la loi sur le mariage pour tous a crispé pas mal d'esprits croyants ici. "J'ai toujours voté pour elle, et pas parce qu'elle porte le même prénom que moi ", explique Christiane, vendeuse de légumes. "Mais maintenant, je suis en dualité avec elle, à cause du fait qu'elle a fait le mariage homosexuel, c'est dommage qu'elle l'ait voté, je ne suis pas contre elle mais je ne voterai plus pour elle ", indique la Guyanaise.

Saluée même par ses adversaires politiques

Si sur le marché, tout de même, une femme s'interroge sur ce que la présence de Christiane Taubira au gouvernement va bien pouvoir changer pour la Guyane, globalement la population est unanime, et même ses adversaires politiques font l'éloge de la ministre ! "Elle est pour nous devenue une référence guyanaise, une fierté guyanaise ", indique par exemple Antoine Karam, président de la région jusqu'en 2010, membre du Parti socialiste guyanais, et aujourd'hui professeur d'Histoire à l'université, qui a affronté Christiane Taubira lors de plusieurs scrutins. 

Il revient sur la carrière politique de la ministre, qu'il a connue "il y a très longtemps ", à l'Union des étudiants guyanais à Paris. Après une enfance en Guyane, au milieu de onze frères et soeurs et un père absent, Christiane Taubira était partie faire ses études en métropole. "E lle venait contrecarrer tous nos projets le samedi après-midi lors de nos réunions, elle était déjà d'une très grande vivacité intellectuelle ", se souvient Antoine Karam.

La suite, c'est Hervé Latidine qui la raconte. Aujourd'hui responsable du Secours Catholique à Cayenne, l'homme était aux côtés de Christiane Taubira lorsqu'elle est revenue après ses études à Paris, dans les années 70, pour rejoindre le mouvement "nationaliste-patriotique" qui se battait alors pour l'indépendance de la Guyane : le Moguyde, le "Mouvement guyanais de décolonisation", fondé par son mari d'alors Roland Delannon (père de ses quatre enfants).

L'indépendance, premier combat

Aujourd'hui, certains lui reprochent d'ailleurs d'avoir renié ses engagements initiaux pour l'indépendance du département. Mais ce sont les esprits "chagrins" : "Ce sont surtout ceux qui n'ont rien compris à la politique ", répond Hervé Latidine. "Il faut changer, évoluer. Nous, nous étions indépendantistes, mais à l'époque il y avait la guerre d'Algérie, du Vietnam, nous étions entourés de pays qui prenaient leur indépendance, notamment le Suriname, le Guyana... " explique-t-il. 

Antoine Karam s'étend également sur cette génération, la sienne et celle de Christiane Taubira : "Nous avons tous rêvé d'un autre monde, nous sommes tous passés par mai 68, nous avons rêvé que sous les pavés, il y avait la plage, rêvé d'un monde meilleur ", raconte-t-il. "Mais à partir du moment où vous jouez le jeu des institutions, vous devez changer aussi vos comportements".

"Ça ne veut pas pas dire que vous ne conservez pas dans votre cœur, votre âme, on a conservé cette âme" (Antoine Karam)

Après ces premiers engagements, l'élection de François Mitterrand en 1981 va changer la donne, la population est remplie d'espoir, et le mouvement lève le pied. Jusqu'en 1992, où le groupe d'activistes décide cette fois d'envahir le champ électoral en créant le parti Walwari. "O n a compris que l'indépendance ne valait pas le coup, qu'au contraire il fallait tirer le maximum de bénéfices de l'intégration, de l'Europe. Donc Walwari a été créé pour prendre le pouvoir, de la région notamment ", poursuit Hervé Latidine.

En 1993, poussée par le parti, Christiane Taubira est élue députée. "Ça  a commencé comme ça ", explique Hervé Latidine. "Et  la suite vous la connaissez ", ajoute-t-il. Ce sera notamment quelques divisions au sein du parti, puis sa candidature à la présidentielle en 2002 (Parti radical de gauche) et sa nomination au ministère de la Justice en mai 2012. "Comme vous la connaissez aujourd'hui, c'est comme elle était au début ", assure Hervé Latidine, "très engagée, jusqu'au bout : elle ne donne pas la moitié, elle donne tout ! " "On savait qu'elle aurait fini par avoir un poste au niveau international, oui on le savait !

Face à elle, "la stratégie de l'aïkido"

Le plus difficile quand on est son adversaire politique ? "L'affronter frontalement ", répond Antoine Karam, membre du Parti socialiste guyanais, et vainqueur à deux reprises de mandats locaux face à elle. "Moi la chance que j'ai eue, c'est que j'ai toujours adopté avec elle la stratégie de l'aïkido : accompagner la chute, la contourner et ne jamais l'affronter directement brutalement ". "Ce n'était pas la peine que j'aille sur son terrain parce que j'aurais perdu, tout de suite, y'a pas photo ", poursuit-il, "donc j'ai préféré être pragmatique, rester dans l'emprise locale, rester sur mon terrain ". Christiane Taubira n'a en effet jamais remporté de mandat local, plus populaire à l'échelon national.

"Moi je lui vois plus de qualités que de défauts, c'est paradoxal ce que je vous raconte : c'est rare qu'un adversaire politique présente un adversaire reconnu avec autant de qualités, mais moi je suis objectif. Je considère que l'Histoire a eu raison de lui donner sa chance, et de lui permettre d'arriver là où elle est ", dit-il. "Elle fait partie des personnalités qui comme Gaston Monnerville, Félix Eboué, Léon-Gontran Damas, rentrent dans l'histoire de la Guyane et de la Nation ".

"Elle crée une émotion permanente lorsqu'elle intervient quelque part "

"Elle fait partie des grands hommes de l'Outre-Mer ceux qui ont cette grande part de lumière en eux ", commente également Joël Pied, l'actuel secrétaire général du parti Walwari. Une lumière que le dirigeant du parti aimerait voir "réinvestir au niveau de la société guyanaise ". Car certains verraient bien la ministre de la Justice prendre la tête de la collectivité unique en 2015, fusion annoncée du département et de la région de Guyane. "La population l'attend ", assure le secrétaire général du parti.

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