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Guyane : les Amérindiens victimes de l'orpaillage illégal

REPORTAGE | Depuis de nombreuses années, la forêt amazonienne en Guyane voit défiler les orpailleurs illégaux. Ces chercheurs d'or utilisent notamment du mercure, et retournent les sols, entraînant une pollution de l'environnement. Les populations amérindiennes qui vivent au bord des fleuves en subissent directement les conséquences. France Info est allé à leur rencontre.
Article rédigé par franceinfo
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La famille de Kinddy est installée pour dîner, à la lumière de la bougie, sur une table basse juste devant un hamac, dans le village de Taluen, à l'ouest du plus vaste département français. Près de 400 Amérindiens vivent ici, ils sont environ 9.000 sur tout le territoire guyanais. Alimentation, toilette, linge : toute leur vie est tournée vers le fleuve Maroni.

Mais pas de poisson ce soir-là au menu, plutôt du poulet surgelé. La mère de quatre enfants, son dernier de un an dans les bras, explique : "On a peur de manger les poissons, on ne mange plus que des congelés ". En cause : la pollution au mercure engendrée par les activités d'orpaillage illégal dans le secteur. Le métal provient soit de son utilisation par les orpailleurs pour solidifier l'or, soit de la remise en suspension du métal naturel (méthylmercure) par le retournement des boues lors de leurs chantiers. Selon l'Office national des forêts (ONF), les chantiers d'orpaillage illégal en Guyane ont doublé en deux ans, passant de 392 en 2011 à 771 en 2013.

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Poulet ou côtes de porcs, les Amérindiens "Wayanas" qui vivent ici sont dorénavant contraints d'acheter des surgelés dans la ville la plus proche, Maripa-Soula. Kinddy s'autorise à manger quelques poissons du fleuve, mais en connaît qui n'en mangent plus du tout. "Quand j'étais petite c'était tout le temps le fleuve, j'allais me laver, sauter dans l'eau, je mangeais des beaux poissons, mes enfants ne mangent que du poulet ", regrette-t-elle. "Ca fait peur de se laver aussi, si tu emmènes un bébé, après trois jours il aura des tâches sur le corps ", ajoute Kinddy, qui ne souhaite pas être prise en photo.

L'orpaillage "modifie profondément la vie ici" 

Linia, autre habitante du village, décrit comment le fleuve devient trouble à cause de l'activité des orpailleurs dans le secteur : "comme du chocolat au lait " dit-elle (voir le diaporama sonore en bas de l'article) . Les conséquences de l'orpaillage ? "Elles sont visibles ", répond également Koupi, Amérindien et représentant dans le village du Parc amazonien de Guyane, en montrant du doigt le fleuve tout proche. "Cela modifie profondément la vie ici, ces gens n'ont aucun respect pour ceux qui habitent ici ", dénonce-t-il, situant le début de ces nuisances il y a dix ans environ. Il raconte aussi la nuisance des pirogues qui passent au quotidien pour ravitailler les orpailleurs en denrées ou en carburant.

Des "troubles de l'apprentissage" chez les enfants

Tentant de calmer son enfant sur ses genoux, Kinddy décrit aussi un enfant né avec une bouche sur la joue, à cause du mercure, dit-elle. "Pour se défendre, pendant des années, les Amérindiens parlaient de malformations membranaires ", explique Rémi Pignoux, praticien à Maripasoula, qui se préoccupe du mercure depuis près de 15ans, "il y a huit ans j'ai mis le holà. Je leur ai dit que les scientifiques savaient que ce n'était pas vrai, donc qu'ils se tiraient une balle dans les pieds avec ces arguments ".

Mais si le médecin démonte ces dires plutôt de l'ordre du fantasme, c'est pour mieux expliquer les réelles conséquences du mercure sur la santé de ces habitants du fleuve. "Ces enfants naissent normalement, c'est justement ça qui n'alerte pas les politiques, mais ils peuvent avoir un développement psychomoteur altéré, des troubles de cognition, de mémorisation ou de l'apprentissage par exemple ", indique-t-il.

Sensibilisation des femmes enceintes

Selon l'Institut de veille sanitaire (voir ce rapport en PDF), en 2005, la concentration moyenne de mercure retrouvée dans les cheveux de la population amérindienne du Haut-Maroni, était un peu plus élevée qu'en 1997 : 12,2 μg/g de cheveux, contre 10,6, le seuil tolérable étant fixé à 10 pour l'OMS. "Le maximum que l'on a mesuré dans les cheveux d'une femme dans ce secteur était de 50 μg/g ", ajoute le médecin.

Depuis un an et demi, Rémi Pignoux, médecin à Maripa-Soula, sensibilise les Amérindiens de manière personnalisée à la question de la grossesse et du mercure. En partenariat avec l'Agence régionale de santé (ARS) et au moyen d'une petite brochure en images, il explique aux habitants du fleuve quels poissons sont bons ou non à consommer pendant la grossesse, pour éviter d'intoxiquer les fœtus. Les poissons carnassiers fixent davantage le mercure que les herbivores.

Le directeur de l'école du village est inquiet

Le médecin suit aussi ces femmes pendant leur grossesse, et note l'évolution de leur taux de mercure, dans un grand cahier à carreaux posé sur son bureau. Avant une grossesse, elles viennent le voir et ils discutent ensemble du meilleur moment pour procréer, sachant qu'il faut 50 à 180 jours pour éliminer le mercure. Alors que si un fœtus est contaminé, les conséquences sont irréversibles. A défaut de malformation membranaire, "on a la preuve que le mercure entraîne des malformations dans le développement du système nerveux central ", indique le médecin.

Et c'est bien ce que constate le directeur de l'école de Taluen, Jérôme, qui accueille chaque jours 105 enfants du village et des alentours : beaucoup d'enfants ont du mal à se concentrer, à réfléchir, "environ 40% ", dit-il, bien davantage que dans d'autres écoles où il est passé en Guyane. "Et c'est vrai qu'on peut penser que ça a un lien avec le mercure ", ajoute-t-il. Jérôme, père d'un enfant tout petit, ne lui donnera pas de poisson à manger : "mais nous sommes des privilégiés , dit-il, nous pouvons ramener du poisson de Cayenne. D'autres n'ont pas le choix, quand le mari va à la pêche, ils n'ont que ça à manger ".

Les Wayanas ont "peur"

En plus de la pêche, la présence des orpailleurs illégaux modifie les pratiques de chasse des Amérindiens. Les chercheurs d'or, eux aussi, chassent pour se nourrir, et vident donc la forêt de ses gibiers. Les Wayanas sont ainsi contraints d'aller plus loin et les déplacements coûtent cher. Sans compter que certains ont "peur" de s'aventurer trop loin, pour la chasse ou la cueillette.

L'insécurité va elle aussi croissante, décrivent les habitants de Taluen, avec des vols de pirogue ou de denrées dans leurs abattis (petites clairières agricoles). Il faut dire que de véritables bases arrière se mettent en place autour du système des orpailleurs illégaux, avec de nouveaux commerces qui s'installent juste en face du village sur la berge surinamienne, mais aussi tout le nécessaire pour distraire les travailleurs. De véritable petits "far-west" s'installent, avec leur lot de prostitués, d'alcool, de drogue et de violences...

Certains Amérindiens font aussi du "buisness"

Cela crée des tensions au sein même de la population amérindienne. "Certaines personnes d'ici-même ont compris et commencé le business, ils contestent de plus en plus l'autorité culturelle des Wayanas, n'ont plus de respect pour le village, ils se demandent pourquoi eux aussi ils ne pourraient pas profiter " de ce commerce de l'or, explique Koupi, représentant du Parc à Taluen.

Ainsi, l'orpaillage illégal vient ajouter un peu plus de confusion encore pour une population amérindienne déjà fortement déboussolée. Le risque ? "Qu'ils se fassent justice eux-même ", répond Koupi, qualifiant la population de "désabusée ", qui n'a aucune confiance en l'Etat. "Je suis très inquiet, beaucoup de gens disent que si la situation se passait ailleurs, elle aurait été réglée beaucoup plus vite, mais ici c'est loin [de la métropole]... " "Et les habitants n'ont pas l'habitude de manifester, il y a peut-être 60 % de la population qui ne parle pas français, qui n'a pas l'habitude de s'exprimer ", ajoute-t-il.

De la "colère" à la "tristesse"

Le directeur de l'école, Jérôme, décrit lui une "colère sourde ", "ils voudraient que l'Etat mette en place quelque chose de plus fort, ils disent que les militaires dans le village d'à côté sont juste là pour faire joli ". "Au début c'était plutôt la colère, aujourd'hui c'est la tristesse, parce que même l'Etat ne peut rien faire ", indique pour sa part Kinddy, alors que son fils s'amuse avec la cire des bougies sur la table. "Nous, qui sommes nous ? On ne va pas nous écouter, on ne peut pas les arrêter, on n'a pas de pouvoir, nous ne sommes pas nombreux de toutes façons... ", conclue-t-elle, résignée.

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