Gisèle Grimm, la mère qui porte l'œuvre littéraire de sa fille disparue Annick

Annick Grimm avait 18 ans lorsqu'elle est décédée dans un accident de moto en 1985. Elle laisse derrière elle 17 cahiers d'écriture que sa mère découvre et qu'elle décide d'exposer dans un livre, "Journal intime d'une jeune fille. La flambe". Jusqu'au 30 mars 2025, le Musée des arts décoratifs de Paris met à l'honneur ses récits.
Article rédigé par Marie Dupin
Radio France
Publié Mis à jour
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Couverture du livre "Journal intime d'une jeune fille, La flambe" aux éditions J'ai lu. (CAPTUR D'ECRAN)

Quand tout va bien, ce sont les enfants qui font vivre la mémoire de leurs parents. Mais pour Gisèle Grimm et sa fille Annick, ce n’est pas comme ça que les choses se sont passées. À partir de mardi 15 octobre, et jusqu'au 30 mars, le Musée des arts décoratifs de Paris expose l'œuvre d'une jeune fille, Annick Grimm, disparue à l'âge de 18 ans, en 1985, dans un accident de moto en Espagne. Une œuvre qui aurait pu rester dans l'ombre sans la volonté de sa mère, Gisèle Grimm, née Gisèle Paule Klavatz, aujourd'hui âgée de 95 ans.

"On ne se remet jamais de la mort d’un enfant", raconte Gisèle Grimm à franceinfo. Mais Gisèle a survécu. En faisant vivre Annick à travers ses écrits.

"Ma fille c’était une raconteuse. Elle écrivait tout le temps."

Gisèle Grimm

Avant même de savoir écrire puisqu’à 6 ans déjà elle dictait à ses babysitters des histoires".

À sa mort, Annick Grimm laisse derrière elle 17 cahiers. Intitulés "Or ", "Banana", "Pop Corn", remplis du récit de sa vie, de son enfance à son adolescence, de sa passion pour les motos, les « "mecs". Des cahiers intimes que sa mère, Gisèle, avait interdiction d’ouvrir de son vivant. "Mais au moment de sa disparition, je décidai de braver l’interdiction. Ariane m'avait tant parlé de ses cahiers. J'ai retranscrit tout ce qu'elle avait écrit." Car les journaux intimes d'Annick, c’était son "âme vivante". Que Gisèle Grimm, comédienne de profession, réussit à faire publier dans un livre intitulé La flambe. "Un vrai livre ! Pas un livre à compte d’auteur", s'exclame-t-elle avec fierté.

La culpabilité comme moteur

Dans ce livre, intitulé Journal intime d'une jeune fille. La flambe, Annick devient Arianne, à la demande du père de l'enfant, parti juste après sa naissance, laissant Gisèle seule pour l'élever. "Je devais beaucoup travailler pour subvenir à nos besoins, alors je laissais souvent Annick à des baby-sitters", s'accable Gisèle encore aujourd'hui. "J'aimais Annick passionnément, mais elle m'encombrait. Je n'étais pas une bonne mère", dit-elle.

Une culpabilité qui aura paradoxalement animé Gisèle toute sa vie. "Si je ne m'accable pas, cette histoire n'existe pas". Gisèle le sait. Écrire, c'était sans doute pour Annick la seule manière de "supporter tout ce que je lui infligeais, moi, sa mère, Grimm comme elle m’appelait, avec mon très mauvais caractère qui lui rendait la vie impossible". Un sentiment partagé par Annie Ernaux, prix Nobel de littérature. Dans les années 2000, Gisèle Grimm la rencontre et lui offre La Flambe. À propos d'Arianne, Annie Ernaux écrit à Gisèle, dans une lettre, qu'elle "serait devenue une écrivain parce que, quand rien ne comble, il ne reste que l’art." Et de brosser une écriture "au plus près de la vérité. Sans tricher"

Un récit qui brosse en creux le portrait d'une mère seule

Non, Gisèle ne triche pas. À travers l'histoire d'Annick, c'est aussi la sienne, l'histoire d'une mère célibataire, intermittente, aux revenus incertains, et aux coups de colère fréquents, qui se dessine. Une mère qui se moque d'avoir le mauvais rôle, et qui retranscrit tout ce qu'écrit Arianne, sans fard, y compris la violence, la maltraitance. "Ma mère bousille mon armoire, casse deux assiettes, jette mes disques et des papiers par la fenêtre ainsi qu’un poster de ma création… Sans compter : baffe dans la gueule, plaie sur les jambes, griffes dans le cou, élargissement d’un pull", écrit Annick. Une relation "passionnée et anxieuse", faite de "mots d’amour et de mots règlements de compte".

Sans chercher à se justifier, Gisèle explique : "C'est comme ça que j'avais été élevée. À la maison, dans mon quartier ouvrier du 13e arrondissement, quand j’étais petite on ne se parlait pas, on se disputait. Alors je ne savais pas faire autrement". Dans un de ses cahiers, intitulé "Ce qui concerne maman", Annick écrit d'ailleurs du mal de Gisèle "en permanence". Mais sur la dernière page, on trouve ces mots : "Si tu tombes sur ce dossier sache que je ne le pense pas. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi. Et signe ici". Avant de conclure "j’espère que cette page restera blanche".

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