CHRONIQUE. Faut-il constitutionnaliser le droit à l'IVG ?
Tout était pourtant si bien parti ! Nous avions d’abord eu une première proposition de loi visant à inscrire l’IVG dans la Constitution, qui avait été votée par les deux Assemblées – certes dans des termes différents, elle n’avait donc pas été adoptée définitivement, mais le Sénat avait malgré tout fini par donner son aval. Puis, cette semaine, l’Assemblée nationale examinait enfin le projet de loi porté directement par le gouvernement, avec une rédaction faisant la synthèse entre les deux versions précédentes. Quand, soudain... est arrivé Gérard Larcher, le président LR du Sénat. Il était mardi 23 janvier l’invité de franceinfo, on lui a demandé s’il était favorable au texte. Réponse : "Non. Je pense que l'IVG n'est pas menacée dans notre pays. Si le droit à l'IVG était menacé, croyez-moi je me battrais pour qu'il soit maintenu. Je pense que la Constitution n'est pas un catalogue de droits sociaux et sociétaux."
Alors, il a certes précisé qu’il ne s’agissait là que d’une position strictement personnelle, mais vu le pouvoir d’influence que possède Gérard Larcher sur la Haute Assemblée, on comprend que rien n’est joué.
Les arguments hautement discutables du président du Sénat
Commençons par le premier : le droit à l’IVG ne serait, en France, "pas menacé". C’est largement vrai… Mais il pourrait l’être à l’avenir ! Le revirement spectaculaire de la Cour Suprême américaine, en juin 2022, ou le recul du droit à l’avortement en Pologne, depuis les années 1990, prouve que rien n’est jamais acquis. Or, l’un des rôles d’une Constitution, c’est précisément de tenter de garantir les libertés contre les vicissitudes de l’histoire.
Quant à l’idée que la loi fondamentale ne devrait pas être "un catalogue de droits sociaux et sociétaux", eh bien… si, elle l’est ! Le préambule de notre Constitution s’épargne simplement de les énumérer. Il se contente de renvoyer aux libertés publiques et aux droits sociaux garantis par la Déclaration de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l'environnement de 2004. Mais, si l’on veut reconnaître des droits nouveaux, qui n’étaient pas encore visés par ces textes, il faut bien les inscrire quelque part. Ce quelque part, c’est la Constitution de 1958 elle-même.
L’inscription de l’IVG dans la Constitution apporterait-elle une meilleure garantie pour les droits des femmes ? Cette question fait l’objet d’un intense débat juridique. La rédaction initiale, celle de la proposition de loi déposée par Mathilde Panot, était incontestablement protectrice pour les droits des femmes, puisqu’elle disposait que la loi devait garantir tout à la fois "l’effectivité et l’égal accès au droit à l’IVG". A contrario, le texte adopté par le Sénat était, lui, beaucoup moins ambitieux. Il se contentait de dire "La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse." Comme le souligne la professeure de droit public Stéphanie Hennette-Vauchez, il s’agit d’une protection très incomplète, puisqu’elle pourrait laisser la porte ouverte au fait que la loi fixe des conditions si restrictives, qu’elles en reviendraient dans les faits à remettre en cause la possibilité pratique d’avorter.
De véritables enjeux juridiques autour du texte
La rédaction finalement retenue par le gouvernement est une sorte de synthèse : "La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours." Elle n’assure toujours pas "l’effectivité et l’égal accès au droit à l’IVG", en revanche, on retrouve le concept d’une "liberté garantie." C’est d’ailleurs ce mot, précisément, qui pourrait susciter les réticences du Sénat.
Le Conseil d’État, par son avis du 12 décembre, a estimé que la rédaction retenue par le gouvernement n’était en fait pas forcément moins protectrice, d’un point de vue juridique, que celle proposée initialement par Mathilde Panot. Certains constitutionnalistes, comme Anne Levade, estiment même que le droit à l’avortement serait déjà, de toutes façons, protégé par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.
Cela étant, on peut rétorquer qu’il vaudrait toujours mieux qu’un texte soit voté, et le plus serré possible, afin de prémunir au maximum le droit à l’IVG contre d’éventuelles attaques à venir. Et puis, surtout, les enjeux de ce débat ne sont pas que juridiques : ils sont aussi, et peut-être surtout, symboliques. Comme le rappelle la juriste Anne-Charlène Bezzina, avec cette loi, la France serait le premier pays du monde à faire entrer le droit à l’IVG dans sa loi fondamentale. Elle retrouverait ainsi son rôle de phare des droits et libertés, qu’elle a su être en 1789 ou en 1946, et a échoué à incarner par la suite – notamment sur la question de l’abolition de la peine de mort, si tardive dans notre pays. Au moment où le droit à l’avortement est remis en cause jusqu’au sein de l’Union européenne, il y aurait là, je crois, une grandeur politique qui ennoblirait notre vieil État.
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