CHRONIQUE. Faut-il supprimer l'aide médicale d'Etat ?
Les Républicains ont annoncé qu’ils pourraient accepter de voter une loi immigration, à condition que le gouvernement accepte, entre autres, de remettre en cause l'aide médicale d'Etat. Gérald Darmanin a répondu qu’il était prêt à en discuter. Mais il s’agit là d’un débat piégé, un serpent de mer qui revient sans cesse dès lors que l’on parle d’immigration.
Créée en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin, l'AME n’a cessé, depuis, d’être remise en cause. D’abord, par le Front national, puis le Rassemblement national, mais aussi une partie de l’UMP puis, aujourd’hui, la quasi-totalité des Républicains : tous fustigent cette aide, qui bénéficie à près de 400 000 personnes. Elle créerait un "appel d’air", voire une "pompe aspirante" qui favoriserait l’immigration irrégulière et pèserait sur le budget de l’État.
Mais rien ne permet de l’affirmer de manière objective. En octobre 2019 déjà, le précédent Défenseur des droits, Jacques Toubon, regrettait "l’idée fausse selon laquelle l’AME conduirait à renforcer les flux migratoires illégaux". Le mois suivant, en novembre 2019, une grande étude menée par l’Institut de recherche en économie de la santé est venue apporter des preuves éloquentes : la moitié des personnes éligibles à l’AME n’ont pas fait les démarches pour en bénéficier. L’immense majorité des exilés interrogés ne pensent même pas à citer la santé parmi leurs motifs d’émigration. Pour ces chercheurs, la conclusion est claire : "Toute mesure qui viserait à limiter l’AME afin de lutter contre l’immigration clandestine raterait certainement sa cible. Le risque serait en revanche de mettre en danger l’état de santé d’une population très précaire."
L'AME représente 0,5% des dépenses de santé
L’AME a un coût, c’est vrai : plus d’un milliard d’euros par an. Sur le papier, c’est beaucoup. Mais cela ne représente en fait que 0,5% des dépenses publiques de santé. On est dans l’épaisseur du trait. Et surtout, l’AME rapporte probablement plus qu’elle ne coûte. Comme le rappelle le professeur Pierre Tattevin, vice-président de la Société de pathologie infectieuse : "De nombreux exemples historiques ont montré que le contrôle des épidémies est plus difficile et plus coûteux lorsque la réaction est retardée, ce qui est inévitable si on restreint l’accès aux soins."
Les Républicains et le RN ne demandent pas la suppression pure et simple de l’AME : ils proposent au contraire de conserver une aide médicale d’urgence. Mais tous les médecins nous disent qu’elle est inapplicable en pratique. Pour une raison simple, d’ailleurs : à partir de quand un soin est-il considéré comme "vital" ? Va-t-on laisser volontairement les pathologies se dégrader pour ne les soigner que lorsqu’elles seront beaucoup plus dangereuses pour les patients, et beaucoup plus coûteuses pour le système de santé ? Et même, au-delà, d’un point de vue éthique : qu’en est-il des pathologies douloureuses, mais non vitales ? Imaginons par exemple une fillette de 12 ans. Ses parents lui ont fait traverser la Méditerranée dans une barque. Elle est présente sur le territoire, illégalement peut-être, mais elle n’y peut rien. Cette fillette a une dent cariée. C’est douloureux, mais ce n’est ni vital, ni urgent. Va-t-on laisser cette jeune fille souffrir, quand on pourrait la soigner ? Voilà, concrètement, ce à quoi aboutirait une suppression de l’Aide Médicale d’État. On peut le souhaiter. Mais il faut alors accepter de regarder en face les souffrances que l’on crée.
L'exécutif est ambivalent sur cette question
D’une part, Gérald Darmanin a ouvert la porte à une remise en cause de l’AME. D’autre part, c’est précisément cette présidence qui a contribué à restreindre l’Aide Médicale d’État. Depuis 2019, il faut justifier de trois mois de présence sur le territoire pour pouvoir en bénéficier. Et surtout, les démarches administratives ont été rendues beaucoup plus contraignantes. Résultat : en mars dernier, une étude menée par plusieurs associations, dont Médecins du Monde, mettait en évidence une importante détérioration de l’accès à l’AME du fait "d’un cumul d’obstacles administratifs". Autrement dit : aujourd’hui, dans notre pays, une partie des personnes présentes sur le territoire sans titre de séjour ne sont d’ores et déjà plus soignées. Et c’est le président de la République qui en porte la responsabilité.
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