CHRONIQUE. Imagine-t-on le général de Gaulle aux Rencontres de Saint-Denis ?
Commençons, une fois n’est pas coutume, par un peu d’histoire. En 1965, le président de la République française, le général de Gaulle, entre en conflit avec la Commission européenne. Il s’opposait à plusieurs projets de réformes de la Communauté Economique Européenne, qui auraient renforcé l’intégration supranationale au détriment des Etats-Nations. Le général de Gaulle décide alors, tout simplement, de boycotter les organes européens. Puisque, à l’époque, les votes devaient être tranchés à l’unanimité, il suffisait que la France ne soit pas représentée pour que l’ensemble du processus décisionnel européen soit bloqué. Après six mois de bras de fer, le général de Gaulle obtient finalement gain de cause.
C’est ce qui a donné son nom à la "politique de la chaise vide" : refuser de se présenter à un événement, pour empêcher que des décisions puissent y être prises – ou, à tout le moins, pour en saper la légitimité.
C’est bien cela qui se joue aujourd’hui avec les rencontres de Saint-Denis, mais pas toujours pour les mêmes raisons. Le Parti socialiste et La France insoumise mettent notamment en avant leur volonté de ne pas cautionner une réunion dans laquelle était discutée la possibilité d’élargir le champ du référendum aux questions de société – au premier rang desquelles, et c’était explicitement mentionné, les questions d’immigration. En ce qui concerne Eric Ciotti, en revanche, il a justifié sa défection par l’absence d’Emmanuel Macron à la marche contre l’antisémitisme. Pourquoi pas ? Peut-être peut-on aussi imaginer que le patron des Républicains cherchait avant tout un prétexte pour réaffirmer son appartenance à l’opposition, au moment où les sénateurs LR viennent justement de voter la loi immigration présentée par le gouvernement.
Le lieu légitime et constitutionnel pour ce dialogue existe : c'est le Parlement
On peut déplorer, dans une démocratie, que des responsables politiques refusent ainsi de dialoguer. Tout le problème, c’est le cadre dans lequel a lieu ce dialogue. Si l’objectif, c’est que les formations politiques confrontent leurs points de vue, pour tenter d’identifier des points de convergence, afin d’élaborer des compromis qui puissent être adoptés par une majorité transpartisane. Mais il existe déjà un lieu tout à fait adapté : cela s’appelle le Parlement ! C’était d’ailleurs la promesse initiale du gouvernement d’Elisabeth Borne : proposer une "nouvelle méthode" à l’Assemblée, afin de construire des majorités. On a bien vu en quoi avait consisté, en réalité, cette nouvelle méthode : les textes clivants ont été adoptés sans vote, parfois même sans discussion, par la seule grâce de l’article 49.3.
Le gouvernement explique que c’est à cause de l’obstruction, mais ça, c’est la poule et l’œuf : est-ce à cause de l’obstruction qu’il n’y a pas eu de véritable délibération ? Ou, au contraire, est-ce parce que le gouvernement n’a jamais rien voulu céder, que les députés de l’opposition ont fini par se résoudre à faire de l’obstruction ?
Ce qui me semble particulièrement problématique, c’est de voir le chef de l’Etat multiplier les institutions créées de toutes pièces, autour de sa personne, pour servir les besoins politiques du moment. Aujourd’hui, c’est le format "Saint-Denis". Mais hier, c’était le Conseil national de la Refondation ; pendant la crise du Covid, le Conseil de défense sanitaire ; pendant la crise des "gilets jaunes", le Grand débat national… Autant d’inventions spontanées et éphémères qui, non seulement n’ont, pour la plupart d’entre elles, influencé en rien les décisions du gouvernement, mais de surcroît, contribuent à marginaliser ce qui devrait être LE lieu de la délibération démocratique : les assemblées parlementaires.
Déséquilibre institutionnel
La Constitution de la Ve République, celle du général de Gaulle, n’a jamais prévu que le président de la République négocie directement la politique de la nation avec les chefs de partis, dans le secret d’une salle de réunion ! Article 20 : c’est le rôle dévolu à la Première ministre, dans un cadre officiel et transparent : celui du Parlement.
Tout cela n’a rien d’anodin. Parmi toutes les démocraties du monde, la Ve République est d’ores et déjà l’une de celles qui donnent le plus de pouvoir au chef de l’Etat, et le moins de poids au Parlement. Avec son format "Saint-Denis", Emmanuel Macron accentue encore davantage ce déséquilibre, à son propre profit, et au mépris de la Constitution. S’il était encore de ce monde, le général de Gaulle lui-même aurait peut-être considéré cela comme une raison suffisante pour se résoudre… à la politique de la chaise vide.
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