CHRONIQUE. Où s'arrête vraiment "l'arc républicain" ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 11 février : une expression que l’on a beaucoup entendue ces dernières années : "l’arc républicain". Gabriel Attal a déclaré cette semaine qu’il ne souhaitait plus l'employer.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
La devise républicaine, gravée sur la façade de la mairie de Vannes (Morbihan). Photo d'illustration (RICHARD VILLALON / MAXPPP)

C’est donc la fin du fameux "arc républicain" ! Cette semaine, interrogé par le journal Le Monde sur sa méthode de gouvernement, le Premier ministre a été parfaitement clair : "Moi, je considère que l’arc républicain, c’est l'hémicycle." Une rupture majeure vis-à-vis de sa prédécesseure, Elisabeth Borne, ainsi que du président Macron lui-même : tous deux revendiquaient de ne travailler qu’avec les partis de "l’arc républicain", dont étaient explicitement exclus le Rassemblement National et La France insoumise.

Pourquoi ? Pour répondre à cette question, il faut remonter d’un cran, pour se demander ce que signifie "être républicain". La République, c’est quoi ? Beaucoup diront : des valeurs. Soit, mais lesquelles ? De toute évidence : "Liberté, Égalité, Fraternité". C’est la devise de la République, gravée sur le fronton de nos mairies. Mais la liberté dans quelles limites ? L’égalité jusqu’à quel point ? La fraternité envers qui ? C’est ici que s’arrête le consensus, et que commence la politique. Définir la République par ses valeurs, c’est philosophiquement fécond, mais cela n’apporte aucune réponse : on n’en retire que davantage de questions.

La seule définition consensuelle possible de la République est juridique

La République, c’est un ensemble de règles et d’institutions auxquelles nous acceptons de nous soumettre. Ceux qui s’inscrivent au sein des lois de la République sont républicains. Dire autre chose que cela, ce serait faire de la République une terre de controverses, alors qu’elle devrait être un trésor commun.

Et précisément, on peut dire qu’Emmanuel Macron et Elizabeth Borne ont, à l’époque, allègrement franchi cette frontière – notamment à l’égard de La France insoumise. La liste des griefs portées à l’encontre des députés LFI était longue comme le bras : ils ne respecteraient pas la laïcité, chercheraient à discréditer la police, pratiqueraient l’antiparlementarisme, et j’en passe... Le seul problème, c’est que ces critiques sont politiques. On peut parfaitement être en désaccord avec les positions de LFI concernant les violences policières ou l’abaya à l’école. On peut même considérer qu’elles emmèneraient le pays sur une voie dangereuse. On peut aussi critiquer la virulence, voire l’outrance, et peut-être même l’obstruction de La France insoumise. Mais tout cela relève du désaccord politique, pas de l’antirépublicanisme. À aucun moment les députés LFI n’ont émis de propositions politiques qui reviendraient à se soustraire à l’ordre juridique républicain. L’historien Nicolas Lebourg, qui a notamment travaillé sur la violence des marges politiques, le dit d’ailleurs très clairement : "Si on peut faire une liste de mille kilomètres de reproches aux partis parlementaires de gauche, aucun n’évoque une atteinte au bloc de constitutionnalité, y compris LFI."

Qu'y a-t-il derrière les remises en cause du Conseil constitutionnel ?

Gabriel Attal a donc raison, bien sûr, de ne plus utiliser la République comme une simple arme polémique. Mais il n’en faudrait pas pour autant cesser d’être vigilant à l’égard des discours qui, eux, menacent réellement l’ordre républicain. Les élus du RN, par exemple, prennent garde désormais, c’est vrai, de respecter le cadre constitutionnel. Certaines de leurs propositions, en particulier la préférence nationale, pourraient bien, néanmoins, constituer une infraction au principe fondamental d’égalité entre les citoyens. Et au-delà : à la suite de la censure de la loi Immigration par le Conseil constitutionnel, de nombreux responsables LR et RN ont attaqué directement la légitimité du Conseil. Jordan Bardella a parlé d’un "coup de force des juges" ; Éric Ciotti d’un "hold-up démocratique" ; Laurent Wauquiez, d’un "coup d’État de droit". Et il est-même allé plus loin. Dans Le Parisien, il a demandé explicitement que le vote de l’Assemblée puisse prévaloir sur une censure du Conseil constitutionnel. Cela revient à proposer la fin, pure et simple, du contrôle de constitutionnalité des lois, et le renvoi du Conseil à un rôle symbolique.

Manuel Bompard, le coordinateur de La France insoumise, a de son côté qualifié le Conseil de "camion poubelle des délires réactionnaires du gouvernement". La métaphore est particulièrement outrancière, et même assez navrante. Mais on a le droit de critiquer une décision du Conseil constitutionnel : ce n’est pas la même chose que la contester. En revanche, la proposition de Laurent Wauquiez revient, elle, à demander la neutralisation du Conseil constitutionnel.

Rappelons que c’est notre Constitution qui, en définitive, garantit les droits fondamentaux des citoyennes et des citoyens. Proposer que le vote de la représentation nationale prévale sur une censure du Conseil, c’est ouvrir la voie au fait que le Parlement puisse décider d’enfreindre une partie de nos droits et libertés. Dans un tel régime, plus rien ne pourrait empêcher la majorité d’opprimer les minorités. Voilà ce qu’a proposé concrètement Laurent Wauquiez, soutenu par une partie des Républicains et, à mots certes couverts, par certains membres du Rassemblement national. Chercher à s’affranchir des droits fondamentaux garantis depuis le premier jour par la République française, c’est par définition s’extraire de l’arc républicain. On peut s’étonner, me semble-t-il, que ni le Premier ministre, ni le président de la République, ne s’en soit alarmé.

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