CHRONIQUE. "Viande" végétale : une concession aux éleveurs, contre l'environnement ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 3 mars : l’interdiction de produire, en France, des aliments à base de protéine végétal sous des noms qui évoquent la viande.
Article rédigé par franceinfo
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Des produits végétaux imitant la viande. Photo d'illustration (CHRISTIAN WATIER / MAXPPP)

Les steaks végétaux devront donc désormais s’appeler pavé ou galette, par exemple. Terminé les steaks de tofu et les saucisses de soja, sans parler, bien sûr, des audacieux "nuggets de seitan". Par un décret du 27 février, le gouvernement a effectivement décidé de réserver ces appellations aux seuls aliments composés de protéines animale.

C’est la deuxième fois que le gouvernement tente de faire passer cette mesure : en juin 2022, il avait déjà publié un premier décret, retoqué par le Conseil d’État. Désormais mieux ficelé juridiquement, le texte devrait normalement pouvoir s’appliquer… à la grande joie du lobby de la viande, qui le revendiquait depuis longtemps. Le Premier ministre, du reste, ne s’en cache pas : "C’était une demande de nos éleveurs", écrit-il sur X.

Cette décision va forcément avoir un impact sur la vente de ces produits. Déjà, on peut faire confiance aux lobbyistes pour faire un bon travail de lobbying. Si la filière de l’élevage s’est à ce point battue pour faire interdire ces appellations, c’est qu’elle avait de bonnes raisons d’anticiper un impact positif pour les protéines carnées, et négatif pour les protéines végétales. Et effectivement, une étude publiée en août 2022 dans la revue Food Policy tend à montrer que les consommateurs ont une meilleure perception des produits simili-carnés quand leur nom est inspiré de la viande.

On retrouve d’ailleurs ici l’une des règles de base de la rhétorique : le lexique influence notre pensée. Les mots par lesquels nous nommons les choses ont un impact sur la manière dont nous pensons à ces choses. C’est ce que l’on appelle la dimension connotative du discours. Obtenir une victoire sur le lexique, c’est déjà prendre l’ascendant dans le domaine politique.

Une concession aux éleveurs pour apaiser la colère des agriculteurs

Au moment où continue de gronder la colère du secteur agricole, le gouvernement est manifestement à la recherche de toutes les concessions qu’il lui est possible de faire pour apaiser la situation. Or, un décret sur les appellations, c’est une concession qui ne coûte rien. Pour l’exécutif, les gains politiques sont instantanés. Du moins, à court terme. Mais à plus long terme, le gouvernement va rapidement avoir un problème avec l’industrie française des protéines végétales. Car le décret ne s’applique, pour l’instant, qu’aux aliments produits en France. Ceux fabriqués en Allemagne ou aux Pays-Bas, fut-ce par une entreprise française, pourront continuer à être commercialisés comme "steak" ou "nuggets". On verra donc toujours ces mots dans les rayons… mais pas pour les produits made in France !

Cela va évidemment créer une situation de concurrence déloyale qui risque de favoriser les importations. Voire, qui pourrait inciter les entreprises françaises à délocaliser leur production, moins d’un an après que le ministre de l’Économie a inauguré une immense usine de simili-carné dans le Loiret.

Ces aliments qui imitent la viande ne sont certes pas exempts d'inconvénients. Une partie d’entre eux sont extrêmement transformés : s’ils s’approchent autant de la viande, ce n’est évidemment qu’à grand renfort d’additifs. Par ailleurs, l’impact sur l’environnement de ces produits est encore mal connu, notamment en termes de consommation d’énergie. En outre, deux études, publiées en 2022 par Food and Water Watchii et IPES Foodiii, ont montré que cette industrie était en réalité contrôlée par quelques géants de l’agro-alimentaire.

Réduire la consommation de viande, une nécessité

Le risque, c’est de créer à terme une situation de dépendance à l’égard de ces multinationales. Donc ces produits ne sont pas vraiment la panacée. Mais comme le souligne l’économiste Romain Espinosa, ils permettent malgré tout au consommateur de "changer son alimentation sans avoir à changer sa façon de cuisiner". D’un point de vue écologique, c’est aujourd’hui une nécessité.

La position du Giec est, à cet égard, diaphane : dans son rapport de 2019, il rappelle que "la viande, et en particulier la viande de bœuf, est l’aliment ayant le plus d’effet sur l’environnement". Une étude publiée en février 2024 par la Société française de Nutrition et le Réseau Action Climat a d’ailleurs montré que, pour nous respections nos engagements environnementaux, il faudrait que les Françaises et les Français réduisent de moitié leur consommation de viande. Un rapport de la Cour des comptes, publié en mai 2023, va dans le même sens : pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, la France n’aurait d’autre choix que de planifier la baisse de ses cheptels bovins.

La décision qui a été prise cette semaine va dans le sens strictement opposé. Alors, certes, elle a été bien reçue par les éleveurs. Mais à quel prix pour notre industrie ? Et plus encore : à quel prix pour l’écologie ?

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