Emmanuel Macron : le président du rassemblement ?
Clément Viktorovitch revient sur le discours de victoire prononcé par Emmanuel Macron dimanche soir, sur le Champ-de-Mars. Un discours qui se voulait très rassembleur.
C’est la troisième fois dans l’histoire de la Ve République qu’un président remporte l’élection face au candidat ou à la candidate du Front national ou du Rassemblement national. La troisième fois, aussi qu’une partie des français votent contre leurs convictions pour faire barrage à un mouvement perçu comme une menace pour les droits et les libertés. Et à chaque fois, cela a donné lieu à des discours de victoire particuliers. Comment faire, en effet, pour célébrer son triomphe quand une partie des électeurs qui vous ont élu ne vous soutiennent pas ?
Dimanche soir, Emmanuel Macron a résolu ce dilemme simplement : il s’est directement adressé à eux : "Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l'extrême droite (..) Ce vote m'oblige pour les années à venir. Je suis dépositaire de leur sens du devoir. Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s'achève mais l'invention collective d'une méthode refondée pour cinq années de mieux au service de notre pays."
Une rhétorique fréquente
Emmanuel Macron est explicite. Il assume de devoir sa victoire en partie à des électeurs qui ne soutiennent pas ses idées. Il se dit "obligé" par leur vote, et en tire les conséquences. Son second quinquennat sera une "ère nouvelle guidée par une méthode refondée". Bref, en un mot : il va chercher à rassembler tous les Français. Un discours différent qu'il y a cinq ans. Lors de sa première élection, il avait clamé un peu plus clairement la victoire de son projet et de ses idées mais il avait également dit ceci : "Je veux aussi ce soir avoir un mot pour les Français qui ont voté pour moi sans avoir nos idées. Vous vous êtes engagés et je sais qu'il ne s'agit pas là d'un blanc-seing. Je sais nos désaccords, je les respecterai, je rassemblerai et je réconcilierai car je veux l'unité de notre peuple et de notre pays."
Nous retrouvons exactement les mêmes idées. Et d’ailleurs, elles viennent de loin. En 2002, après sa réélection face à Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac s’était exprimé depuis son QG de campagne : "Votre décision, vous l'avez prise en conscience, en dépassant les clivages traditionnels, et, pour certains d'entre vous, en allant au-delà même de vos préférences personnelles ou politiques. (...) Président de tous les Français, je veux y répondre dans un esprit de rassemblement". On retrouve exactement la même rhétorique : un président élu par des Français qui ne soutiennent pas son projet et qui devra faire le "rassemblement".
Le principe même de la politique
Le rassemblement, c’est un pur concept mobilisateur, un mot ronflant qui plait à tout le monde, mais qui ne dit rien de précis à personne. C’est donc une rhétorique totalement vide, sans aucune traduction concrète, et quelque part, on peut le comprendre. Si ces présidents voulaient réellement "rassembler" les français, il leur faudrait amender le projet sur lequel ils ont été élus. Mais alors, que diraient-ils aux électeurs qui ont voté pour eux sur le fondement de ce même projet ? Le principe même de la politique, c’est de faire des choix qui contenteront une partie des citoyens, et en mécontenteront une autre. Le désaccord et le conflit sont la norme en politique. Une norme que, le temps d’une soirée, nous faisons semblant d’oublier.
Et voilà donc quelle est, au fond, la nature réelle de ces discours de victoire : ils sont un rituel de rassemblement. Ils occupent une fonction symbolique : rappeler aux citoyens français qu’en dépit de toutes les fractures révélées par l’élection, ils demeurent un peuple uni. Dès le lendemain toutefois, le symbolique s’efface, et la politique reprend ses droits.
Revoir l'émission en intégralité :
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.