Éric Zemmour contre "la racaille" : quand les mots suggèrent ce que l’on ne peut pas dire
Après les incidents au Stade de France Éric Zemmour a fustigé les "banlieusards" responsables, selon lui du chaos.
Qui faut-il blâmer pour le chaos qui s’est emparé du Stade France samedi 28 mai ? C’est la grande question de ce début de semaine et chacun semble avoir sa propre réponse ! Jean-Luc Mélenchon, par exemple, met en avant l’échec de la stratégie policière. De son côté, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’en démord pas : pour lui, la responsabilité est à chercher du côté d’une fraude massive aux faux-billets parmi les supporteurs de Liverpool. Une version dont ne se satisfait pas Éric Zemmour au micro d’Europe 1 lundi 30 mai.
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"Il suffisait de voir 30 secondes les images des soi-disant supporters anglais pour voir qu'ils n'étaient ni anglais, ni supporters", déclare Éric Zemmour. En revanche ils étaient banlieusards, pillards, voleurs et tutti quanti. Emmanuel Macron n'ose pas dire ce qui est. Ce qui est, c'est que Saint-Denis n'est pas Paris et que la Seine-Saint-Denis n'est plus la France depuis longtemps." Alors, sur le fond, ce que nous offre Éric Zemmour ici, c’est une véritable leçon en matière de généralisation. Déjà, vous ne l’avez pas forcément vu passer, mais il commence sa sortie par "il suffit de voir les images." Il va donc se livrer à une analyse au faciès. Puis, dans la même phrase : "ils sont banlieusards, pillards, voleurs." On a une assonance en "ard" et "eur" qui confère une impression de cohérence et vient suggérer, en filigrane, que tous les habitants de banlieue auraient tendance à piller et voler. Et surtout, cette dernière montée en généralité quelques secondes plus tard : "la Seine-Saint-Denis n’est plus la France depuis longtemps." Peu importe ce que dit leur carte d’identité, les habitants racisés des villes de banlieue ne feraient pas partie de la communauté nationale.
"L'avènement de racailles"
Toute cette analyse se trouve condensée en un seul mot. Un mot qu'Éric Zemmour prononce quelques minutes plus tard. "Cette mésaventure de Monsieur Darmanin annonce le quinquennat qui vient, assure Éric Zemmour. C'est à dire le quinquennat de l'avènement de racailles qui font la loi de plus en plus." Les racailles qui font la loi, le mot est donc lâché. Et ce mot, il a bien sûr une histoire politique. Souvenez-vous en 2005, lors d’une visite mouvementée à Argenteuil, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, déclare ceci : "Vous en avez assez, hein. Vous avez assez de cette bande de racailles, on va vous en débarrasser."
On va vous débarrasser de ces racailles. Le mot existe depuis longtemps dans le vocabulaire. Dès le XIIe siècle, il est utilisé pour désigner les pauvres. Puis, progressivement, il se charge de connotations péjoratives. Les racailles auraient des mœurs dépravées. D’ailleurs, on disait alors "la racaille", usage du pronom singulier indéfini, par nature déshumanisant, qui suggère une masse informe et répugnante. Un usage qu’on a aussi entendu dans la bouche d’Éric Zemmour lors d’un déplacement à Sevran en mars dernier : "Nous éradiquerons la racaille. Comme il fallait terroriser les terroristes, il faut éradiquer la racaille." "La" racaille : le pronom est tellement déshumanisant qu’il autorise l’emploi du terme "éradiquer". On en oublierait presque que ce sont d’êtres humains que nous parlons. Et pas de n’importe quels êtres humains. Parce que, précisément, au début du XXe siècle, le terme "racaille" s’était déjà chargé de connotations supplémentaires. Il était alors employé par la droite nationaliste pour fustiger "la racaille métèque" ou "la racaille cosmopolite". C’est-à-dire, pour le dire clairement, les juifs. Depuis un siècle, ce terme porte en lui des présupposés racistes.
Stigmatiser des habitants
Pourtant aujourd'hui, il est employé par les habitants des banlieues eux-mêmes ! : C’est une stratégie très classique de retournement du stigmate, par laquelle des communautés se réapproprient un mot utilisé pour les attaquer – l’exemple le plus classique étant le mot "nigger", nègre, que se sont réappropriés entre eux les noirs-américains. Il n’empêche que nous ne devons pas être dupes. Quand Éric Zemmour, et d’autres, emploient le mot "racaille", l’implicite est clair : stigmatiser des habitants sur le fondement de leur couleur de peau. N’oubliez pas notre point de départ, pour Éric Zemmour, il suffisait de "voir" les images pour savoir que le désordre au stade de France était le fait de prétendues racailles…
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