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Éric Zemmour devant les policiers : guerre civile et répression

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Éric Zemmour était l'invité du "8h30 franceinfo", lundi 22 novembre 2021. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Revenons sur l’un des moments qui a marqué la semaine : l’audition d’une partie des candidats à la présidentielle par le syndicat de police Alliance. Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Gérald Darmanin, qui représentait la République en marche, ont répondu présent. Mais c’est surtout le discours d’Éric Zemmour qui a marqué : ce dernier y a assumé tout bonnement l’hypothèse d’une guerre civile. Le mot est fort. Mais il semble, désormais, justifié.

Pour le comprendre, il faut commencer par s’arrêter sur ce que dit Éric Zemmour des violences policières. Pour lui, ce n’est pas qu’elles n’existent pas : elles ne peuvent pas exister. "Le président de la République lui-même, dans une interview à Brut, parle de violences policières, explique ainsi Éric Zemmour. Il n'y a pas de violences policières : les policiers ont, selon la grande phrase de Max Weber, 'le monopole de la violence légitime'. Il y a des violences faites aux policiers, oui, et qui se multiplient."

Une lecture totalement biaisée de Max Weber

Ainsi, policiers disposeraient du monopole de la violence légitime, et donc, tout emploi de la force de leur part serait acceptable. L’expression "violences policières" n’aurait aucun sens. Le raisonnement est-il rigoureux pour autant ? Pas du tout : il s’agit là d’une déclaration qui repose sur une lecture totalement biaisée de Max Weber, un des pères de la sociologie, que tous les étudiants en sciences sociales sont censés étudier. Pour commencer, Éric Zemmour le cite très mal : selon Weber, ce ne sont pas les policiers qui disposent du monopole de la violence physique légitime, mais l’État. Les policiers n’en sont que des délégataires, au même titre que les militaires.

Mais surtout, cette phrase, Éric Zemmour la lit à l’envers. Elle ne signifie pas que toute violence physique exercée par l’Etat serait légitime, mais que les seules violences qui peuvent être considérées comme légitimes proviennent de l’État. Sous quelles conditions ? Dès lors que la violence procède de ce que Max Weber appelle une "légitimité légale rationnelle", c’est-à-dire dès lors qu’elle s’exerce dans le respect des règles et des lois. En dehors de ce cadre, la violence de l’État perd toute légitimité et devient insupportable : c’est précisément ce qui est dénoncé sous le nom terme de "violences policières".

Il n’est pas le seul à rejeter ce terme

Éric Zemmour n’est pas le seul à rejeter le terme de violences policières. En effet, Gérald Darmanin aussi, ou encore Christian Jacob, estiment que, d’une manière générale, les policiers font preuve d’un emploi proportionné de la force, tout en admettant des dérapages. Mais en détournant Max Weber, Éric Zemmour, lui, en vient à nier la possibilité théorique que la violence policière puisse être illégitime.

Et ce n’est pas un hasard. Chez Éric Zemmour, cette interprétation soutient un projet plus profond. Voyons la manière dont il parle de ceux que les policiers ont face à eux, c’est-à-dire les délinquants : "Les analyses ont prouvé qu'il y avait un continuum entre les délinquants du quotidien et ceux qui finissaient par être jihadistes au Bataclan et ailleurs. Tout ça, ce sont les mêmes personnes. Ils viennent des mêmes origines, des mêmes quartiers, ils ont le même parcours sociologique. Je dirais que les uns font le jihad et que les autres font le jihad du quotidien."

"Il y aurait un continuum entre le terrorisme et la petite délinquance…" Nous pourrions nous arrêter sur l’argument de fond utilisé par Éric Zemmour : les uns et les autres ont les mêmes origines et viennent des mêmes quartiers. Cela revient à regarder les individus pour ce qu’ils sont, plutôt que ce qu’ils font. C’est l’origine des délinquants qui déterminerait la gravité de leurs actes, plutôt que leurs actes eux-mêmes : c’est bien sûr hautement contestable, pour ne pas dire plus. Mais surtout, voyons quelles conséquences en tire Éric Zemmour : "Vous n'avez pas à faire seulement à des délinquants, vous êtes aux premières loges d'un conflit de civilisation qui s'est étendu sur notre sol. Il y a deux civilisations sur notre sol et elles ne peuvent pas, malheureusement, coexister pacifiquement. C'est pour cela qu'il faut absolument, impérativement vous soutenir et vous donner les moyens de vous protéger et de vous défendre et de prendre le dessus."

Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas

Si les délinquants sont en fait des "jihadistes du quotidien", alors, la mission des policiers n’est plus seulement de maintenir l’ordre, mais bien de s’imposer dans un conflit de civilisation. Et pour "prendre le dessus", tous les moyens seront bons, y compris les plus brutaux puisque, souvenons-nous, il ne peut exister de violences policières illégitimes. D’autant que, dans des déclarations antérieures, Éric Zemmour a été clair sur sa volonté de sortir de toutes les institutions qui garantissent les droits fondamentaux des individus : qu’il s’agisse du Conseil constitutionnel ou de la CEDH.

Il faut, je crois, avoir le courage d’appeler les choses par leur nom. Éric Zemmour ne se contente pas de prophétiser une guerre civile : il organise les conditions de la répression de toute une partie de la population, sur le fondement de l’appartenance supposée à une autre civilisation. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.

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