Eric Zemmour : les ressorts émotionnels de sa vidéo de candidature analysés
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Bien sûr, il y a les évidences, si on analyse la vidéo par laquelle Eric Zemmour annonce sa candidature à l'élection présidentielle 2022. Oui, le cadrage est inspiré de l’appel du 18-Juin du général De Gaulle : une manière, pour Eric Zemmour, de se présenter comme le sauveur d’une France en danger. Oui, il lit des notes écrites plutôt qu’un prompteur, ce qui lui permet d’évoquer son métier d’écrivain et son amour des traditions. Et, oui, il pose devant une bibliothèque qui rappelle les premiers portraits officiels des présidents de la République, ce qui est sensé renforcer sa stature d’homme d’Etat.
Mais, ce qui m’intéresse, c’est surtout la composante émotionnelle de cette intervention. Car en dix minutes de paroles, on n’y trouve ni chiffre, ni faits, ni données, ni sources, ni références. Que reste-t-il alors ? C’est simple : un torrent d’émotions.
Deux émotions : la nostalgie et la peur
Eric Zemmour mobilise bien sûr certaines émotions en particulier, et c’est là que cela devient intéressant. Par exemple, ce premier extrait : "Ce pays que vous cherchez partout avec désespoir, dont vos enfants ont la nostalgie sans même l'avoir connu, ce pays que vous chérissez et qui est en train de disparaître. Vous n'avez pas déménagé et pourtant vous avez la sensation de ne plus être chez vous. Vous n'avez pas quitté votre pays mais c'est comme si votre pays vous avait quitté." Ici, nous distinguons nettement deux émotions. La nostalgie, bien sûr. Et surtout la peur de voir la France disparaître. Une peur, d’ailleurs, qui est encore renforcée par la musique. C’est le 2e mouvement de la 7e symphonie de Beethoven : un passage répétitif, au tempo lent, sur un mode mineur, c’est à dire, précisément, les caractéristiques musicales d’une marche funèbre. Bref, le message est clair : la France est menacée de mort.
L'indignation et l'espoir
La peur n’était pas la seule émotion suscitée. Eric Zemmour consacre une large part de son intervention à fustiger les responsables politiques, qui auraient échoué, menti et trahi. Voilà qui devrait les frapper de honte et attiser la colère des Français : nous sommes, ici, dans les ressorts classiques de l’indignation.
Mais, tout n’est pas si sombre ! Car au terme de l’intervention, on trouve également une lueur d’espoir. "Nous allons continuer la France. Nous allons poursuivre la belle et noble aventure française. Nous allons transmettre le flambeau aux prochaines générations. Aidez-moi ! Rejoignez-moi ! Dressez-vous !" L’espoir de voir la France retrouver son âge d’or, dont nous serions si nostalgiques : voilà donc la dernière pièce du puzzle.
En dix minutes seulement, Eric Zemmour réussit le pari de mobiliser les trois ressorts émotionnels principaux de la politique : la peur, l’indignation et l’espoir. Mais surtout, il parvient à les articuler en une véritable construction, où elles convergent toutes dans le même sens. Comment faire pour sortir de la peur ? Pour exprimer son indignation, ou donner corps à ses espoirs ? Eric Zemmour propose une seule et même solution : voter pour lui.
Cette rhétorique peut être efficace. D’autant que ces émotions ne se déploient pas dans le vide. Elles sous-tendent un récit : hier, la France était grande et belle, aujourd’hui, elle est menacée de disparaître ; mais, demain, elle peut renaître. Or, cette narration, aussi simple soit-elle, a déjà été utilisée dans le passé par un homme qui était parvenu à la synthétiser en une seule formule : "Make America Great Again". Le récit et les affects utilisés par Eric Zemmour sont aussi ceux qui ont permis à Donald Trump de s’imposer.
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