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Éric Zemmour, où l’art de n’accepter aucune responsabilité

Éric Zemmour était resté largement silencieux après son échec au premier tour de l’élection présidentielle, avec seulement 7% des voix. Un silence que le candidat de Reconquête a rompu lundi soir dans une longue interview. Il est revenu sur son parcours dans cette campagne et ce qui est frappant c’est son art de n’accepter aucune responsabilité.

Article rédigé par franceinfo
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Clément Viktorovitch dans Entre les lignes, sur franceinfo,le 3 mai 2022. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Revoilà donc Éric Zemmour ! Après plusieurs semaines de discrétion, il a repris la parole sur BFMTV, lundi 2 mai, au micro de Bruce Toussaint. L’occasion de revenir longuement sur sa défaite, d’en explorer les causes. Mais d’ailleurs, était-ce vraiment une défaite ? "Est-ce que l'Histoire me donnera raison même si les élections et les électeurs m'ont donnés tort. Je pense que cette élection ne m'a pas donnée complétement tort. Que les Français m'aient dit : 'Ton sujet c'est important c'est important mais en vérité on y pensera plus tard, c'est leur choix historique et vous savez les peuples n'ont pas forcément raison ?"

"Les peuples n’ont pas forcément raison", "cette élection ne lui a pas donné tort", et même, "l’histoire lui donnera raison" : si certains craignaient pour le moral d’Eric Zemmour, je pense qu’ils peuvent être rassurés ! Sur le fond, ce qu’il dit n’est pas sans fondement : le cœur d’une élection n’est pas de savoir qui a raison et qui a tort. Cela, seul un jugement rétrospectif, porté de l’avenir sur le passé, peut le dire – et encore, au prix d’audacieuses conjectures historiques. Non, le cœur d’une élection, c’est de savoir qui parvient à convaincre, et qui échoue. De ce point de vue, les remarques d’Éric Zemmour ne sont pas fausses. En revanche, elles constituent une diversion.

"J'ai été victime du bombardement médiatique"

Eric Zemmour explique ensuite ce qui l’a empêché de convaincre. C’est le cœur de l’interview. Et tout part d’une question qui a le mérite de la clarté : ne seraient-ce pas sa rhétorique brutale qui serait en cause ? "Non je pense que c'est Poutine. Le 24 février, Vladimir Poutine envahi l'Ukraine et là, il se passe un enchaînement totalement imprévisible : une partie de mes électeurs se rameutent derrière Emmanuel Macron. Vous disiez que j'avais été victime de mon outrance et de ma radicalité. Moi je pense surtout que j'ai été victime du bombardement médiatique incéssant et du bombardement idéologique incessant."

"Vladimir Poutine" donc, ainsi qu’un "bombardement médiatique incessant" : voilà les seuls facteurs qui expliqueraient son score. Quant aux deux candidats présents au second tour, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, à quoi doivent-ils leur qualification ? "Les classes populaires françaises ont voté pour Marine Le Pen en pensant que c'était mieux parce que son père parlait déjà d'immigration avant elle, parce que le nom Le Pen veut dire la lutte contre l'immigration, quoi que dise Marine Le Pen. Macron à de la chance : le Covid puis l'Ukraine ont permis qu'il ne fasse pas campagne. Marine Le Pen a profité de son nom, et du travail de son père. Emmanuel Macron a eu de la chance. Voilà comment Eric Zemmour explique leur qualification pour le second tour.

Des explications peu convaincantes

Ce qui frappe, quand on écoute Éric Zemmour, c’est qu’à l’exception notable de Jean-Luc Mélenchon, il n’attribue les succès de ses adversaires d’une part, et ses propres échecs d’autre part, qu’à des facteurs exogènes. Ses concurrents ne réussissent jamais grâce à leurs talents. Lui n’a pas trébuché par sa faute. Tout est entièrement le fait du contexte. C’est évidemment une manière commode de se dédouaner de toute responsabilité.

Mais c’est intéressant, parce qu’elle revient à commettre ce que les historiens considèrent comme une erreur fondamentale de raisonnement : ce que l’on appelle "verser dans la téléologie historique". La téléologie, cela consiste à relire toute l’histoire en partant de sa fin. Cela consiste à considérer que le contexte et les faits sont tels, qu’ils ne peuvent que mener au terme que l’histoire a effectivement connu. Et ce faisant, on occulte le fait que les choix des acteurs et des individus ont un poids, et que le déroulé des événements aurait pu être différent.

Je ne prendrai qu’un exemple : Éric Zemmour a devant lui un enjeu important : la négociation d’une éventuelle alliance aux législatives avec le Rassemblement national. Dans cette interview, il déplore que Marine Le Pen ne lui ouvre pas les bras. Peut-être que s’il ne l’avait pas insultée à longueur de discours, il n’en serait pas là !

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