Economie, éthique et politique : faut-il taxer les super-profits ?
Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 4 septembre : la taxation des super-profits.
C’est en effet l’un des grands débats de cette fin d’été. Avec l’envolée des prix de l’énergie, certaines entreprises ont vu leurs bénéfices battre des records – au premier rang desquelles, bien sûr, les groupes pétro-gaziers. Faut-il, alors, taxer ces superprofits ? Sans surprise, le patronat s’y oppose, comme n’a pas manqué de le faire savoir Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef. Avec 27 milliards de recettes supplémentaires, ce serait en fait "l’État" qui serait le premier des "superprofiteurs."
L'argument me semble totalement fallacieux. Commençons par rappeler que le budget de la France est structurellement en déficit, et que la dette s’est creusée de plus de 400 milliards d’euros ces deux dernières années. On est tout de même loin de la surabondance…
Surtout, et plus fondamentalement, il faut rappeler que l’Etat n’est pas un acteur privé. Quand une entreprise génère un surcroît de profit, elle en utilise une partie pour rémunérer ses actionnaires, sous forme de dividendes, dont ils disposent à leur guise. Quand l’État fait entrer un surcroît de recettes, il l’utilise pour augmenter le salaire des enseignants, recruter des infirmières, soutenir les foyers précaires, ou rembourser la dette qui pèse sur les générations futures.
Cela fait des années qu’on entend cette petite musique selon laquelle l’État serait un profiteur qui se goinfrerait sur le dos des entreprises. Non, l’Etat n’est pas un puit sans fond où l’argent disparaîtrait : les recettes sont toujours redistribuées à la population – d’une manière ou d’une autre, et avec plus ou moins d’efficacité c’est vrai, mais elles sont toujours redistribuées.
La taxation des super-profits, une bonne idée ?
En tout cas, il existe de sérieux arguments à l’appui de cette idée ! Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting, rappelait que, malgré la guerre en Ukraine, cela ne coûte pas plus cher d’extraire du gaz. En revanche, cela rapporte beaucoup plus. Le groupe TotalEnergie, par exemple, a doublé son bénéfice net au deuxième trimestre 2022.
À un moment donné, c’est une question éthique qui se pose : peut-on accepter une telle rente quand, au même moment, les Français les plus précaires souffrent de l’inflation ? D’autant que, tout de même, nous sortons de la crise du Covid, pendant laquelle l’État a soutenu les entreprises à bout de bras. Si on estime légitime de déployer des aides exceptionnelles pour faire face à des difficultés exceptionnelles, il ne semble pas absurde de payer des taxes exceptionnelles dans le cas de bénéfices exceptionnels. Sinon, cela s’appelle privatisation des profits, nationalisation des pertes, et c’est la meilleure manière d’assécher les services publics.
Un risque pour la compétitivité des entreprises ?
C’est l’argument de Geoffroy Roux de Bézieux, mais aussi du gouvernement. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a déclaré mardi 30 août, justement devant le Medef, que "notre politique est simple : moins d'impôts, plus de travail, plus de richesses pour tous les Français. Taxer plus en France, c'est produire moins en France."
Voilà un bon slogan ! Le problème, c’est que ça n’est que cela : un slogan. Figurez-vous qu’un article a été publié cet été par les économistes Charles Boissel et Adrien Matrey, dans la très sérieuse American Economic Review. Il étudie ce qui s’est passé, en France, quand François Hollande a décidé de tripler la taxation des dividendes pour certaines entreprises. Que constate-t-on ? Les entreprises concernées ont distribué moins d’argent à leurs actionnaires, et ont augmenté leurs investissements. La conclusion de l’article est limpide : contrairement à ce que dit Bruno Le Maire, taxer davantage les dividendes, c’est produire davantage.
Et c’est là, au fond, tout le problème. Pour le gouvernement d’Emmanuel Macron, la diminution des impôts est devenue un principe intangible. Pourtant, la fiscalité n’est pas un tabou : c’est un outil, dont le gouvernement n’a aucune raison de se priver – sinon par idéologie. Peut-être pourrait-on commencer par réfléchir à une taxe sur les entreprises qui profitent de la crise de l’énergie...
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