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Guerre : quand un mot redécouvre son sens propre

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité. 

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
 

La guerre. C’est en effet le mot dans tous les esprits et sur toutes les lèvres depuis jeudi matin, et l’attaque terrestre et aérienne de la Russie contre l’Ukraine. C’est d’ailleurs le mot utilisé par Emmanuel Macron, au cours de son allocution officielle, pour qualifier l’escalade du conflit. "En choisissant la guerre, le président (russe Vladimir) Poutine n'a pas seulement attaqué l'Ukraine, il a décidé (...) de porter l'atteinte la plus grave à la paix, à la stabilité dans notre Europe depuis des décennies. À cet acte de guerre, nous répondrons sans faiblesse, avec sang-froid, détermination et unité", a déclaré Emmanuel Macron. 

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En droit international, la guerre se définit comme un conflit armé entre plusieurs groupes politiques constitués, et notamment des États : c’est ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine. Mais ce qui est intéressant, c’est justement que nous semblons presque redécouvrir, en Europe, le sens véritable de ce mot.

Sens propre et métaphore

Voilà près de 20 ans, en effet, qu’il est utilisé dans le débat public de manière plus ou moins métaphorique. Tout a commencé le 20 septembre 2001, quelques jours après l’attaque contre le World Trade Center, le Président George W. Bush déclare la guerre contre la terreur. Or, la terreur n’est pas un groupe politique constitué. C’est une stratégie, un moyen : on "lutte" contre, mais on ne lui fait pas "la guerre".  

Le mot, ici, était déjà employé en partie dans un sens métaphorique. En partie parce que, de fait, cette déclaration a été suivie d’une série d’interventions militaires à l’extérieur, en Afghanistan puis en Irak. En revanche, sur le sol américain, son emploi était contestable. D’ailleurs, il y a un autre contexte, similaire, dans lequel cette expression a été employée : c’est en France, à la suite des attentats de 2015 par le Premier ministre de l’époque Manuel Valls. "La France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l'islamisme radical".

Cette phrase a été très critiquée, à l’époque, par une partie des chercheurs en relations internationales. Jean-Baptiste Jeangene Vilmer, le directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École Militaire, l’a par exemple qualifié de "non-sens sémantique", en rappelant que si la France était bien "en guerre" contre les terroristes du Nord Mali, elle ne l’était pas sur son sol. À force de parler de guerre pour évoquer autre chose qu’un conflit armé, on a fini par en diluer le sens.  

Un mot trop lourd pour être utilisé avec légèreté

Jusqu’à aboutir à cette déclaration du 16 mars 2020 : alors que l’épidémie de Covid-19 se propageait en France, le Président Macron prenait la parole pour annoncer le confinement. "Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire certes. Nous ne luttons ni contre une armée ni contre une autre nation, mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, et qui progresse".

On voit bien, ici, que le mot guerre est vidé de tout son contenu originel. Il est utilisé dans un sens purement métaphorique, celui d’une grande menace contre laquelle nous allons devoir nous mobiliser. L’objectif, c’était évidemment de susciter la peur, pour inciter les Français à rester chez eux.   

Maintenant qu’elle frappe l’Europe sur son sol, nous redécouvrons la guerre dans toute sa matérialité. Les bombardements aveugles, les déplacements de population, les morts. Cette réalité qui n’est que trop familière pour tant d’hommes et de femmes qui la subissent chez eux, mais que nous regardions d’au loin, sans trop y prêter attention. Peut-être cela serait-il une bonne occasion pour réfléchir, aussi, à la manière dont nous parlons. La guerre est un mot trop lourd pour être invoqué avec légèreté.

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