La rhétorique de l’impopularité
Une rhétorique bien particulière consiste à revendiquer fièrement de proposer des mesures impopulaires ! Ce qui serait, en fait, une excellente manière de rechercher la popularité.
C’est tout le paradoxe assez frappant en écoutant Jean-François Copé ! Il y a quelques semaines, le maire de Meaux et ancien président de l’UMP plaidait, en vain, pour un accord de gouvernement entre Les Républicains et Emmanuel Macron. Qu’à cela ne tienne mardi 31 mai sur franceinfo, il est redevenu très critique à l’égard du président de la République.
"On est encore en train de mentir aux gens, assure Jean-François Copé. On est en train de leur dire, on va vous faire des chèques, il y a eu le chèque carburant, après il va y avoir le chèque habillement puis le chèque ameublement... Je rappelle que tout cela ne tombe pas du ciel. Je vais certainement être très critiqué pour ce que je dis, on ne peut pas faire simplement des chèques. Je comprends qu'on peut être un peu plus impopulaire en disant ce que je vous dis. Je sais que ce que je vous dis, c'est l'inverse de tout ce qui se dit. Il ne faut surtout pas dire cela, on est dans le tabou absolu." Quel panache ! Malgré les critiques, malgré l’impopularité, malgré même les tabous absolus : Jean François Copé assume, donc, de ne pas vouloir sortir le chéquier !
Inflation : Jean-François Copé dénonce les "chèques" du gouvernement aux Françaishttps://t.co/CR059QP9yz pic.twitter.com/VUrC4CAcRN
— franceinfo (@franceinfo) May 31, 2022
Un lieu commun de la politique
Ces déclarations peuvent laisser un peu sceptique. D’une part, Jean-François Copé ne brise strictement aucun tabou. Refuser les aides ponctuelles, pour plutôt baisser les impôts de production en espérant que cela suscite des hausses de salaires, c’était juste le programme de Valérie Pécresse. On a vu plus iconoclaste, tout de même… Et puis surtout, toute cette rhétorique de l’impopularité assumée courageusement, c’est en fait un lieu commun de la politique. Prenons par exemple, Édouard Philippe, ancien Premier ministre, lui aussi venu des Républicains. Voilà comment, en juin 2018, à l’Assemblée nationale, il défendait la baisse des limitations de vitesse de 90 à 80 km/h : "Toutes les mesures prises en termes de sécurité routière ont été impopulaires. Je me souviens trop bien des réactions sous le Premier ministre Raffarin lorsque le développement des radars a été mis en place. Redoutablement impopulaire et pourtant cela a produit des résultats. Et bien nous devons nous inscrire dans cette voie. Accepter l'idée, c'est difficile, de ne pas être complètement populaire quand nous pensons que cela produit des effets."
Il faut accepter, assumer et, même, revendiquer l’idée de ne pas être populaire. Nous sommes bien exactement dans la même rhétorique… et ce n’est pas fini ! "Quand on cherche le pouvoir, déclarait le chef de l’État lui-même, Emmanuel Macron, en avril 2019, au sortir de la crise des gilets jaunes. Quand on l'obtient par la confiance du peuple. On accepte d'avoir la part de colère qui va avec. Diriger aujourd'hui en démocratie quel que soit le pays, c'est accepter de ne pas être populaire. Et je préfère être responsable, tenir mes engagements, prendre les décisions que je crois bonnes avec le gouvernement pour notre pays et être impopulaire. Plutôt que chercher à séduire, une manière qui serait toujours éphémère." Emmanuel Macron aussi assume de prendre des décisions impopulaires, parce qu’il croit qu’elles sont dans l’intérêt du pays. Le panache de Jean-François Copé se résume donc, au fond, à recycler un vieux cliché.
Travailler les ethos
Sur la forme, c’est simple : c’est une rhétorique de posture. L’objectif, pour les responsables politiques, c’est de travailler leurs ethos, c’est-à-dire l’image qu’ils renvoient d’eux-mêmes. En l’occurrence, une image de courage, de bravoure et de sincérité. Le courage de ne pas être populaire. La bravoure d’affronter l’opinion. Et la sincérité de suivre leurs convictions. D’où ce paradoxe : revendiquer l’impopularité, c’est en fait un excellent moyen de se rendre populaire !
Mais cette rhétorique a des conséquences plus profondes. Elle permet de conférer à une mesure l’apparence de l’irrémédiable. Après tout, si un responsable politique plaide pour une décision qui n’est pas dans l’intérêt de sa réélection, c’est forcément qu’elle doit être dans le sens de l’intérêt général, non ? Alors, peut-être que oui… Mais pas nécessairement ! Rappelons, encore une fois, que la politique est affaire de choix et de rapport de force. Toute mesure fera toujours des gagnants et des perdants. Et justement : si une mesure vous rend impopulaire auprès d’une grande majorité des français, c’est peut-être parce qu’elle se fait au bénéfice… d’une toute petite minorité d’entre eux !
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